CHAPITRE 1 Une fois le chariot élévateur passé, la grande porte automatique se

CHAPITRE 1 Une fois le chariot élévateur passé, la grande porte automatique se referma derrière lui. La lumière qui éclairait cet espace s’éteignit immédiatement. — Merde ! Bernard s’apprêtait, au même moment, à sortir par l’issue servant pour les piétons. Ébloui comme il avait été, par le soleil couchant traversant l’ouverture principale et puisque la veilleuse de la sortie n’était toujours pas réparée, il avait l’impression d’être plongé dans le noir. — Où est cette putain de poignée ? se demanda-t-il à lui-même en tâtonnant contre le métal froid de la petite porte. Soudain, celle-ci s’ouvrit. — Ben, qu’est-ce tu fous avec cette pauvre porte ? Tu fais un barouf du tonnerre ! — Bon sang ! Tu m’as fait peur ! Je galère, voilà ce que je fais avec cette lourde. J’ai été ébloui par Christian quand il est sorti avec son Fen’ et comme ils n’ont toujours pas changé l’ampoule, je ne voyais rien. Son regard fit le tour des personnes qui se trouvaient là, Hélène, Danièle et Fanny étaient déjà dans le petit carré d’herbe à profiter des derniers rayons de soleil de la journée. Mehmet, qui avait ouvert la porte, se dirigeait vers elles. Bernard le suivit et s’installa sur le banc que la direction avait mis à leur disposition. Il s’étira et aperçut, trônant au sommet du bâtiment, au-dessus de lui, le panneau annonçant « biscuiterie Lemoine ». — Une pause en cette saison, c’est ce que je préfère. Non seulement la journée est presque finie, mais en plus il fait bon dehors, dit Fanny. — Ç a a bien roulé, vous autres ? s’enquit Bernard. Tout le monde opina du chef en silence. — C’est pas mal plus relax quand y’a pas d’emmerde, commenta Mehmet. — Ç a sentait encore super mauvais quand on est arrivé. Pis là ça sent à nouveau le biscuit comme avant. Je me demande d’où ça vient… lâcha Danièle. Mehmet fit une moue pour soutenir le questionnement de Danièle. Bernard, toujours affalé sur le banc, les jambes étendues, ne fit pas de commentaires et continua à fixer ses chaussures. Plusieurs allumèrent des cigarettes et le silence se fit, chacun profitant du moment. — Ah ! Vous voilà ! La jeune Anaï s, qui venait d’apparaître au coin du bâtiment, s’adressait à Bernard : voici la nouvelle commande, désolée pour le retard. Elle lui tendit la feuille du bon de fabrication, que Bernard attrapa sans même changer de position. Il tentait de garder l’attitude la plus flegmatique possible, mais il fulminait intérieurement : une commande à cette heure-ci ? Ils ne connaissent décidément rien. Comment comptaient-ils que j’aie le temps de faire le nettoyage des machines, s’ils ne le prévoient pas dans le planning, bordel ! Anaï s lui fit un petit sourire puis repartit en faisant virevolter sa robe fleurie. Bernard lui fit un rictus de sourire, mais lorsqu’elle fut retournée cela se transforma en une moue de découragement. Un même regard dédaigneux venait de ses camarades, qui n’avaient pas l’équipe du planning dans leurs cœurs. Outre le mépris dont ceux-ci semblaient faire preuve vis-à-vis des enjeux de leur travail, ils ne prenaient jamais soin de mettre les équipements de sécurité. Comme cette robe que portait Anaï s, avec ses pans voletant aux moindres vents et pouvant s’accrocher dans les mécanismes des machines ou ses chaussures fines qui n’étaient sûrement pas équipées de coque d’acier. Reportant son regard sur le bon de commande, Bernard le parcourut rapidement. Puis, il brisa le silence dans le petit groupe : — Bon, ben les amis, il va falloir que je vous laisse si je veux réussir à faire tout ça avant demain. L’horloge au mur derrière Hélène affichait 21 heures. Depuis la pause, elle n’avait pas eu de nouvelles de Bernard. Cela commençait à l’inquiéter : il fallait qu’elle ait le temps de cuire les biscuits avant la fin de sa journée de travail. Impossible de démarrer une cuisson si elle ne pouvait pas la finir. L’équipe de nuit n’avait pas la capacité de tout gérer. Même si les fours étaient automatiques, il fallait sortir les biscuits dès que la sonnerie retentissait sans quoi ils devenaient fragiles et supportaient mal la suite du processus. Elle s’apprêtait à aller voir Bernard pour savoir où il en était lorsque celui-ci apparut au coin de la cuve. — La dernière recette est prête quand tu veux, lui cria-t-il par-dessus le bruit ambiant. — Ah ! Tu l’as déjà préparée ? J’avais peur de finir à pas d’heure, lui répondit-elle en s’approchant. — Mais oui, j’ai pensé à toi, j’ai lancé le