Recherches n° 45, Écritures de soi, 2006-2 ENJEUX D’ECRITURES ET DE LECTURES AU

Recherches n° 45, Écritures de soi, 2006-2 ENJEUX D’ECRITURES ET DE LECTURES AUTOBIOGRAPHIQUES EN CLASSE DE TROISIEME Malik Habi Collège J.-B. Lebas, Roubaix S’écrire au collège, et plus particulièrement en classe de troisième, me semble une entreprise difficile, aussi bien pour l’élève que pour l’enseignant, et une entreprise à certains égards paradoxale. C’est en effet une entreprise à la croisée de plusieurs données : d’un côté des injonctions (le genre autobiographique est inscrit au programme) et des évidences didactiques pour l’enseignant (comment étudier et mesurer les implications et les enjeux de ce genre sans en passer par l’écriture ?) De l’autre côté, des réticences (des élèves qui ne souhaitent pas se dire et des professeurs qui ne souhaitent pas nécessairement tout s’entendre dire), des contradictions (comment demander à un élève de parler de lui quand l’adulte ne le fait pas ?), des barrières idéologiques, morales, sociales, voire religieuses, qui ne se laissent pas franchir aisément. Travailler l’autobiographie en classe de 3e est une nécessité qui pourtant peut s’avérer périlleuse : entre parole prolixe et pudeur silencieuse, entre tentation de tout vouloir dire et désir de retenue, il est difficile de se dire, et encore plus difficile d’apprendre à se dire, quand on est un-e élève qui s’apprête à quitter le collège. Pourtant, dans le cadre des heures de vie de classe de 3e, je suis toujours frappé par l’aisance avec laquelle les élèves aiment écrire des préoccupations propres aux adolescents qu’ils sont, des préoccupations personnelles, formulées à l’occasion d’un propos sur leur statut d’élèves. C’est le cas lorsqu’ils écrivent sur leur scolarité, et plus particulièrement sur leur orientation (quand ils « pré-rédigent » leurs bulletins scolaires, quand ils font le bilan d’un stage en entreprise, quand ils explicitent leurs souhaits d’orientation, etc.). C’est le cas aussi d’autres textes qu’ils 18 produisent dans ces heures de vie de classe (comment ils se voient, comment ils pensent être vus, ce qu’ils aiment faire, ce qu’ils détestent, ce qu’ils voudraient faire…). Ou encore quand ils prennent de la distance avec leur propre expérience (quand par exemple, à l’occasion du bilan annuel, ils donnent des conseils à de futurs élèves de 3e qui les liront à la rentrée…). Or ce qu’ils écrivent et disent en vie de classe réalise ce qui fait le cœur de l’écriture autobiographique : je pense ici à leur propre regard qui se construit et s’aiguise et à la sollicitation du regard des autres sur soi. Le passage par l’écriture, dans ces situations, est en même temps l’occasion d’un apprentissage de la lecture de l’autre : s’écrire pour se faire lire entraîne, comme par contrat, la nécessité d’une bienveillance à l’égard du texte de l’autre – qu’il soit un autre élève ou un auteur reconnu. C’est cette expérience de l’expression et de la lecture « spontanées » d’élèves- adolescents qui me conforte dans la conviction qu’un enseignement et un apprentissage organisés de l’autobiographie sont possibles sans fuir les questions éthiques que pose le genre. Les activités présentées ci-dessous n’ont pas la prétention d’être originales ou novatrices, je les ai simplement choisies parce qu’elles me semblent mettre à jour les difficultés inhérentes à l’étude, avec des adolescents, du genre autobiographique et aborder les aspects incontournables de ce genre sans en masquer les enjeux. 1. CORPUS 1 : NAISSANCES La séquence, dont le titre n’a pas encore été donné aux élèves, démarre par l’étude d’un corpus constitué de trois incipits d’autobiographies du XXe siècle. Il s’agit des Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, des Souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar et d’Une fois sept de Claude Michelet, extraits souvent proposés dans les manuels scolaires. Ce corpus se justifie pour au moins deux raisons : les trois extraits convergent par une thématique commune (chaque auteur ouvrant son œuvre par le récit de sa naissance) mais divergent quant aux indices d’identification de l’énonciateur, indices variés ici. Pour reprendre à Philippe Lejeune la terminologie qu’il propose dans son ouvrage, Le Pacte autobiographique, le texte de Michelet revêt la forme du pacte explicite car le prénom de l’auteur (dont il joue longuement) figure dans l’extrait ; ceux de Yourcenar et Beauvoir celle du pacte implicite car les indices y sont plus ténus : les dates de naissance des auteures figurent dans les textes et, si l’on observe les paratextes, les titres