6. FABLIAUX . CONTES. LE ROMAN DE RENART On entend par fabliaux, forme picarde

6. FABLIAUX . CONTES. LE ROMAN DE RENART On entend par fabliaux, forme picarde du diminutif de fable - fableau, fablel - des récits versifiés à intention humoristique et moralisante, longs typiquement de quelques centaines de vers. La Picardie et le Hainaut sont les régions les plus actives du point de vue de la composition de ces poèmes, qui trahissent leur origine urbaine. En fait, la morale des fabliaux est celle des bourgeois; elle se moque de la bêtise et du vice sans nécessairement prétendre à les corriger; elle salue la ruse et l’astuce même si elles sont mises au service des instincts bas; elle s’amuse des tournures bizarres que peuvent prendre les événements sans chercher normalement à transmettre un quelconque message; enfin, elle agrée la transgression des normes de la culture officielle. Le fabliau est une récit focalisé sur les événements, et où la peinture des caractères importe peu. On a soutenu avec quelque raison que le successeur littéraire des fabliaux (qui disparaissent vers 1340, avec Jean de Condé) sont les farces, mais il serait exact de voir l’héritage des fabliaux fructifier dans les nouvelles de la Renaissance. Le plus ancien fabliau conservé, Richeut, date de 1159. C’est l’histoire d’une putain qui fait croire à plusieurs de ses anciens amants qu’ils sont chacun le père de son fils Samson ou Sansonnet. Richeut apprend à son fils comment se conduire envers les femmes, ce qui est une occasion pour le lecteur de s’instruire dans ce domaine; l’essentiel, c’est d’user de beaucoup de douceur en paroles et d’une grande cruauté dans les actes; il faut beaucoup promettre et ne jamais donner, etc. Le nombre des fabliaux qui ont trait à la vie sexuelle est considérable. Jean Bodel en a écrit trois. Dans Gombert et les deus clers, il raconte la mésaventure du vilain Gombert qui, accueillant deux étudiants vagants dans sa maison pour la nuit, eut le malheur de constater qu’ils ont couché avec sa femme et respectivement sa fille. Le Vilain de Bailleul rentre chez lui exténué par le travail des champs, alors que sa femme attendait son ami le chapelain. Elle persuade son mari qu’il est mort de fatigue, au sens propre, l’oblige à s’allonger sur un lit de paille et lui fait lire l’office des morts; puis elle prend son plaisir avec le prêtre. Le vilain, de son coin, assiste à tout et crie au chapelain: “Certes, si je n’étais pas mort, vous regretteriez de vous y être mis!” La Veuve de Gautier le Leu se lamente sur la mort de son mari, qui, cette fois, est pour de bon dans la fosse; mais elle s’empresse de le remplacer par un plus jeune qui la bat et lui prend de l’argent. La bêtise est un autre thème des fabliaux. Le Vilain de Farbus, par Jean Bodel, ironise la simplicité d’un paysan, dans une culture où les farces à l’adresse des ruraux avaient une longue tradition. Nous apprenons ainsi que les forgerons avaient coutume de laisser devant leur boutique un fer à cheval bien chauffé, afin de rire des grimaces du naïf qui essaierait de le voler. Le fils du vilain de l’histoire, Robin, qui est en ville avec son père, ne laissse pas celui-ci tomber au piège, et crache sur le fer à cheval pour vérifier s’il est froid. La salive est aussitôt portée à ébullition. De retour chez lui, le vilain s’apprête à manger un bon morteruel, une sorte de soupe de pain qu’a préparée sa femme. Il crache dans la soupe pour voir si elle est trop chaude, mais rien ne se passe. Il enfourne sur-le-champ une cuillérée monumentale, et est échaudé jusqu’aux entrailles. De là vient l’expression “cracher dans la soupe”, qui indique une prudence exagérée et, comme ici, inutile. Souvent la bêtise est aux prises avec la ruse des fourbes. Les trois aveugles de Compiègne (fabliau par Courtebarbe) demandent l’aumône à un clerc richement vêtu, qui vient à cheval, suivi de son valet. “Voici un besant d’or”, dit-il sollennellement. Chacun croit que c’est l’un des deux autres compagnons qui l’a reçu. Ils font bonne chère à l’auberge, et au moment de l’addition l’hôte menace de les jeter dans les latrines, lorsque le clerc, qui les a suivis pour s’amuser, intervient. Il persuade le tenancier que le curé de la paroisse prendra la somme à son compte, puis va chez le prêtre et l’annonce que l’autre souffre d’une forme de folie à idées fixes...Dans Le Dit des Perdrix, la femme du vilain Gombaut ne peut résister à sa fringale et mange les deux perdrix rôties que son mari destinait à un repas offert au curé. Le