La gestion mutualisée des approvisionnements : mythe ou réalités ? Hicham ABBAD

La gestion mutualisée des approvisionnements : mythe ou réalités ? Hicham ABBAD Maître de conférences en sciences de gestion Université de Nantes, LEMNA, France hicham.abbad@univ-nantes.fr Résumé : En France, face aux exigences de la grande distribution alimentaire, les fournisseurs cherchent inlassablement des moyens pour améliorer la performance logistique sur l’ensemble du canal de distribution. Pour ce faire, les fabricants ont recours depuis quelques années à la Gestion Mutualisée des Approvisionnements (GMA). Cette pratique consiste à mettre en commun des outils logistiques (entrepôts de stockage, plates-formes, transports, systèmes d’information et de communication). Malgré l’intérêt que portent de nombreuses entreprises à la GMA, les expériences de mutualisation horizontale, entre les fournisseurs des grands distributeurs alimentaires, demeurent peu nombreuses. L’objectif principal de cet article est d’identifier les freins entravant le recours à des solutions de mutualisation horizontale. Une recherche documentaire dans la presse professionnelle spécialisée et trois entretiens d’expert devraient nous permettre de comprendre les raisons qui empêchent ces fournisseurs à adopter cette démarche collaborative. Mots-clés : Gestion mutualisée des approvisionnements, Logistique, Industriels, Distributeurs, Prestataires de services logistiques. Introduction Dans un marché où l’offre commerciale s’ajuste aux niveaux des achats des consommateurs, une gestion efficace et efficiente de la chaîne d’approvisionnement est devenue un enjeu crucial pour la grande distribution française (Paché, 2006). Pour répondre aux besoins de leurs clients et assurer un réel développement de leur activité, les distributeurs ont mis en place de nouvelles méthodes de gestion de leurs approvisionnements visant à optimiser l’acheminement des flux physiques liés à ces transactions. Aussi des démarches collaboratives verticales ont été initiées, telles que la Gestion Partagée des Approvisionnements (GPA). Elles impliquent des relations étroites et itératives entre fournisseurs, distributeurs et prestataires de services logistiques (PSL). Il s’agit d’une forme d’organisation collaborative par laquelle le distributeur confie partiellement ou totalement la gestion du réapprovisionnement de ses entrepôts à certains de ses fournisseurs. Malgré des avantages (diminutions des niveaux des stocks, des temps de réapprovisionnement, etc.), la GPA présente quelques limites dont la plus importante en fonction de la stratégie des distributeurs d’une plus grande disponibilité des produits en linéaires, reste la non éligibilité des petits industriels de l’agroalimentaire à cette organisation. De plus, les volumes faisant l’objet des transactions ne permettent pas toujours d’optimiser les taux de remplissage des véhicules. Ces réalités ont pour conséquence une augmentation des coûts de transport des marchandises (Camman et Livolsi, 2007). Confrontés à cette limite de la GPA et aux besoins accrus de performance de la grande distribution alimentaire (délais de livraison raccourcis, livraisons plus fragmentées et plus fréquentes), dans un contexte économique où le transport est plus onéreux (renchérissement durable des prix des carburants et réduction volontaire de l’offre de transport par les acteurs de ce secteur d’activité), les fournisseurs, notamment les petites et moyennes industries (PMI), cherchent inlassablement des solutions pour améliorer leur performance logistique. Pour y parvenir, les industriels ont recours depuis quelques années à la Gestion Mutualisée des Approvisionnements (GMA). Cette pratique suppose de mettre en commun des moyens logistiques (entrepôts, plateformes, outils de transport, systèmes d’information) et à les faire gérer par un autre acteur, les PSL. Ces PSL peuvent eux-mêmes être aidés par des entreprises spécialisées en Systèmes d’Information et de Communication (SIC). Malgré l’intérêt que portent de nombreuses entreprises à la GMA, les expériences de mutualisation horizontale entre les fournisseurs des grands distributeurs alimentaires, demeurent peu nombreuses (Chanut et al., 2010). L’objectif principal de cet article est d’identifier les freins entravant le recours à des solutions de mutualisation horizontale. Apporter des éléments de réponse à notre problématique nous a amené à recenser les motivations dans le choix de ces solutions. Une recherche documentaire dans la presse professionnelle spécialisée complétée par trois entretiens d’expert nous permet d’identifier et d’analyser les raisons empêchant les fournisseurs, notamment de l’industrie agroalimentaire (IAA) et des produits de grande consommation (droguerie, parfumerie, hygiène) d’adopter en grand nombre cette démarche collaborative. Cet article est structuré en deux parties. La première expose les conditions d’émergence de la GMA dans le secteur de la grande distribution française puis souligne ses avantages pour les principaux acteurs de la chaîne logistique. La seconde identifie les freins, les obstacles qui permettent de comprendre pourquoi cette forme de coopération horizontale visant à mutualiser outils et ressources n’a pas connu le succès espéré en ce début du XXIème siècle. 