MAURICE MERLEAU-PONTY, UNE ESTHÉTIQUE DU MOUVEMENT Stefan Kristensen Centre Sèv

MAURICE MERLEAU-PONTY, UNE ESTHÉTIQUE DU MOUVEMENT Stefan Kristensen Centre Sèvres | « Archives de Philosophie » 2006/1 Tome 69 | pages 123 à 146 ISSN 0003-9632 DOI 10.3917/aphi.691.0123 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2006-1-page-123.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres. © Centre Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Or, en lisant les notes préparatoires de son premier cours du Collège de France intitulé « Le monde sensible et le monde de l’expres- sion » 1, on s’aperçoit que le cinéma joue également un rôle essentiel. Le pré- sent texte porte sur la phénoménologie merleau-pontienne du mouvement, ses rapports avec le cinéma, ce qui m’amènera au rapport de Jean-Luc Godard à la phénoménologie et à indiquer les prémisses d’un dialogue avec l’approche deleuzienne du cinéma. J’espère ainsi mettre en évidence les fon- dements d’une esthétique qui puisse entrer en dialogue avec les tendances principales de la réflexion esthétique contemporaine. Je défendrai la thèse que Merleau-Ponty avait une approche cinématographique des arts visuels en général et que si la peinture est bien le langage qui manifeste la genèse de notre rapport au monde, le cinéma est celui qui rend visible l’invisible de nos rapports avec autrui. 1. La dimension perceptive de l’expression Lorsqu’il reprend son projet sur la perception dans la foulée de son acces- sion au Collège de France, en introduction au cours sur « Le monde sensible et le monde de l’expression », Merleau-Ponty réfléchit sur les « insuffisances » * Je remercie Etienne Bimbenet, Curzio Chiesa, Mauro Carbone, Franco Paracchini, Marie Parvex, Hamid Taïeb et Dork Zabunyan pour leur lecture et leurs suggestions. 1. Il s’agit du cours principal de la première année de l’enseignement de Merleau-Ponty au Collège de France (cours du jeudi), dont les notes sont encore inédites. On en trouve le résumé dans les Résumés de cours, Paris, Gallimard, 1968, 11-21. Les passages sont cités d’après ma propre transcription. Archives de Philosophie 69, 2006 © Centre Sèvres | Téléchargé le 02/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 79.169.56.110) © Centre Sèvres | Téléchargé le 02/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 79.169.56.110) de la Phénoménologie de la perception. On assiste cependant en lisant les notes du cours, à une redéfinition du sens de la perception en termes de mou- vement du champ phénoménal et à un renversement de priorité du sujet vers le champ perceptif. Il s’agit dans ce cours de la dernière théorie de la per- ception de Merleau-Ponty, avant qu’il ne passe à cet autre projet d’une « onto- logie du sensible » 2: une radicalisation de la thèse de 1945 selon laquelle le schéma corporel est l’étalon de mesure des choses perçues, « invariant immé- diatement donné par lequel les différentes tâches motrices sont instantané- ment transposables » (PhP , 165). Le corps est un « espace expressif », il est même « l’origine de tous les [espaces expressifs], le mouvement même d’ex- pression, ce qui projette au dehors les significations en leur donnant un lieu » (PhP , 171). En d’autres termes, il y a déjà dans l’ouvrage de 1945 la thèse forte que l’analyse de la perception comme activité du corps a partie liée avec l’analyse de la motricité et donc avec le problème de la perception du mou- vement. Dans ce texte, l’origine de toute signification est le corps comme motricité spontanée. Lorsqu’il écrit que « le corps est notre moyen général d’avoir un monde » (ibid.), il pose, à l’instar de Husserl dans les Ideen, une priorité du noétique sur le noématique, c’est-à-dire une priorité de l’acte sur l’objet intentionnel. Or cela conduit à considérer le corps comme une conscience qui, située dans le monde, conserve pourtant pour ainsi dire un pied en dehors et peut souverainement décider de conférer un sens à ce qu’il perçoit. L’origine du sens est donc expliquée avec des concepts provenant de modes de pensée dualistes 3. Ainsi, Merleau-Ponty reconnaît en 1953 que son analyse « restait