1 2 Raoul WEISS J’AI TUÉ OBAMA Journal et notes d’un interprète de la Maison Bl

1 2 Raoul WEISS J’AI TUÉ OBAMA Journal et notes d’un interprète de la Maison Blanche 2012 Editions du Présent Littéraire Arad 3 Collection MOI JEU, vol. I Collection dirigée par: Claudiu Gaiu 2012 ©Présent Littéraire SRL, Roumanie - www.le-present-litteraire.com I.S.B.N. : 978-606-93122-1-6 4 in memoriam Manuel Vázquez Montalbán « vencerán las mentiras mejor armadas » 5 29 juillet 2009 Barack me surprendra toujours. En privé, il fait preuve d’un humour beaucoup plus fin que le comique apparemment involontaire de ses boutades publiques du genre Audacity of hope. Dans le Salon des traités, frappé de désaffection par la réticence atavique des peuples non hongrois à signer des traités avec des superpuissances au bord de la banqueroute, il a fait transporter une partie de la collection de babioles anthropologiques de feu sa mère, Ann Dunham, pionnière du tourisme ethnosexuel. Il adore s’y vautrer sur les tapis choisis par Jacqueline Kennedy et couverts des poils de Bo, le chien d’eau portugais offert à ses filles par Ted Kennedy. En règle générale, il adore tout ce qui a trait à la maison Kennedy, même si le mot « JFK » (même quand le contexte indique clairement qu’il s’agit de l’aéroport) et la mention de Dallas pendant un plat de résistance carné lui donné invariablement le hoquet. Prenant simultanément la tête du mammifère dans ses mains et l’accent des nègres de Tintin, il dit souvent, en français dans le texte : Fais le Bo… et d’ajouter sardoniquement, en passant sans transition au texan dialectal de Bush 1er : … for the colored bo’ ! – Bo est le chien dont rêvent tous les bobos – dis-je dans mon meilleur français Assimil. L’explication de texte qui suit cette blague piteuse le porte aux limites de l’orgasme intellectuel : comme tous les athées riches dénués de sens moral, il est affligé d’une curiosité intellectuelle virtuellement infinie – et concrètement limitée dans le temps par un agenda suffisamment dense pour faire oublier aux téléspectateurs de FoxNews qu’ils sont gouvernés par Lloyd Blankfein. Lundi dernier, tout en me dictant une demande d’autorisation de découvert pour CHF – 45 000 000 000 à traduire en suisse alémanique et en romanche dialectal pour le soir même, s’arrêtant devant une commode victorienne volontairement écrasée par une statue de Ganesh au bol vide volée par son beau-père indonésien au cours d’une étude de terrain dans un temple du Plateau de Dieng, il a esquissé une génuflexion moqueuse en me chuchotant, clin d’œil à l’appui : « c’est le dieu de la reprise économique ! ». 6 31 août 2009 Arrivé à 10h devant la Vermeil Room, où devait se tenir la réunion d’arbitrage entre l’ambassadeur du Pérou et les représentants du lobby peau-rouge, bien décidés à négocier âprement les droits du port de plume dans les orchestres andins ambulants, je trouve la pièce vide. Dans les fauteuils du vestibule, Luis Valdivieso insulte en Quechua Bawd-way-wi-dun- Awaide, représentant d’une ethnie du Wisconsin, qui de toute évidence ne se sent pas vraiment concerné, et poursuit une session d’e-trading sur son e-phone. Après quelques minutes d’errance dans les couloirs du palais, je trouve Michelle et Joe Biden en grand conciliabule devant la Situation Room, n’interrompant leur messe basse que pour écouter de temps en temps à la porte. Remarquant ma présence, ils me jettent d’abord un regard gêné, puis Michelle, toute honte bue : – Je suis si contente de vous voir ! Entrez, et essayez de le convaincre d’aller se coucher ! Vous, vous savez lui parler. Et Biden d’ajouter : – Préparez-vous au pire ! Dans la pénombre de la Situation Room, au troisième pas, je trébuche sur une bouteille vide de Macadamia Nut. A la lumière spectrale de l’écran géant auquel il a réussi à connecter sa Nintendo, j’aperçois Barack, qui, pieds sur la table dans un training taché, vient de battre son record personnel sur Days of Ruin. On a appris hier la victoire électorale du Minshutô prochinois au Japon. Ramassant en chemin les sachets d’amandes grillées qu’il avait dispersés sur la moquette, j’ai atteint le fauteuil présidentiel en pleine fin de partie. Laissant tomber sa console, il a levé vers moi deux yeux exceptionnellement blancs et articulé d’une voix pâteuse : – Game over ! Prenant la voix de Gérard Jugnot dans un téléfilm cofinancé par France 2, j’ai voulu me lancer dans un difficile exercice d’empathie avec le Maître du Monde : – Barack, enfin… Mais je ne trouvais pas mes mots. L’anglais américain, durablement influencé par la promotion « Ronald Reagan » d’acteurs hollywoodiens, se prête assez mal à l’exercice très vieux monde de l’exhortation consolatoire. Sortant simultanément son interprète de l’embarras et un billet de 10 de la poche de son jogging, Barack a glissé celui-ci dans la main de celui-là : – Allez m’acheter un paquet de Malboro sur Pennsylvania ! 