Les savoirs scolaires. Culture scolaire, scolarisation et transposition didacti
Les savoirs scolaires. Culture scolaire, scolarisation et transposition didactique Nathalie Denizot Inspé de Paris, Sorbonne Université CELFF (UMR 8599) Jongny (CH), 13. 02. 2020 Introduction • Mes travaux visent à comprendre et à décrire les processus de construction des savoirs scolaires • J’ai d’abord travaillé sur des « genres » scolaires (des genres littéraires comme la tragédie classique, les genres biographiques et autobiographiques, mais aussi des genres textuels comme la dissertation), que je décris comme des « formes scolaires » des genres, résultant de processus complexes de « scolarisation » (Denizot, 2013) • Je m’intéresse ainsi à la fabrication d’une littérature scolaire (la construction des corpus littéraires scolaires, la fabrication des extraits, etc.) • Et plus largement à la fabrication d’une culture scolaire (en étudiant aussi les exercices, les manuels scolaires, etc.) et à cette notion même de « culture scolaire », que je veux contribuer à redéfinir 2 Plan de l’exposé 1. La question des savoirs scolaires 2. Culture scolaire et scolarisation 3. La scolarisation, une construction - Les corpus de la tragédie classique - La scolarisation de la devinette dans une classe de primaire - La dissertation 4. Conclusion 3 La question des « savoirs scolaires » 4 La transposition didactique et la question des savoirs • La question de l’origine et de la nature de la culture scolaire a été beaucoup travaillée autour du concept de « transposition didactique », élaboré à la suite des travaux de Verret (1975) par Yves Chevallard (1985 et surtout 2de édition enrichie en 1991) • Les débats autour de la TD ont fait apparaitre dès les années 1990 plusieurs critiques adressées à ce concept, et notamment : – Une conception réductrice des savoirs scolaires – Une définition restreinte de l’acte même de transposition • Certaines critiques ont été fécondes et ont conduit à des reformulations et réélaborations • Le concept de TD a été discuté et travaillé dans le champ des didactiques notamment autour de 3 axes : – Le transfert de ce concept du champ de la didactique des mathématiques à d’autres didactiques (la spécificité des disciplines) – Les alternatives possibles à ce concept – La question des savoirs 5 La question des savoirs • Les « savoirs savants » : une notion présente dès 1985 dans le sous-titre de l’ouvrage de Chevallard, et très discutée (abandonnée par Chevallard ensuite) • Objections principales faites à la notion de « savoirs savants » tiennent : – à la nature même de ces savoirs (qu’est-ce qu’un « savoir savant » dans une discipline moins « savante » que les mathématiques ? ») – À leur statut (les savoirs savants sont-ils les seuls savoirs de référence pour les disciplines scolaires ?) • Parallèlement à notions de « savoirs savants », Martinand élabore notion de « pratique sociale de référence » (1986), pour répondre à la problématique spécifique des savoirs dans les disciplines technologiques • puis savoirs « experts » (Johsua), « de sens commun » (Perrenoud), etc. 6 La question des savoirs • Une typologisation des savoirs, qui rend parfois difficile la saisie du savoir scolaire • D’où deux propositions pour éviter l’émiettement Halté et les « complexes d’objets » (1998) Schneuwly (1995) : les savoir faire et les pratiques sociales de référence sont « modélisés » pour devenir objets d’enseignement et sont donc aussi des « savoirs » 7 Savoirs, objets, contenus • La notion de savoir est actuellement en concurrence chez les didacticiens avec les « objets », et surtout avec les « contenus » d’enseignement et d’apprentissage (qui se réfèrent aux savoirs, aux savoir-faire, aux pratiques, aux savoir-être, aux valeurs, etc. : à tout ce qui à l’école est objet de l’enseignement et de l’apprentissage) • Mais la TD a contribué à construire théoriquement la notion de « savoir » dans le champ des didactiques (et plus seulement dans celui de l’histoire ou de la sociologie) • Et a contribué à repenser la notion de « culture scolaire », en permettant de ne pas réduire la question d’une culture scolaire aux contenus eux-mêmes, mais de considérer également la question de la nature, de l’élaboration et des finalités de ces contenus 8 Culture scolaire et scolarisation 9 La culture scolaire • La culture scolaire a été longtemps suspecte : dans les travaux des didacticiens du français, elle a longtemps été pensée dans le cadre critique inspiré des travaux en sociologie de l’éducation des années 1960-1980 (Bourdieu et Passeron 1964 et 1970). Dans ce cadre, la culture scolaire n’est ni neutre ni universelle, elle transmet la culture dominante, celle des classes sociales bourgeoises • On se méfie donc de cette culture vue en ce qui concerne la discipline français