paysan arrive et son épouse le prie, avant de mettre le couvert, d’affûter le grand couteau. Sur ces entrefaites voilà le curé, qui s’approche de la dame et l’embrasse doucement. Elle lui glisse à l’oreille: “Voyez mon mari qui a sorti son couteau pour vous trancher les couilles!” Le curé ne demande pas d’explications supplémentaires et prend ses jambes au cou. Alors la femme crie à son homme: “Sire Gombaut, le prêtre emporte vos perdrix!” Dans d’autres fabliaux, la bêtise prend la forme de la compréhension littérale d’une expression qui doit être entendue au sens figuré. Un fabliau anonyme nous présente une vieille dont les vaches se sont échappées dans le trèfle et ont été prises par le prévôt; elle apprend qu’elle pourrait avoir ses vaches sans payer de dédommagement, si elle “graisse la patte” au chevalier. La vieille ignore la signification de l’expression; elle prépare un morceau de lard, épie le seigneur du village et, lorsque celui-ci ne fait pas attention, lui graisse les mains(La Vieille qui graissa la main du chevalier). Un mercier qui avait placé son cheval sous la garde de Dieu et du seigneur du lieu, le trouve dépecé par les loups. Il va alors chercher le seigneur et lui demande de le dédommager; celui-ci lui donne en effet la moitié du prix du cheval; pour le reste, qu’il s’adresse à Dieu. Un moine en vient à passer par là: “A quel seigneur appartenez-vous?” lui demande le mercier. “Je n‘appartiens à nul autre qu’au Seigneur Dieu”. “Alors rendez-moi trente sous”. Les deux plaideurs demandent le jugement du seigneur local, qui place le moine devant l’alternative: soit il se dédit de son seigneur et renie Dieu, soit il paie la somme (Le pauvre mercier). Bien des fabliaux puisent à un réservoir immémorial de schémas narratifs. Dans Les trois bossus, une femme mariée à un bossu se débarrasse de trois ménestrels bossus qu’elle avaiot caché dans des coffres et qui y étaient morts étouffés; par le même stratagème elle est débarrassée aussi de son mari. Le Médecin malgré lui de Molière a son origine dans un fabliau (Le Vilain mire), qui à son tour provient d’un fonds ancien de contes comiques. Au XIXe siècle on pensait volontiers que l’origine des fabliaux doit être cherchée dans les Mille et une nuits, dans la Pantchatantra, dans le Hitopadesa, voire dans le Kalila et Dimna traduit en latin au XIIIe siècle par Raymond Lulle, car les littératures orientales, récemment découvertes, étaient fort à la mode. Joseph Bédier, dans une étude de 1893, montra que la proportion des motifs attestés en Orient n’était pas significative (les fabliaux qui rentraient dans cette catégorie n’était qu’au nombre de onze, sur 170 pièces) et que la majeure partie des récits devaient avoir été inventés en Europe Occidentale. Il soutenait d’ailleurs la thèse de la polygenèse des contes, en montrant que bien des motifs reposent sur des rapports logiques entre notions ou sur des inversions narratives que l’on peut avoir découvert indépendamment à plusieurs reprises et dans plusieurs régions du globe. Per Nykrog a depuis situé les fabliaux dans la tradition de la fable ésopique et dans leur rapport aux thèmes courtois. En 1992, R. Howard Bloch, examinant 81 fabliaux qui dépeignent une scène conjugale, constata que dans 58 il était question d’un adultère tenté ou consommé. Cette remarque replace le genre dans l’univers bourgeois qui est le sien. Quoique le terme de folklore ait été introduit au XIXe siécle pour désigner la littérature d’une paysannerie qui depuis longtemps n’avait plus de voix dans la culture des nations occidentales, il a été rétroactivement appliqué à certains textes du Moyen Age où l’on reconnaît un héritage quasiment universel, celui des folktales. Entre un conte et un mythe la différence formelle est nulle, ou du moins ne peut être démontrée. Cependant l’insertion des mythes dans la culture a un caractère systématique (ce sont toujours les mêmes personnages, identifiés par leurs noms, et ayant des fonctions liées au culte et au rituel) et global (les mythes articulent les croyances relatives à la faune, à la flore, aux astres, aux clans, aux pratiques quotidiennes). Les contes ne sont jamais qu’un bric-à-brac de thèmes dépareillés, qui peuvent être classés dans un certain ordre par le chercheur, mais qui ne sont pas vécus de façon intégrée par la culture qui les porte. Alors, ce que nous entendons par folklore au Moyen uploads/Litterature/ 26-19-41-16ip-fabliaux-contes-le-roman-de-renart.pdf

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