CM Sociologie du travail social L1 Sociologie Sébastien Petit 2ème semestre 1 S

CM Sociologie du travail social L1 Sociologie Sébastien Petit 2ème semestre 1 Séance 5 : L'institutionnalisation et l'expansion du salariat Les fondements du travail social contemporain sont étroitement liés à ceux du salariat. En tant qu'institution et structure sociale, le salariat a largement contribué à façonner les formes du travail et de la mobilisation des travailleurs aux 19è et 20è siècle. Le salariat doit d'abord être vu comme un rapport social, c'est-à-dire un espace structuré qui met en opposition des acteurs sociaux occupant des positions sociales différentes, voire conflictuelles, dans la société. Pour autant, le salariat s'est transformé et continue de se métamorphoser, indiquant de cette façon l'évolution du travail et de son organisation. 1. Constitution et dépassement du salariat indigne Aux débuts du capitalisme industriel, dans la première moitié du 19è siècle, le travail social connaît d'importantes recompositions, qui découlent à la fois de la désorganisation de la paysannerie (alors majoritaire) et de l'économie rurale, d'une part, et du développement progressif de la production industrielle (essentiellement dans les villes) et du prolétariat, de l'autre. Le salariat ne s'est pas imposé uniformément ni spontanément parmi les différentes catégories de travailleurs ; il est le fruit d'une longue maturation sociale, économique, politique, juridique et culturelle. Dans un premier temps, le cadre juridique et législatif qui l'accompagne est relativement limité et imprécis (Claude Didry). Le salariat prend d'abord la forme du "louage d'ouvrage" : un entrepreneur commande une tâche précise à un travailleur qui, souvent depuis son domicile, accomplit seul ou avec sa famille cette tâche contre une mince rémunération. Le louage constitue l'une des premières formes de contractualisation du travail après la Révolution Française. Il permet à l'employeur de recourir à des travailleurs de façon limitée (en temps et en usage), ce qui le décharge notamment de toute responsabilité sociale vis-à-vis d'eux. A mesure que les travailleurs précaires se multiplient en ville et dans les campagnes, le louage d'ouvrage prend une dimension de plus en plus collective afin de faire vivre (ou plus exactement survivre dans la plupart des cas) des catégories de plus en plus nombreuses (Alain CM Sociologie du travail social L1 Sociologie Sébastien Petit 2ème semestre 2 Dewerpe). Il prend alors la forme du "marchandage" : un travailleur prend la responsabilité d'une tâche dont il attribue la réalisation à plusieurs autres travailleurs, approfondissant ainsi la division du travail selon le principe de la parcellisation des tâches. Ce système est aussi appelé le "tâcheronnat", dans la mesure où ce sont les essentiellement les ouvriers qui se répartissent ainsi le travail sous la responsabilité d'un ouvrier tâcheron (qui joue le rôle de chef d'équipe). Cependant, le marchandage ne fait que démultiplier les formes d'exploitation économiques et sociales, ainsi que les inégalités qui les accompagnent, tout en défaussant les entrepreneurs capitalistes de toute responsabilité sociale et morale vis-à-vis des travailleurs (par exemple, les accidents du travail, maladies et usures physiques ne sont pas pris en charges dans ce modèle, abandonnant les travailleurs aux liens de solidarités éventuels au sein d'une famille ou d'une communauté sociale). Le salariat est alors qualifié "d'indigne", dans le sens où il renvoie à une condition généralement miséreuse, que cherchent à fuir la plupart des travailleurs lorsqu'ils en ont la possibilité. Cette condition nourrit de nombreux mouvements de contestation et de révoltes ouvrières et paysannes tout au long du 19è siècle (Michel Pigenet, Danielle Tartakowsky) 2. Les effets de la contractualisation du travail L'institutionnalisation du contrat de travail, dans la seconde moitié du 19è siècle, est l'une des réponses apportées pour garantir l'implication des travailleurs salariés dans le travail industriel et marchand. Cette évolution vers le contrat de travail ne va pas de soi, et s'inscrit dans un processus de prise en charge des enjeux sociaux de travail par les pouvoirs exécutif et législatif, notamment par l'Etat (Bernard Friot). Le contrat de travail, passé entre le travailleur et son employeur, est ainsi reconnu en premier lieu par des structures législatives (en particulier l'existence d'un code du travail), ce qui lui procure sa réalité et sa durabilité. Bien que limitée, la responsabilité de l'employeur est désormais engagée à travers cette contractualisation du travail (notamment en matière du niveau de vie et de santé des travailleurs). Par le contrat de travail, le salaire est fixé en amont; ce qui limite les effets du marché sur les travailleurs (notamment les variations et baisses soudaines de salaire). Les horaires de travail sont également limités par le biais du contrat. En outre, les employeurs doivent mettre des instruments et espaces de travail à