Alter Revue de phénoménologie 19 | 2011 Le langage « L’inconscient est structur
Alter Revue de phénoménologie 19 | 2011 Le langage « L’inconscient est structuré comme un langage » Éléments pour une réception phénoménologiquede la conception lacanienne du primat du signifiant Philippe Cabestan Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/alter/1347 DOI : 10.4000/alter.1347 ISSN : 2558-7927 Éditeur : Association ALTER, Archives Husserl (CNRS-UMR 8547) Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2011 Pagination : 9-24 ISBN : 978-2-9522374-7-5 ISSN : 1249-8947 Référence électronique Philippe Cabestan, « « L’inconscient est structuré comme un langage » », Alter [En ligne], 19 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2020, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/alter/ 1347 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alter.1347 Revue Alter L’inconscient est structuré comme un langage 9 « L’INCONSCIENT EST STRUCTURÉ COMME UN LANGAGE » ÉLÉMENTS POUR UNE RÉCEPTION PHÉNOMENOLOGIQUE DE LA CONCEPTION LACANIENNE DU PRIMAT DU SIGNIFIANT Philippe Cabestan « On se souviendra que la discussion concernant la nécessité de l’avè- nement d’un nouveau langage dans la société communiste a réellement eu lieu, et que Staline, pour le soulagement de ceux qui faisaient confiance à sa philosophie, l’a tranchée en ces termes : le langage n’est pas une super- structure ». J. Lacan, Ecrits, Paris, Seuil, 1999, t. I, p. 493, note 6. Si bien des colloques sont inutiles, il en est d’autres auxquels, cinquante ans après, on regrette encore de n’avoir pas assisté. Le 6e colloque de Bonneval se tint du 30 octobre au 2 novembre 1960. L’inconscient freudien en était le thème. L’assistance se composait de psychiatres (Henri Ey, Georges Lantéri-Laura, Eugène Minkowski) ; de psychanalystes (Jean Laplanche, Serge Leclaire, Jean-Bertrand Pontalis pour la SFP et André Green, Conrad Stein pour la SPP) ; de philosophes (Alphonse De Waelhens, Jean Hyppolite, Henri Lefebvre, Maurice Merleau-Ponty, Paul Ricœur)1. Mais une person- nalité domina incontestablement les débats : celle de Jacques Lacan dont la conception linguistique de l’inconscient fut au centre des débats. Dans la biographie qu’elle lui a consacrée, Elisabeth Rou- dinesco évoque brièvement l’événement et rappelle qu’aux « parti- sans de la structure » s’opposèrent alors « les tenants d’un freudisme phénoménologique ». Ainsi, tandis que Serge Leclaire s’attachait à établir la pertinence de la thèse lacanienne à partir du cas clinique de « l’homme à la licorne », Jean Laplanche distinguait entre les « repré- 1. Il va de soi que nous ne pouvons citer ici tous les noms des participants. On consultera à ce propos l’ouvrage d’E. Roudisnesco, Histoire de la psychanalyse en France, Paris, Fayard, 1994, t. 2, p. 317 et sq. Le langage 10 sentations de chose » qui ressortissent à l’inconscient et les « repré- sentations de mot » qui relèvent du système préconscient-conscient, et soutenait que l’inconscient est la condition du langage. Pour Rou- dinesco, Lacan remporta à cette occasion « une belle victoire ». L’affir- mation est sans doute discutable2. En tout cas, cette victoire, si victoire il y eut, ne fut pas du goût de l’organisateur du colloque, Henri Ey, qui jugea sévèrement la conduite de Lacan — dont la participation aurait contribué à « faire de ce symposium un cirque »3 — mais qui n’en publia pas moins les actes quelque six ans plus tard4. Si Ey avait proposé à Lacan de participer en prenant simplement part au débat5, ce dernier lui envoya pour les actes un texte intitulé : « Position de l’inconscient », texte programmatique, « fort différent de la parole originelle », selon Roudinesco6. En effet, Lacan en pro- fite pour dire ce qu’il n’avait pas pu vraiment dire alors, et pour s’expliquer sur sa doctrine de l’inconscient. Il rappelle ainsi sa conception linguistique de l’inconscient, dont la paternité reviendrait, nous dit-il, à Freud : « Accorder cette priorité au signifiant sur le sujet, c’est, pour nous, tenir compte de l’expérience que Freud nous a ouverte, que le signifiant joue et gagne, si nous pouvons dire, avant que le sujet s’en avise, au point que dans le jeu du Witz, du mot d’esprit, par exemple, il surprenne le sujet. Par son flash, ce qu’il éclaire, c’est la division du sujet avec lui-même ». Ainsi le sujet est-il sujet de l’inconscient, c’est-à-dire sujet du signifiant, et « le registre du signifiant s’institue de ce qu’un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant »7. Comme nous allons essayer de le montrer, cette conception de l’inconscient et du primat du signifiant a été, c’est le moins que l’on puisse dire, très diversement reçue du côté des phénoménologues. Nous pensons à Merleau-Ponty, à Ricœur, à De Waelhens mais aussi, même s’ils n’en étaient pas, à Michel Henry. Pour ce qui concerne Merleau-Ponty, on sait que Lacan, alors qu’il espérait une reconnais- sance philosophique, fut déçu par l’attitude de l’auteur de la Phénoménologie de la perception8. En dépit de son intérêt avéré pour la 2. E. Roudinesco, Jacques Lacan, Paris, Fayard, 1993, p. 335. Jugement tempéré dans son Histoire de la psychanalyse en France, t. 2, p. 319. 