transfert. Allez, je vais nettoyer mon mélangeur. — OK, merci et bonne soirée ! dit-elle en retournant vers son panneau de commande. Bernard lui fit un geste de la main. Puis il interpella Danièle et Fanny qui étaient en poste au fourrage-enrobage. — Bonne soirée les filles ! Elles lui firent signe également, sachant qu’elles n’auraient pas l’occasion de le revoir ce soir. Elles continuèrent à sortir les biscuits des caisses pour les placer sur le tapis roulant. Une fois cuits, elles avaient en charge de mettre les gâteaux secs dans les machines à fourrage et à enrobage. Une tâche répétitive qui nécessite vitesse et précision, pour suivre le rythme et trier ceux ayant des défauts. Pour réaliser son nettoyage, Bernard devait revenir à son mélangeur. Le mélangeur était assez ancien. Au moment de la réorganisation, la direction souhaitait changer tous les mélangeurs qui en plus de ralentir la productivité, étaient dangereux. Mais, finalement un seul avait été acheté et placé dans la salle des préparations. Plus tard, pour pouvoir réaliser certaines recettes et dans un contexte d’augmentation de la production, le vieux avait été remis en usage, dans une annexe. Ç a ne devait être que temporaire, mais finalement, cela s’était pérennisé. Du coup, seul Bernard travaillait dans cet espace et il ne s’y trouvait que le mélangeur à ruban dont il se servait. — Économie de bouts de chandelle, grommela Bernard. Quand il avait commencé dans cette boîte, quelques années plus tôt, c’est Monsieur Henri, comme il l’appelait, qui l’avait formé. Un sacré gaillard, ce Monsieur Henri, il en imposait. Bernard se serait bien gardé, à l’époque, de le tutoyer. Une chance qu’il avait été là pour tout lui montrer : il n’y avait pas l’ombre d’un document écrit sur les méthodes de travail ! Le mélangeur à ruban qui servait à Bernard pour préparer ses recettes de biscuits était plutôt de petite taille. Formé d’une cuve en inox et de deux couvercles, on retrouvait plusieurs séries de pales, fixées à un axe central qui traversait le bac d’une extrémité à l’autre. Le moteur, à l’extérieur, entraînait cet axe et permettait ainsi au ruban de mélanger les ingrédients. Le gros du nettoyage était automatique. Mais, en fait, pour s’assurer de l’hygiène, il n’y avait pas le choix de finaliser à la main avec un jet haute pression. En plus, selon la recette, cela pouvait adhérer plus ou moins à la paroi ou aux pales. Il arrivait donc parfois qu’il soit nécessaire de finir avec une brosse à manche court. Voyant que les mélangeurs ne seraient pas changés de sitôt, Bernard avait exigé un harnais fixé à un palan au plafond pour éviter de tomber dans la cuve, c’était physique comme travail. Mais il se sentait responsable des biscuits. C’est par lui que tout commence, pratiquement. La qualité du mélange joue beaucoup sur le résultat final. Et l’hygiène est un impératif, il ne s’agit pas d’empoisonner les gens avec des sablés ! Revenu à la salle de production des mélanges Bernard repensait aux enjeux qui lui incombait et combien il n’était pas reconnu pour ça. Les chefs n’avaient aucune idée de l’importance du nettoyage, par exemple. Ils n’arrêtaient pas de réduire le temps alloué à celui-ci. Bernard était obligé de « tricher », en indiquant des durées de maintenance fictives sur le tableau affiché à l’entrée du petit hangar dans lequel se trouvait son mélangeur, pour pouvoir réaliser son nettoyage correctement. Tu parles d’une économie ! Dernièrement la direction ayant constaté une hausse des coûts de maintenance — ben oui tout le monde utilisait la même astuce ! — avait décidé de faire des coupures dans ce service. Maintenant, c’est les vraies emmerdes pour lesquelles on n’aura plus personne se dit Bernard. Quelle connerie ! Une chance, pour le coup, d’avoir une vieille machine, je peux faire face, tout seul, à pas mal de pannes. Pour commencer son nettoyage, Bernard regroupa les éléments dont il avait besoin : un jet à haute pression relié à un réservoir contenant du savon, qu’il pouvait également brancher à l’eau municipale et ainsi réaliser le rinçage, une brosse à manche court indispensable pour cette recette particulièrement collante ainsi que l’escabeau de trois marches, qui lui permettait de se tenir au-dessus de la cuve de son mélangeur. Celle-ci était, en effet, surélevée, pour permettre à la pâte à biscuits de tomber dans un contenant situé directement en dessous. uploads/Industriel/ 10-ariane-gingras-et-sebastien-bruere-a-l-interieur.pdf

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