donnés aux œuvres suggèrent une lecture autobiographique (mémoires et souvenirs). Une fois les textes lus, une consigne est donnée aux élèves : « Quels points communs et quelles différences pouvez-vous faire entre ces trois textes ? » Ce travail assez long de trente minutes est effectué en groupes, et les invite à confronter ces trois extraits par le biais de cette consigne volontairement large. Dans un deuxième temps, je les questionne, de manière plus serrée, sur l’identité des auteurs, narrateurs et personnages principaux de ces trois textes. Je pourrais très bien commencer directement par la deuxième consigne, qui cible de plus près le genre autobiographique, mais cette première phase 19 d’appropriation des textes par les élèves me semble indispensable pour au moins plusieurs raisons. Elle permet tout d’abord une approche plus large et plus dense de ces trois textes, elle peut aussi permettre à chaque élève de faire une remarque sur les textes au sein de son groupe, enfin elle permet aux élèves de formuler des points qui les ont interpellés1 et pour lesquels ils aimeraient avoir des réponses. Pour preuve, la remarque de cette élève pointant le fait que « les femmes écrivent plus leurs vies que les hommes » ou celle de tel autre pensant que les auteurs n’écrivent leurs vies que depuis le XXe siècle, ou encore celle de tel autre croyant que l’autobiographie est un phénomène strictement français. Je me propose de décrire dans le détail les deux activités de cette séance. Une bonne trentaine de minutes est accordée aux groupes pour répondre à la première consigne. Je passe une première fois dans les groupes, écoute ce qu’ils se disent, observe ce qu’ils écrivent. Puis une deuxième fois. Là, je leur pose des questions sur ce qu’ils ont écrit, attire leurs regards sur un endroit du texte qui confirme où infirme ce qu’ils ont écrit… Je désigne ensuite un élève, au fur et à mesure de mes passages autour des tables, pour qu’il aille écrire au tableau (déjà organisé en plusieurs colonnes, cf. schéma ci-dessous) une des remarques faites par son groupe, remarque que j’ai jugée intéressante, significative de leur travail et méritant observation, voire discussion. Pour cela, il faut apprendre à désacraliser le classeur, laisser les différentes strates d’écriture – traces des étapes d’un travail – s’accumuler sur la feuille, ne pas qualifier de « bon » ou de « pas bon » ce qui est écrit. Mes élèves ont maintenant l’habitude de cette manière de faire (le très souvent lourd corpus qui inaugure une nouvelle séquence) et notent la remarque faite par le groupe, très vite et sans que j’aie à le leur signaler, à la suite des leurs. Il est vrai que cette manière de faire n’est pas sans provoquer encore une certaine émulation en classe de 3e, certains étant pressés d’aller écrire au tableau de classe ou de se dégourdir tout simplement les jambes. Figurent, ci-dessous, quelques réponses de groupes à la consigne 1 : Caractéristiques (points communs et différences) texte 1 texte 2 texte 3 L’auteur raconte la naissance du personnage principal. X X X Le narrateur est interne, il dit « je ». X X X Les écrivains sont des femmes. X X Ce sont des débuts de récit car il y a une lettrine2. X X X Le narrateur parle de sa famille. X X X Les auteurs utilisent un registre très soutenu. X X __________ 1. Souvent, il nous arrive de constater que certaines données textuelles (qu’elles soient culturelles, sémantiques…) paralysent l’entrée de certains élèves dans les textes. Il me semble donc très utile, voire nécessaire, de leur laisser un temps d’échange et de débat, entre eux et avec leurs mots, sur les textes. Si le groupe ne permet pas à l’élève de lever le barrage, alors j’interviendrai. Dans un tout autre registre, « Il est ouf çui-là ! », « Quel gros vicieux ! », « Ouallah qu’c’est un pervers ! », sont donc des remarques, susurrées dans certains groupes, qui ne me surprendront pas, plus tard, au sujet de Michel Leiris et de Jean-Jacques Rousseau. 2. Mot que j’ai donné à un groupe d’élèves qui m’interrogeait sur l’appellation de « cette grosse lettre ». 20 C’est une vieille famille de bourgeois. Ça se passe au tout début du siècle. X X Le narrateur est drôle, il parle au registre familier. X Les livres ont tous été écrits au XXe siècle. X X X Ce sont des autobiographies car c’est écrit Mémoires et Souvenirs. X X Le narrateur est très précis, il donne sa date et son lieu de naissance. X X Une fois ce premier travail de groupe terminé, je lis à voix haute les remarques notées sur le uploads/Litterature/ 017-053-habi.pdf

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