3. R. Jaccard, Histoire de la psychanalyse (1982), Paris, Le livre de Poche, 1987, t. 2, p. 85. E. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, t. 2, p. 318. 4. H. Ey (ed.), L’inconscient, 6e colloque de Bonneval, Paris, Desclée de Brouwer, 1966. 5. E. Roudisnesco, Histoire de la psychanalyse en France, op. cit., t. 2, p. 318. Le texte de Lacan, « Position de l’inconscient », est repris dans les Ecrits, op. cit., t. 2, p. 309 et sq. 6. E. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France.2, op. cit., p. 324. 7. J. Lacan, Ecrits, op. cit., t. 2, p. 320. 8. Merleau-Ponty avait été, semble-t-il, plus « bienveillant » — l’adjectif est de Lacan — lors d’une discussion qui suivit une conférence de ce dernier devant la Société française de philosophie en février 1957. Cependant, Merleau-Ponty y exprimait déjà une certaine réserve vis-à-vis de la conception lacanienne du langage lorsqu’il demandait à Lacan si « Freud a L’inconscient est structuré comme un langage 11 psychanalyse, Merleau-Ponty reconnut éprouver « un malaise à voir la catégorie du langage prendre toute la place ». C’est alors, si l’on en croit François Dosse, du côté de Ricœur que Lacan aurait reporté ses espoirs de consécration philosophique au point de le raccompagner en voiture à Paris et de l’inviter à suivre son séminaire — ce que fit Ricœur consciencieusement un an et demi durant, bien que, comme il le confia à ses proches, le sens même des propos de Lacan lui échappât9. Toutefois, le malentendu, si l’on peut dire, entre Lacan et Ricœur se dissipa relativement rapidement. De fait, lors de ce colloque 6e colloque, Ricœur exposa par avance les grandes lignes de sa lecture de Freud, qu’il développera cinq ans plus tard, en 1965, dans De l’interprétation, et qui tournait résolument le dos à une interprétation strictement linguistique de l’inconscient10. En revanche, Jacques Lacan trouva en De Waelhens un auditeur (potentiellement) bien plus favorablement disposé à son égard, comme en témoigne, douze plus tard, en 1972, la publication par De Waelhens d’un ouvrage qui connut en son temps un grand succès et intitulé simplement : La Psychose. Sous-titré : Essai d’interprétation analytique et existentiale, cet ouvrage est pour une large part dominé par les thèses de Lacan dont De Waelhens qualifie l’œuvre de « magistrale »11. Est-ce à dire que la réinterprétation linguistique de l’inconscient freudien permettrait de réconcilier phénoménologie et psychanalyse ? Telle est l’hypothèse que nous voudrions ici examiner, en étudiant la manière dont les phénoménologues contemporains, Henry, De Waelhens, Merleau-Ponty et Ricœur, ont de fait accueilli la conception lacanienne de l’inconscient, que l’on résume bien souvent à l’aide d’une formule : « L’inconscient est structuré comme un langage ». 1. La thèse lacanienne du primat du signifiant Il va de soi que cette thèse n’est pas une thèse parmi d’autres. Tout au contraire, on peut soutenir qu’elle se tient au cœur de l’inter- prétation lacanienne de l’œuvre de Freud. Dans son Introduction à la lecture de Lacan, publié en 1985, soit quatre ans après sa mort, Joël Dor déclare : « Une des préoccupations constantes de Lacan est bien d’avoir œuvré à la restauration de l’originalité freudienne de l’expé- rience de l’inconscient sous la bannière d’une hypothèse aussi audacieuse que : l’inconscient est structuré comme un langage. On peut vraiment vu le langage, la parole, la fonction philosophique de la parole comme vous la voyez ? », M. Merleau-Ponty, Parcours deux, Lagrasse Verdier, 2000, p. 213. 9. F. Dosse, Paul Ricœur. Les sens d’une vie, Paris, La Découverte, 2001, p. 326. 10. Ibid., p. 323-324 11. A. De Waelhens, La Psychose. Essai d’interprétation analytique et existentiale, Louvain-Paris, Nauwelaerts, 1972. Le langage 12 même tenir cette hypothèse comme la plus fondamentale à toute l’élaboration théorique lacanienne »12. Lorsqu’elle est exposée en 1960, alors que Lacan est dans sa soixantième année, elle est loin d’être une nouveauté pour les fidèles du séminaire dont les premières séances remontent à 1951. C’est en effet au début des années cin- quante que Lacan en vient à rompre avec la conception — soit uploads/Ingenierie_Lourd/ alter-1347.pdf
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- Publié le Fev 10, 2021
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