L’ESTHÉTIQUE DES PRODUITS DÉRIVÉS Antoine Quilici Presses Universitaires de Fra

L’ESTHÉTIQUE DES PRODUITS DÉRIVÉS Antoine Quilici Presses Universitaires de France | « Nouvelle revue d’esthétique » 2022/1 n° 29 | pages 49 à 57 ISSN 1969-2269 ISBN 9782130834991 DOI 10.3917/nre.029.0049 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2022-1-page-49.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Du mug qui reprend une œuvre de Disney à celui qui reprend une œuvre de Hockney, la démarche est rarement inventive et se résume souvent à la reproduction d’une image. Cet aspect rudimentaire ne doit pourtant pas nous faire oublier la pratique même de son application sur un objet qui, malgré sa simplicité, résulte toujours d’un choix, même inconscient. L’observation appuyée des résultats des techniques des concepteurs et des conceptrices de produits dérivés nous mène à constater que leur métier présente en réalité, de manière plus ou moins forte, une dimension créative : ils et elles peuvent sélectionner, recadrer, saturer, ajouter, supprimer ou réduire des détails à partir d’une image donnée au sein d’entreprises dédiées au marketing, en artisans humbles et discrets. Par ailleurs, il serait insensé de penser que leur pratique n’ait pas gagné en réflexivité alors qu’elle est l’héritière d’une longue histoire : depuis le XIXe siècle, depuis la statue de la Liberté et la tour Eiffel, depuis Ally Sloper et Felix the Cat, elle s’est en effet frayée, lentement mais sûrement, un chemin au travers des stands touristiques et de différentes boutiques. De ce point de vue, si des raisons de son succès se trouvent encore largement dans les références qu’elle met en avant, en récupérant de façon prosaïque des rêves fabriqués avant elle, pouvons-nous affirmer que l’image reprise constitue le seul argument de vente du produit dérivé, comme une simple reproduction ? Autrement dit, pouvons- nous trouver au produit dérivé une spécificité, un argument propre et si oui, quelle place pourrait-on lui donner dans la société de consommation et dans le paysage artistique contemporain ? nouvelle Revue d’esthétique no 29/2022 | 49 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/07/2022 sur www.cairn.info via INIST-CNRS (IP: 193.54.110.56) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/07/2022 sur www.cairn.info via INIST-CNRS (IP: 193.54.110.56) ÉTUDES | Arts en marge 1. Voir notamment : Olivier Lebleu, Les Ava- tars de Zarafa : première girafe de l’histoire, Paris, Arléa, 2006. 2. Clement Greenberg, Art et Culture (1961), Paris, Macula, 2010. nouvelle Revue d’esthétique no 29/2022 | 50 UN SAVOIR-FAIRE DISCRET AUX RÉPERCUSSIONS MASSIVES En faisant une distinction entre l’objet et l’image qui viendra s’y appliquer, des fabricants ont, dès les prémices de l’industrialisation, établi une méthode de travail leur permettant de séduire rapidement les consommateurs et de garantir un fort taux de rendement à leur production. La liberté que laisse ce principe de création indique que la transition entre la création d’objets de styles et celle de ce que l’on appelle aujourd’hui les produits dérivés ne peut être nette, même si elle existe. La girafomania qui entourait l’arrivée de Zarafa à la Ména- gerie Royale en 1827 nous offre à ce sujet de nombreux exemples d’objets de différentes qualités, tous inspirés pourtant par un même engouement pour l’animal venu d’Égypte [1]. Cadeau diplomatique envoyé à Charles X de la part du pacha Méhémet-Ali, la popularité de la girafe avait en effet motivé la fabrica- tion d’articles en tout genre sur lesquelles sa silhouette longiligne s’applique de façon plus ou moins heureuse. Tandis que sur une élégante et riche horloge en forme de vase Médicis, son cou se convertit en anse et se fond aisément dans des guirlandes et des palmettes, au centre d’une assiette fabriquée dans une manufacture populaire, sa silhouette est rapidement esquissée et simplement cernée par un filet. Si dans les deux cas l’absence de thème égyptien parle d’une égyptomanie teintée d’éclectisme, typique de l’époque, l’absence de véritables motifs ornementaux sur l’assiette sans noblesse indique que, désormais, la reproduction du sujet populaire sera suffisante pour les plus nombreux. Le fait que les palmettes et les guirlandes se résorbent en de simples filets dès que Zarafa s’échappe