Hygiène et sécurité du travail – n°239 – juin 2015 70 70 ÉTUDES & SOLUTIONS w w

Hygiène et sécurité du travail – n°239 – juin 2015 70 70 ÉTUDES & SOLUTIONS w wLA PROBLÉMATIQUE : Pour acheter une nou- velle ligne de production, un industriel français a effectué un appel d’offres. Pour ce faire, il a rédigé un cahier des charges, succinct, exprimant tech- niquement son besoin, et l’a envoyé aux fournis- seurs potentiels. Mais la diversité des propositions reçues ne lui a pas permis de faire un choix. Au-delà de l’importance de l’investissement financier, il y avait un véritable risque pour l’avenir de son entreprise : cette ligne devait devenir son unique moyen de production. Il s’en est ouvert à la Carsat Bourgogne et Franche-Comté. Celle-ci a mis aussi- tôt l’industriel en relation avec l’INRS et le Cetim, car elle avait connaissance de leur étude commune en cours pour établir une méthode de rédaction des cahiers des charges intégrant la sécurité des opérateurs. w wLA RÉPONSE DE L’INRS ET DU CETIM : Il a été proposé à l’industriel de tester la méthode de rédaction des cahiers des charges qui venait d’être élaborée. Celle-ci est simple. Elle repose sur l’analyse fonctionnelle du besoin, bien connue et utilisée par les concepteurs de machines [1]. Cette analyse « découpe » la machine en fonctions qui se rapprochent de la liste des besoins tech- niques exprimés par l’industriel : « un dévideur de bobine de tôles d’aluminium », « un redresseur de tôle », « une gaufreuse »… Puis, pour chacune de ces fonctions ou de ces besoins techniques, il suf- fit de se poser six questions : • Pourquoi a-t-on besoin de cette fonction ? • Sur quoi agit cette fonction ? • Qui ou qu’est-ce qui réalise cette fonction ? • Comment se déroule-t-elle ? • Où a-t-elle lieu ? • Quand est-elle réalisée ? Comme nous allons le montrer, les réponses à ces questions étoffent le cahier des charges. Elles permettent en effet de dépasser les besoins techniques en précisant les usages attendus. Les fournisseurs ont ainsi toutes les informations nécessaires pour établir une proposition tech- nique et commerciale adaptée. Un exemple d’application de cette méthode a été présenté à l’industriel. Le niveau de détail obtenu et le formalisme ont convaincu l’industriel de réé- crire son cahier des charges avec cette méthode. La première étape, qui a occupé la première réu- nion, a servi à établir la liste des fonctions tech- niques de la future machine, grâce aux outils simples de la méthode normalisée d’analyse fonc- tionnelle du besoin [1]. Les besoins techniques listés par l’industriel nécessitaient d’être affinés. Ainsi, le « dévideur de bobine de tôles d’alumi- nium » a été décrit par les fonctions : « recevoir les bobines d’aluminium », « dévider les bobines », « rembobiner les bobines entamées », « permettre la production en continu sur deux bobines consé- cutives ». Ces fonctions montrent plus de détails et s’appuient sur l’examen des différentes phases de vie de la machine (début de production, fin de production, changement de produit…). Lors des réunions suivantes, chaque fonction a été caractérisée en posant les six questions de la méthode. Pour la première fonction « recevoir les bobines d’aluminium », la question « Pourquoi ? » avait une réponse simple : approvisionner la ligne de production en matière première, la tôle d’alu- minium, livrée sous forme de bobines. Ainsi, si le format de livraison venait à changer, sous forme de plaques d’aluminium par exemple, la réponse à la question « Pourquoi ? » rappellerait que les solutions proposées pour cette fonction devraient être remises en cause. La question « Sur quoi agit cette fonction ? » appe- lait également une réponse rapide : des bobines d’aluminium neuves ou entamées. Cette précision ouvrait une discussion : si les bobines sont enta- mées, elles n’ont plus le même diamètre que les bobines neuves. Il faut donc préciser les diamètres minimum et maximum pour que le fournisseur puisse concevoir une machine apte à recevoir ces bobines. À la question « Qui ? », la réponse a été immédiate : •  Le magasinier avec son chariot élévateur ; •  Pourquoi précisez-vous « avec son chariot élévateur » ? BRUNO DAILLE- LEFÈVRE INRS, département Ingénierie des équipements de travail ÉLODIE DEQUAIRE, RÉMY ROIGNOT Centre technique des industries mécaniques (Cetim) ÉLIE FADIER INRS, département Expertise et conseil technique Étude de cas ACHETER UNE MACHINE : COMMENT DÉCRIRE LES USAGES ATTENDUS ? Hygiène et sécurité du travail – n°239 – juin 2015 71 71 •  Parce que c’est le seul moyen : les bobines sont stockées dans l’atelier d’à côté, dans des racks ; •  Et vous voulez charger la ligne avec le chariot élévateur ? •  Oui, les bobines font entre 100 kg et une tonne ; •  Et vous n’avez pas de pont roulant ? •  Non. Nous prenons les bobines au chariot, en plaçant les fourches à l’intérieur du noyau de la bobine. Ça permet de les stocker l’une contre l’autre et de gagner de la place. Ce dialogue allait bien au-delà de la réponse à « Qui ? ». Il informait sur le poids des bobines (à mettre dans le « Quoi ? ») et renseignait déjà le « Comment ? » : « Avec un chariot élévateur (pas de pont roulant dans l’entreprise), la bobine étant maintenue par les fourches placées dans le noyau ». À la question « Où ? », une partie de la réponse était également exprimée : « Les bobines sont stockées dans un autre atelier, rangées dans des racks, l’une contre l’autre », l’industriel précisant que le chargement de la machine se fera par la droite, car l’atelier qui accueillera la ligne de pro- duction est étroit, obligeant à placer celle-ci contre le mur de gauche. Enfin, en réponse à la question « Quand ? », il a été précisé que le chargement de bobine aurait lieu à chaque changement de production et que l’industriel souhaitait que le temps de chargement soit inférieur à cinq minutes. Le tableau des fonctions (Cf. Tableau 1) ainsi com- plété révèle les contraintes propres à cet industriel. Sans ces informations essentielles, les fournisseurs précédemment consultés ont proposé des offres « catalogues » avec des solutions inadaptées au contexte. Par exemple, sur une machine standard, le chargement des bobines nécessitait soit un pont roulant pour les placer par le dessus, soit leur fixation sur une broche passant dans leur noyau. Ces deux techniques ne sont pas compatibles avec le mode de chargement propre à l’industriel : un chariot élévateur manipulant les bobines par leur noyau et les chargeant par la droite. L’industriel ne pouvait donc pas faire un choix parmi les premières offres reçues car, si elles répondaient bien à la description technique de son besoin (un dévidoir, un redresseur, une gaufreuse…), les fournisseurs ne savaient pas comment les éléments seraient utilisés et quel était le contexte spécifique chez cet industriel. Une machine « catalogue » ne convenait donc pas, il fallait concevoir une machine spéciale pour cet usage ou des adaptations. Voyant cet écueil et les risques encourus, l’indus- triel s’est engagé plus encore dans cette démarche, profitant du temps entre les réunions de tra- vail pour interroger son personnel et devancer les questions. La méthode de questionnement proposée (« Pourquoi ? », « Quoi ? », « Qui ? », « Comment ? », « Où ? », « Quand ? ») a facilité les q GTABLEAU 1 Fonction « recevoir la bobine d’aluminium » caractérisée avec les six questions. FONCTION CRITÈRES NIVEAUX (F1.1) recevoir la bobine d'aluminium Pourquoi Approvisionnement, chargement et déchargement du parement aluminium sur les dévidoirs de la machine. Approvisionnement en bobines scotchées. Les bobines sont soit complètes, soit entamées. Les bobines entamées non terminées sont rembobinées et scotchées (pour éviter le déroulement intempestif hors machine) sur le dévidoir. Quoi Caractéristiques des bobines d'aluminium. Diamètre mini et maxi. Largeur. Poids mini et maxi. Nature du noyau et diamètre. Longueur de bobines : pour 2h maxi de production. Nombre de bobines : une pour la production, une pour le raccordement et une pour anticiper la production suivante. Qui Magasinier avec chariot élévateur. Comment Bobine amenée portée par le chariot élévateur (fourche à l'intérieur du noyau permettant le stockage côte à côte des bobines). Pas de pont roulant dans l'atelier. Bobine mise en place et positionnée sur le dévidoir par la machine sans intervention manuelle de l'opérateur. Où En tête de machine, côté droit – à situer sur le plan du bâtiment en fonction du flux de bobines et de produits, des stocks bobines et stocks panneaux finis. Quand Fréquence de changement de bobine : minimum 30 secondes entre 2 bobines, 3h (bobine complète). Changement de bobine en 5 min maximum. Hygiène et sécurité du travail – n°239 – juin 2015 72 72 ÉTUDES & SOLUTIONS échanges et permis des remontées d’informations essentielles de la part du personnel de l’entre- prise. Le formalisme a peu d’importance, la ques- tion « Qui ? » entraînant, comme nous l’avons vu, uploads/Industriel/ ec-10.pdf

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