1. La GMA : conditions d’émergence et avantages Cette première partie nous permet d’exposer les conditions de l’émergence de la GMA dans le secteur de la grande distribution française puis de recenser ses avantages pour les acteurs majeurs de la distribution, grands distributeurs et industriels. 1.1. La GMA dans la grande distribution : outil d’un nouveau modèle logistique ? Depuis son apparition dans les années 1960, la grande distribution française s’est développée rapidement avec pour seule frein, la réglementation commerciale (Messeghem, 2003). Depuis ces années, elle s’est imposée comme l’un des acteurs majeurs de l’économie française. Les relations entre producteurs et distributeurs ont été très souvent qualifiées de conflictuelles (Messeghem, 2003 ; Bonet, Paché, 2005 ; Abbad et al., 2012). Suite à la multiplication des grandes et moyennes surfaces (GMS) et aux forts mouvements de concentration de la grande distribution, les fournisseurs ont vu leur pouvoir de négociation s’effriter au fil des ans au profit de leurs clients distributeurs. Pour accroître leur pouvoir de négociation commerciale, ceux-ci ont créé cinq centrales d’achat à dominante alimentaire (Agenor, Coopernic, Provera, Galec et Opéra). Elles assurent les achats d’un peu plus de 80% des produits alimentaires commercialisés en France. Toutes ont pour stratégie d’acheter le moins cher possible pour vendre le moins cher possible. En d’autres termes, elles permettent l’exercice du métier de « grand distributeur » selon la définition d’Edouard Leclerc, fondateur de l’enseigne Leclerc. : « Faire du commerce signifie acheter au prix le plus bas possible pour revendre au prix le plus cher possible. Distribuer signifie acheter le moins cher et vendre également le moins cher possible ». Dans ce contexte, les secteurs de l’IAA mais aussi des produits de grande consommation se trouvent obligés de prendre en considération l’ensemble des stratégies (prix, qualité, logistique,…) de la grande distribution pour pouvoir continuer à travailler durablement avec elle. En retraçant l’évolution des structures de distribution depuis quarante ans, Chanut et al. (2010) distinguent quatre modèles logistiques. Le premier modèle (modèle logistique n°1) est utilisé lors de la période de « décollage » de la grande distribution, années 1960 et 1970. Les industriels livraient les magasins des distributeurs soit de leurs usines, soit d’entrepôts leur appartenant. Au cours des années 1980, les premiers moyens logistiques physiques dans le canal de distribution sont apparus. Il s’agit du modèle logistique n°2. Il met en relation les usines avec les entrepôts puis les entrepôts avec les points de vente. Le recours des distributeurs aux entrepôts-plateformes s’explique essentiellement par la taille critique atteinte en termes de nombre de magasins. Alors que certaines plateformes sont gérées en propre par les distributeurs, d’autres sont confiées aux PSL. Ces derniers apportent une certaines expertise dans la conduite opérationnelle des activités logistiques (Roques et Michrafy, 2003 ; Paché, 2006 ; Camman et Livolsi, 2007). Cette stratégie d’externalisation a aussi permis aux distributeurs de se concentrer sur leur « cœur » de métier. Les premières opérations sous- traitées concernaient l’entreposage, la préparation des commandes et le transport. Par la suite, les PSL ont étendu leur offre de services à d’autres tâches comme le conditionnement, le co- manufacturing et le co-packing (Fulconis et al., 2011). Le modèle logistique n°2 marque le passage d’un circuit court (l’entrepôt de l’industriel est le seul intermédiaire entre le fabricant et le magasin) à un circuit long (intégration de nombreux intermédiaires tels que les entrepôts nationaux ou régionaux des distributeurs). Il a permis de stocker plus ou moins temporairement dans les entrepôts et ainsi faciliter la conversion des surfaces de stockage (réserves) adossées aux points de vente en surfaces de vente (Chanut et al., 2010). L’assortiment de l’offre commerciale en magasin s’est alors élargi. Cette organisation logistique des flux a contribué au développement des chiffres d’affaires des distributeurs. Elle a contribué au maintien de leur profitabilité ; celle-ci étant étroitement dépendante des volumes vendus à faible marge. Les années 1990 ont été caractérisées par un développement croissant du nombre d’entrepôts distributeurs. Malgré les coûts occasionnés par la généralisation des schémas en circuit long, les distributeurs ont réussi, grâce à une prise de contrôle de leurs chaînes logistiques, à les incorporer dans les contrats commerciaux. Une compensation financière est en effet systématiquement demandée à tout fournisseur livrant ses produits directement aux entrepôts distributeurs. Souvent elle dépasse les économies réalisées par l’optimisation des flux physiques, notamment celle inhérente à l’activité transport beaucoup moins onéreuse à cette époque qu’aujourd’hui. Au milieu des années 2000, un troisième modèle logistique fait son apparition dans le secteur de la distribution. Ce modèle n°3 intègre un nouvel intermédiaire entre les usines des producteurs et les plateformes régionales des distributeurs. Il s’agit d’entrepôts partagés par des fournisseurs de la grande distribution. Depuis peu de temps, ces entrepôts sont désignés comme des uploads/Industriel/ re-fe-rence-5 1 .pdf

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