du domaine de l’évocation pour se dessiner franchement au milieu d’objets plus simples n’est pas anodin. Cette réaction, presque physique, mettait déjà en forme une des facettes du système des produits dérivés, qui oublie le caractère suggestif de l’ornementation, qui borde les contours de l’his- toire des arts appliqués, pour se concentrer sur la reproduction. Pourtant, lorsque les produits dérivés se cantonnaient aux phénomènes culturels massifs, nous ne pouvions encore y déceler que les répercussions industrielles d’un engouement autour d’un spectacle qui cristallisait habilement les rêves de celles et ceux qui n’avaient plus le temps de les faire mûrir. De ce point de vue, la promotion du formalisme que faisait Clement Greenberg au début des années 1960 [2] mettait indirectement le doigt sur le tropisme figuratif de la culture de masse que le système des produits dérivés a en réalité toujours annoncé : par la reproduction du sommet de la tour Eiffel pour créer un dossier de chaise, par la miniaturisation de Lady Liberty pour fondre un pied de lampe à la chaîne, ils séduisaient par leur langage direct lors des expositions univer- selles et les inaugurations autant qu’ils inquiétaient, à côté de bibelots éclec- tiques, quant au devenir des arts décoratifs. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/07/2022 sur www.cairn.info via INIST-CNRS (IP: 193.54.110.56) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/07/2022 sur www.cairn.info via INIST-CNRS (IP: 193.54.110.56) L’esthétique des produits dérivés | ANTOINE QUILICI Un demi-siècle plus tard, ils affichaient une assurance déconcertante. Ils progressaient, se multipliaient, se perfectionnaient et rythmaient avec convic- tion les logements populaires en travaillant avec les industries du divertisse- ment. Le nez de Mickey se transformait en un bouton de radio, les yeux de Felix marquaient les secondes sur une pendule… Et ils indiquaient qu’un pro- duit dérivé n’est pas uniquement le support d’une image, mais plutôt une image qui s’articule avec un objet. Alors, à partir de reprises simples des formes des héros du cinéma, peut-être que les produits dérivés imaginaient en fait de nou- velles façons de faire des objets, après la fin des styles amorcée avec la produc- tion industrialisée. De ce point de vue, tandis que les critiques des Expositions universelles s’alarmaient au sujet de l’avenir des arts appliqués, à une époque où les machines commençaient à prouver que la poursuite des traditions déco- ratives devenait impossible, les produits dérivés s’apprêtaient alors à leur offrir une contre-histoire, écrite nulle part mais présente partout, dans laquelle la reproduction de ce qui plaisait déjà ne pouvait être que la démarche créative des temps industriels, avec l’intensification des cadences, le recul des savoir- faire et l’importance des objectifs commerciaux qu’ils attendent. Lentement, la culture populaire, celle fabriquée par le peuple à une échelle humaine, s’est transformée en une culture de masse bien plus puissante, par laquelle les individus se sont vus principalement divertis au travers d’une offre médiatique standardisée [3]. Le système des produits dérivés a bien accompagné cette évolution, en affirmant que des articles peu onéreux, à la réalisation bru- tale et aux qualités plastiques médiocres, pouvaient tout de même trouver un nouvel argument de vente s’ils étaient justement associés à une reproduction facilement répétable et reconnaissable, ouverte à l’identification et à la quête de divertissement qui caractérisait la classe ouvrière. De cette façon, les procédés de fabrication modernes trouvaient leur propre justification et ne se résumaient plus en une pâle copie de l’artisanat d’antan. Ce constat a en réalité créé une adéquation avec les industries culturelles qui ont, elles aussi, imaginé des per- sonnages aux formes douces et malléables, à l’instar de Mickey, qui pouvaient s’appliquer à tout. Il s’est ainsi naturellement dessiné une offre d’un nouveau genre, caractérisée par un va-et-vient de formes entre les écrans et la production industrielle d’objets qui se voyaient associés sans aucune retenue à des formes joyeuses, accessibles, rassurantes [4]. UNE SURVIE FÉBRILE DU DÉCORATIF uploads/Industriel/ nre-029-0049.pdf

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