7 Devant le DCSnack de la rue G, trois obèses albinos de sexe probablement féminin, du collectif SmokefreeDC, terrorisaient les clients à l’entrée et à la sortie du magasin. Ces derniers étaient d’ailleurs pour la plupart des technocrates mutants en quête de cocktails de vitamines et de sandwichs macrobiotiques, qui jetaient un regard vaguement horrifié à ce white trash prosélyte avant de reprendre le jogging perpétuel de leur existence. Mon apparition avec le paquet de Malboro en main, mal dissimulé par un sachet transparent, a déclenché un accès d’hystérie chez les mastodontes. Victime de mon conditionnement de la Ferme, j’ai automatiquement adopté la position kokutsu-dachi, tout en repérant inconsciemment les points d’attaque létale dissimulés dans la masse adipeuse des trois électrices. Compte tenu du risque vasculaire, une simulation du coup aurait probablement suffi à les neutraliser jusqu’à leur prochaine réincarnation. Deux d’entre elles ont battu en retraite. La troisième, s’arrêtant net (compte non tenu de l’inertie, qui a encore projeté dans ma direction une partie de son abdomen après immobilisation du squelette) à 130 cm de mon bras gauche, a puisé dans l’énergie du désespoir le courage de couiner à mon encontre, dans un insupportable nasillement d’anglo-américain en phase terminale : – Fumer tue ! En glissant posément dans la poche de ma veste le paquet et la monnaie de 2$10 cents que j’allais probablement pouvoir conserver, j’ai répondu entre mes dents : – Te bile pas, ma grosse, il est déjà mort. A mon retour de courses, léger changement de décor. Michelle a fait disparaître les traces de beuverie et arpente nerveusement la salle avec un déodorant aérosol. Barack, affalé sur la table la tête dans les bras, sanglote régulièrement tandis que Biden, prudemment penché sur ce qui reste de son président, lui tapote gentiment l’épaule en répétant comme une litanie : – Allez quoi, ressaisis-toi, Bar, tu vas pas te gâcher la santé pour quelques niakoués qui nous pètent dans les paluches ! Tiens, tu sais quoi, on va leur découvrir du benzène dans les soupes de nouilles ! Et dans la foulée, 300% sur le saké ! Tu vois ces économies de maintien de l’ordre, une fois que ces schtroumpfs radins pourront plus se torcher comme des porcs dans les sushis de 1st Avenue ? Et Michelle de surenchérir : – On prend les filles et on va à un entrainement des Bulls ! J’appelle Del Negro depuis l’hélicoptère. Arnaud doit déjà être au taff, je te commande un sandwich aux rillettes – mais pour l’amour de Dieu, rase-toi ! – Et puis l’Europe reste à nous : j’ai eu Brown au téléphone, Bar, il s’est entendu avec Zapa et le Nain, Bar, tu sais qui ils vont faire nommer Président du Conseil si le Traité de Lisbonne passe ? Herman Van Rompuy ! Tu imagines ? Herman Van Rompuy ! Ha-ha-ha ! Et encore, c’est parce qu’ils n’ont pas pu ressusciter Paul Claudel ! Mais les éclats de rire de Biden sonnaient aussi faux que les statistiques du chômage de juillet. Puis à nouveau Michelle : – Et si je te faisais mon crumble aux pommes ? Et d’ajouter, avec une note de désespoir dans la voix : – Bien friable, comme tu aimes… 8 Dans le crépuscule permanent de Tikkurila, à l’heure où ferment les karaokés de l’ennui boréal, j’avais fait d’un frigo et d’un placard les derniers sanctuaires de mes espoirs et de mes craintes de mammifère décontextualisé. L’un contenait le lard fumé et les conserves de choucroute acquis deux jours plus tôt sur le marché libre de Tallinn, l’autre trois bouteilles de Rioja sous étiquette russe. La veille au soir, pour la première fois, une adolescente de 14 ans m’avait demandé mon numéro de téléphone dans une station de métro, en proie à l’illusion que je serais susceptible, le weekend venu, de lui fournir de l’alcool et des sévices gratifiants. Entre deux forêts, dans les saunas souterrains des îlots résidentiels de la banlieue Nord de Helsinki (Union Européenne), les humanoïdes attendaient, canette de Karjalai à la main, le moment de placer leurs saucisses de synthèse sur des barbecues électriques. L’espace d’un instant, j’ai songé à aller en griller uploads/Ingenierie_Lourd/ jai-tue-obama.pdf

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