comme essentiellement « patrimoniale » (les grands auteurs, les belles pages, le discours d’admiration) L’idée est donc qu’il faut « réformer » la culture scolaire Et ces conceptions contribuent à dévaloriser durablement le « scolaire » 10 La culture scolaire • La question de la culture scolaire a été renouvelée dans les années 1970-1980 par 3 approches, qui s’intéressent chacune dans son champ à la question des savoirs scolaires : – La sociologie du curriculum, nourrie par les travaux anglo-saxons (voir la synthèse de Forquin en 1989) – Les travaux des didacticiens sur la transposition didactique (Chevallard, 1985-1991) et plus largement sur la question de la genèse et de la référence des savoirs – L’histoire de l’éducation et l’histoire des disciplines (l’ouvrage de Chervel en 1977 sur la « grammaire scolaire ») • Ces travaux interrogent la nature et l’élaboration des savoirs scolaires, avec cette idée que les savoirs scolaires résultent d’une « fabrication » • En prenant en compte l’épaisseur historique des savoirs et des pratiques 11 Réhabiliter le « scolaire » • Ces travaux permettent de réhabiliter le « scolaire » comme lieu de transmission et d’apprentissage des savoirs • En envisageant la culture scolaire non plus comme une sous-partie de la culture globale mais comme une culture spécifique, originale, produite par l’école (Chervel, 2005), qu’il s’agisse de contenus, de pratiques ou de valeurs • Notamment via les disciplines scolaires, qui sont des constructions socio-historiques dont la visée fondamentale est de « fabriquer de l’enseignable » (Chervel, 1998) • Et en donnant à la notion de culture une conception anthropologique : du côté du faire plutôt que de l’avoir ; des pratiques culturelles plutôt qu’une culture d’œuvres (d’art) 12 Penser la spécificité de l’institution scolaire • Parler de « culture scolaire », c’est prendre au sérieux les spécificités de l’école, en tant qu’institution sociohistorique • Pour penser non pas une mais des cultures scolaires sociohistoriques (et des formes scolaires sociohistoriques, voir Schneuwly et Hofstetter, 2017), et pour penser les processus propres à l’école dans leur épaisseur historique • La culture scolaire est donc une construction, qui implique des processus complexes (transposition, reconfiguration, redéfinition, contamination, création, etc.), construction que je désigne sous le terme de « scolarisation » • Penser les objets scolaires non comme transposés par des agents extérieurs à l’école, mais comme élaborés à l’intérieur même du système scolaire 13 Processus de scolarisation Trois exemples 14 L’exemple de la tragédie classique • La tragédie classique entre dans le canon classique tardivement, après 1803. • Tout au long du XIXe siècle, elle existe sous deux formes : – un corpus de textes à lire : les tragédies « saintes » (Poleuycte, Esther et Athalie), à lire, méditer et apprendre par cœur – un corpus composé d’extraits et dont l’usage est tourné vers des pratiques langagières scripturales : la tragédie est un réservoir de modèles pour l’apprentissage du discours français (Pascal, 2003) • Cf. Noël et Delaplace (1805) : dans le volume Poésie : sur 51 « discours et morceaux oratoires », 43 extraits de tragédie ; sur 38 « narrations », 12 extraits de tragédie ; quasiment aucun ailleurs. Les solidarités textuelles des extraits de tragédie ne sont pas du côté d’un genre littéraire « tragédie », mais du côté des genres scolaires « morceaux oratoires » et « narrations » 15 • Les manuels scolarisent le genre en le spécialisant, et en construisant deux corpus scolaires différents, liés à des pratiques langagières et des visées disciplinaires différentes • 2 modes d’existence scolaire de la tragédie classique, avec deux usages scolaires : – Un premier mode d’existence place quelques tragédies du côté des textes édifiants à lire – Un autre mode d’existence place les extraits du côté des textes rhétoriques à imiter • Ces 2 usages - non exclusifs l’un de l’autre - se lisent dans les recueils. Par exemple chez Roche, 1853 : – d’un côté de longs passages dialogués d’Esther et Athalie pour la lecture – de l’autre côté une sélection de tirades ou de monologues de différentes pièces, avec des titres identificateurs, pour la production de discours 16 • L’usage scriptural a quasiment disparu avec la suppression du discours (après 1880), mais l’usage lectoral a perduré, avec des finalités disciplinaires différentes selon les époques (finalités morales, enseignement de l’histoire littéraire, pratiques d’explication de textes, etc.) • Lorsque l’usage uploads/Ingenierie_Lourd/ les-savoirs-scolaires-culture-scolaire-scolarisation-et-transposition-didactique.pdf
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- Publié le Mar 23, 2021
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