tout de même ordonnée à des concepts classiques tels que: perception (au sens de perception d’un objet isolable, déterminé, considéré comme forme canoni- que de nos rapports avec le monde), conscience (en entendant par là pouvoir centrifuge de Sinn-gebung qui retrouve dans les choses ce qu’elle y a mis), synthèse (qui suppose éléments à réunir) (par exemple problème de l’unité des Erlebnisse), matière et forme de la connaissance » (MSME, 17) 4. L’analyse de la perception proposée dans le cours fait donc l’impasse sur ces 124 S. KRISTENSEN 2. Il est clair que la reprise du travail sur la perception en 1952-1953 n’est pas non plus dans l’esprit de Merleau-Ponty un projet autonome devant aboutir à un ouvrage qui amende- rait et approfondirait la Phénoménologie de la perception. Il s’agit d’un travail préparatoire à cette théorie générale du sens (« l’origine de la vérité ») dont il annonce les tenants dans son texte de candidature au Collège de France (Parcours deux, p. 36-48). Cela n’empêche que l’on peut tout de même évaluer et discuter les résultats de cette seconde théorie de la perception, tout en laissant de côté la question de l’écart entre le projet originel et Le visible et l’invisible. 3. Sur le « dualisme » de Merleau-Ponty, cf. BARBARAS 1991, chapitre 1, en particulier p. 24-33. 4. Cf. la note de travail du Visible et l’invisible de juillet 1959 où il explique que « Les pro- blèmes posés dans PhP sont insolubles parce que j’y pars de la distinction « conscience » – objet » (VI, 250). © Centre Sèvres | Téléchargé le 02/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 79.169.56.110) © Centre Sèvres | Téléchargé le 02/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 79.169.56.110) notions « classiques » et se structure autour de deux thèmes centraux: l’ex- pression et le mouvement. Ces notions sont au fondement de la théorie de la conscience comme « conscience perceptive ». Merleau-Ponty nomme par le concept d’expression le phénomène le plus originaire de la vie intention- nelle, le fait que le sens du donné dépasse toujours le donné lui-même, à savoir que tout phénomène est vécu comme renvoyant à un autre que lui. La structure de renvoi est ainsi constitutive de tout apparaissant en tant que le donné renvoie par sa présence même à ce qui est caché de l’objet. En 1952, Merleau-Ponty emploie l’expression non seulement au sens de l’horizon inté- rieur d’un phénomène, mais surtout d’horizon extérieur. En effet, l’exem- ple qu’il donne en introduction du cours montre bien qu’il vise le phéno- mène en tant que constitué par sa relation à un autre que lui: « On entend ici par expression ou expressivité la propriété qu’a un phénomène, par un pur agencement interne, d’en faire connaître un autre qui n’est pas ou même n’a jamais été donné – l’outil, l’ouvrage, exprime l’homme en ce sens » (MSME, 18). La thèse, qui éloigne ici Merleau-Ponty de la phénoménologie au sens classique, est que le sens est conçu comme tributaire non pas d’un acte de la conscience, mais d’une configuration du champ lui-même. L’expression n’est pas la seule propriété des signes, mais devient celle de l’ensemble du réel en tant qu’il est en contexte et qu’il forme des situations qui ont du sens. La conscience perceptive, qui est conscience de l’expression au sens que nous venons de préciser, est néanmoins « tacite, elle ne porte pas sur des significations libres qui existent pour elles-mêmes » (MSME, 21). Elle porte sur des écarts dans le champ perceptif, des écarts par rapport à « une syntaxe que nous pratiquons sans en avoir la science. » (ibid.) La conscience perceptive est une conscience dépossédée, endettée à l’égard des choses. Sans renier les thèses défendues en 1945, Merleau-Ponty cherche à les « récupérer en termes d’expression » (ibid.), à les réinterpréter à l’aune d’une telle notion de conscience, c’est-à-dire « en vertu d’un rapport expressif entre les sensibles et l’organe percevant » (MSME, 20). Les phénomènes ont du sens en vertu du rapport uploads/Ingenierie_Lourd/ merleau-pornty-l-expression-et-le-mepris.pdf

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