disposition des travailleurs dans le CM Sociologie du travail social L1 Sociologie Sébastien Petit 2ème semestre 3 respect (en tout cas théorique) de l'intégrité physique des travailleurs (c'est-à-dire les préservant de conditions intenables). Au début du 20è siècle, la contractualisation devient ainsi le cœur de la relation salariale, à partir de laquelle tend à s'organiser le travail et la production de marchandises. Cette contractualisation, peut apparaître comme un progrès social pour les travailleurs, qui sont davantage protégés et ont davantage de droits liés à leur emploi. Pour autant, elle s'inscrit dans le cadre d'un renforcement des formes de domination et d'exploitation du travail par l'intermédiaire du salariat. En effet, par le moyen du contrat de travail, les travailleurs sont davantage liés aux employeurs, qui les fixent au sein d'une unité de production (par exemple une usine) et les contraignent à travailler selon une organisation dont ils ne décident pas eux- mêmes la forme (comme en témoignent notamment le taylorisme et le fordisme, qui, à partir des années 1910-1920, retirent aux ouvriers toute délibération en matière d'organisation du travail). D'un point de vue juridique, le contrat de travail induit ainsi un lien de subordination entre l'employeur et le travailleur (Alain Supiot), ce qui contraint ce dernier à abandonner une certaine autonomie sociale en échange d'un salaire. A travers la dimension contractuelle, le travailleur est réduit à exécuter un travail parcellisé, préparé en amont, et dont il ne peut guère discuter l'organisation, l'outil, l'évolution ou encore l'utilité. Ce lien de subordination induit un quasi renoncement au principe d'un travail démocratique, dès lors que les travailleurs sont réduits à l'état de force de travail et au statut d'exécutants de décisions stratégiques qui ne leur appartiennent pas (Thomas Coutrot). Enfin, la contractualisation du travail s'inscrit dans la dynamique d'exploitation économique que décrit Karl Marx à propos du capital : en fixant la rémunération avant la réalisation du travail, le détenteur de capital se retrouve dans la possibilité de garantir durablement l'extorsion d'un surtravail puisque le salaire assure l'entretien d'une part de travail non- rémunérée. Par ailleurs, en sortant le travailleur d'une certaine précarité (en garantissant un salaire dans la durée), le contrat de travail place celui-ci dans une nouvelle forme de servitude (Frédéric Lordon), dans la mesure où le travailleur réduit ses espérances sociales aux possibilités laissées par son employeur (par le niveau de rémunération, les perspectives de progression de carrière, l'accomplissement de projets professionnels stimulants, etc.). Le travail devient dès lors un temps et un espace d’aliénation, ne permettant pas aux travailleurs de s'y réaliser en tant que sujets politiques et sociaux libres et conscients d'eux-mêmes (Hannah Arendt, Georges Friedmann) CM Sociologie du travail social L1 Sociologie Sébastien Petit 2ème semestre 4 3. Le développement de droits sociaux basés sur le travail Ainsi que l'observe Robert Castel, l'un des facteurs qui a plus contribué à institutionnaliser le salariat dans la société contemporaine est le développement de droits sociaux adossés au travail. Selon R. Castel, le capitalisme marque, à travers l'expansion du capital, le triomphe de la propriété privée : les classes dominantes développent leurs libertés ainsi que leurs conditions matérielles et morales d'existence grâce au capital et aux titres de propriété qu'elles détiennent. La propriété sociale a constitué le moyen de doter les classes dominées de droits à travers la constitution d'un capital socialisé. Il s'agit ainsi de garanties sociales construites, tout au long des 19è et 20è siècles, en matière de droit du travail. Le premier de ces droits a résidé dans la protection de la santé de travail : bien que de nombreuses situations de travail ont exposé (et continuent d'exposer) les salariés à des risques professionnels, la législation du travail impose un cadre contraignant aux employeurs (qui peuvent faire l'objet de poursuite judiciaires en cas de manquements, d'exposition et d'accidents). La garantie d'un fond pour les chômeurs a également constitué le moyen de maintenir la situation matérielle des travailleurs sans emploi. Enfin, le développement d'un système de retraites, dans la première moitié du 20è siècle, a aussi constitué un élément structurant du salariat. Les garanties de protection en matière de santé, de chômage et de retraite ont constitué les piliers du système de protection sociale qui, à partir de 1945, contribue à institutionnaliser durablement la société salariale (Robert Castel). Ces droits sociaux, désormais articulés dans le cadre du travail salarié, montrent l'étendue du rapport salarial dans la société contemporaine. Le travail est ainsi devenu un élément structurant de la vie sociale des individus, dans le mesure où il détermine uploads/Industriel/ cm-sts-5 1 .pdf

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