MAI 68 A L’ÉPREUVE DU TEMPS « Je pose la question : est-ce qu’on va de nouveau

MAI 68 A L’ÉPREUVE DU TEMPS « Je pose la question : est-ce qu’on va de nouveau recommencer comme en 1968 ? Je réponds : non, cela ne doit pas recommencer ». Georges Marchais « La réforme oui ! La chienlit non ! » Charles de Gaulle "1 L’obligation qui nous serait faite, qui m’est faite de revenir périodiquement sur Mai 68 ne peut être déclinée sur le même mode d’un « anniversaire à l’autre ». En retenant ces trois dates, 1998, 2008, 2018, j’entends prioritairement traiter de la « postérité » de Mai 68 : d’abord sous l’angle de sa confiscation ; ensuite sous celui de sa révision ; enfin, pour conclure sur ce cinquantenaire, il paraitra plus difficile de faire ressortir une tendance. Auparavant je serai revenu sur les « événements » en privilégiant deux points de vue (ou analyses) exprimés au lendemain de Mai 68. Donc ce texte, même s’il y fait ici référence, n’est pas véritablement une pièce supplémentaire à verser au dossier des événements proprement dits, mais principalement un commentaire critique sur les discours portées depuis cinquante ans sur Mai 68. Il m’importe d’ajouter que Mai 68 a certainement été l’événement le plus important de ma vie. On pourrait dire que celle-ci a basculé à ce moment-là. J’ai réalisé combien l’effervescence de ce beau printemps entrait en résonance avec des aspirations auparavant confuses, informulées, en partie refoulées, lesquelles, sous la pression des événements justement, commençaient à trouver l’expression et la formulation qu’elles réclamaient. Il y a sous ce aspect-là un avant et un après 68. En paraphrasant ce qu’écrivait Paul Nizan dans le célèbre incipit d’Eden Arabie, je serais tenté de répondre : j’avais 20 ans, je ne laisserais personne dire que ce n’est pas le plus bel âge de la vie. Certes, sur le moment, je n’avais pas toujours pris la mesure de ce qui se passait. J’ai d’abord traversé Mai 68 de manière anonyme, dans la rue, d’une manifestation à l’autre, au détour d’une occupation. Ce n’est qu’au mois de juin que mon « engagement » a pris un caractère collectif : à travers la création d’une section syndicale dans la petite usine où j’étais alors salarié (la première à ma connaissance en milieu miroitier). Ce n’est qu’après, mais pas « longtemps après », contrairement à la chanson, que Mai 68 est devenu cette référence que ce texte se propose d’illustrer. & Plutôt que de vouloir traiter de manière synthétique Mai 68, je préfère, pour aborder ce qu’on a appelé « les événements de 68 », privilégier deux contributions qui me paraissent traduire plus que d’autres la « vérité » de tels évènements, mais également cet esprit de Mai 68 auquel nous serions d’une génération à l’autre, malgré les phénomènes d’usure, les déceptions, et le « malheur des temps », encore redevable aujourd’hui. D’abord en mentionnant un long, substantiel et important article écrit dans l’après coup (« Le commencement d’une époque »), qui ouvre le douzième et dernier numéro de L’Internationale Situationniste paru en septembre 1969. Ensuite à travers des textes écrits en mai-juin 68, et durant les mois suivants par Maurice Blanchot. Entre les deux quelques rappels s’imposeront : sur l’atmosphère de Mai 68, et pour replacer pareils « événements » dans le cadre des années 1960 (celui de l’émergence d’une société dite de consommation). "2 Ces deux contributions ne se confondent pas. Pourtant, indépendamment des raisons qui m’incitent à les commenter, je tenais à les mettre en parallèle. Car d’une certaine façon l’une et l’autre se complètent. C’est aussi cinquante ans plus tard entendre dépasser ce qui pouvait relever de modes d’expression différents, mais dans les termes explicites d’un conflit si l’on se réfère à ce qu’ont pu écrire les uns sur les autres, et réciproquement (« les autres » désigne ici les membres du « Comité d’action étudiants-écrivains » auquel appartenait Blanchot, et au sein duquel furent publiés ses textes sans nom d’auteur). Je ne veux pas dire par là que le temps efface nécessairement pareille dimension conflictuelle. Celle ci appartient à une histoire que l’on ne saurait réécrire pour en arrondir les angles. En revanche, la nécessité de revenir une fois de plus sur Mai 68 passe par la rappel des écrits et de l’action de ceux qui, tout en s’opposant sur certains points, même sur un mode polémique, n’en contribuèrent pas moins parmi d’autres (mais plus que d’autres) à ce que Mai 68 fut ce que j’en dirai plus loin. Certes le plateau de la balance penche sensiblement du côté situationniste. Et cela s’avérait encore plus flagrant en 1969. Cependant les textes « confidentiels » de Blanchot font retour (depuis 1998 : un numéro de la revue Lignes attribuant à Blanchot et autres membres du « Comité d’action étudiants-écrivains » la paternité des articles non signés au sein de ce Comité) sur quelques unes des « vérités essentielles » de Mai 68, et à ce titre supportent la comparaison avec les analyses situationnistes. Plus qu’aucun groupe (à l’exception du Mouvement du 22 mars), l’Internationale situationniste reste associée à Mai 68. Son influence en l’occurence se trouva reconnu dans un second temps (y compris sur les modes paradoxaux du déni, du fantasme ou de la calomnie). Comme l’écrivent les situationnistes dans « Le commencement d’une époque » : « Si les rares documents connus de l’I.S. ont rencontré une telle audience c’est évidemment qu’une partie de la critique pratique avancée se reconnaissait d’elle-même dans ce langage ». C’est dire que l’I.S. s’était autant reconnue dans Mai 68 que le « mouvement » se reconnaissait en grande partie dans les thèses situationnistes (sans que ses acteurs l’expriment sur le moment, voire dans un second temps). Cette reconnaissance-là s’expliquait principalement par le caractère révolutionnaire nouveau de ces thèses, lesquelles dépassaient les habituelles antinomies entre le « politique », le « culturel », le « social », la « vie quotidienne » pour les fondre depuis une critique radicale de tous les aspects de la vie. Sachant que l’I.S. ne prétendait nullement jouer pour elle un rôle dominant dans ce processus : « Le caractère largement nouveau de ce mouvement pratique est précisément lisible dans cette influence même, tout à fait étrangère à un rôle directif, que l’I.S. s’est trouvée exercée ». En ce qui concerne les événements proprement dits « Le commencement d’une époque » revient sur les prémices de Mai 68 à travers l’activité subversive du groupe « les Enragés » (dont plusieurs membres adhéreront ensuite à l’I.S.) à la faculté de Nanterre depuis janvier 1968, relayée par le Mouvement du 22 mars en avril, une activité entraînant une répression universitaire puis policière. Le conflit s’élargit alors à d’autres facultés et s’exprime une première fois dans les rues du Quartier Latin lors de la manifestation du 3 mai. C’est le début d’une série de manifestations de plus en plus violentes avec comme point culminant la nuit « des barricades de la rue Gay Lussac » des "3 10 et 11 mai. Situationnistes et Enragés se retrouvent dans la Sorbonne occupée depuis le 14 mai. L’un d’eux est élu au premier collectif d’occupation. Le comité « Enragés - I.S. » publie plusieurs documents qui, tout en rappelant l’activité précédente des situationnistes, appellent à agir de suite « pour faire connaître, soutenir, étendre l’agitation ». L’accent est mis sur « l’occupation immédiate de toutes les usines en France et à la formation de Conseils ouvriers ». Les situationnistes et leurs amis quittent la Sorbonne le 17 mai pour constituer le « Conseil pour le maintient des occupations » dans les locaux de l’IPN de la rue d’Ulm. Le CMDO y publie de nombreux documents diffusés à quelques 200 000 exemplaires en France, et même à l’étranger durant le mois de juin. Il décide de se dissoudre le 15 juin. Par delà cet aspect factuel « Le commencement d’une époque » insiste sur les points suivants. D’abord Mai 68 a été « la plus grande grève générale qui ait jamais arrêté l’économie d’un pays industriel avancé, et la première grève générale sauvage de l’histoire : les occupations révolutionnaires et les ébauches de démocratie directe ; l’effacement de plus en plus complet du pouvoir étatique pendant près de deux semaines ; la vérification de toute le théorie révolutionnaire de notre temps, et même ça et là le début de sa réalisation partielle ; la plus importante expérience du mouvement prolétarien moderne qui est en voie de se constituer dans tous les pays sous sa forme achevée, et le modèle qu’il a désormais à dépasser - voilà ce que fut essentiellement le mouvement français de mai 68, voilà déjà sa victoire ». Ensuite c’était également « la critique généralisée de toutes les aliénations, de toutes les idéologies et de l’ensemble l’organisation ancienne de la vie réelle (…) Dans un tel processus, la propriété était niée, chacun se voyant partout chez soi. Le désir reconnu du dialogue, de la parole intégralement libre, le goût de la communauté véritable, avaient trouvé leur terrain dans les bâtiments ouverts uploads/Histoire/ mai-68-a-l-x27-epreuve-du-temps.pdf

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  • Publié le Fev 06, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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