www.comptoirlitteraire.com André Durand présente ‘’Le nœud de vipères’’ (1932)

www.comptoirlitteraire.com André Durand présente ‘’Le nœud de vipères’’ (1932) roman de François MAURIAC (105 pages) pour lequel on trouve un résumé puis successivement l’examen de : l’intérêt de l’action (page 4) l’intérêt littéraire (page 5) l’intérêt documentaire (page 5) l’intérêt psychologique (page 6) l’intérêt philosophique (page 10) la destinée de l’œuvre (page 11) Bonne lecture ! 1 Le roman prend la forme d'une longue lettre écrite, dans les années vingt, par Louis, un avocat d'assises vieillissant (il a soixante-huit ans) et malade (il est cardiaque). Malgré sa réussite sociale (il dispose d'une fortune consistante, qui tient à la fois aux vignobles familiaux, et à sa propre réussite professionnelle), il achève une existence malheureuse, reclus au premier étage de sa propriété de Calèse, en Gironde, dans «la plus vaste chambre, et la mieux exposée», ayant «lui seul pour témoin de sa gloire et de sa raison». La mort, plus qu'une attente, est pour lui une espérance, celle de pouvoir enfin assouvir quarante ans de rancunes et de haine contre ses proches : sa femme, Isabelle, et ses deux enfants, Hubert et Geneviève. Il laissera, en effet, dans un coffre-fort vide, une lettre où il annoncera qu'il a dépouillé de l'héritage qui doit lui revenir sa «famille aux aguets, qui attend le moment de la curée». «Si je l'avais voulu, vous seriez aujourd'hui dépouillés de tout, sauf de la maison et des terres. Vous avez eu la chance que je survive à ma haine... Oui, j'ai été un homme capable de tels calculs. Comment y fus-je amené, moi qui n'étais pas un monstre?» (1, 1). C'est surtout Isabelle qu'il espère ainsi atteindre : à celle qui «s'enlèverait le pain de la bouche» pour ses enfants, nulle douleur ne sera plus cruelle que de les voir souffrir. L'âge et la maladie, l'espoir visible de ses proches d'hériter bientôt de ses biens («Dès que la maladie me désarme, le cercle de famille se resserre autour de mon lit» [1, X]), portent sa rancoeur à son comble. Afin de parachever son œuvre de haine, il rédige à l'intention de celle-ci cette lettre vengeresse où il épanche enfin son cœur, «ce nœud de vipères saturé de leur venin». Le portrait qu'il y fait de lui- même n'est pas flatté : très tôt orphelin de père, choyé par une mère d'extraction paysanne qu’il n’a jamais su aimer, il fut un adolescent bûcheur, méprisant ses condisciples mais envieux de leur richesse, de leur statut social. Ses études furent mises à mal par la tuberculose. Mais il fut, à vingt ans, nanti d'une belle fortune, grâce à la sage gestion maternelle. Il se tourna vers la politique, étant dans l'opposition ; mais il l'abandonna vite lorsqu'il comprit que, malgré son anticléricalisme forcené et un certain désir de justice sociale, il serait «toujours du côté des possédants». Cet être inflexible et solitaire a pourtant connu une brève période, de paix, de bonheur : ses fiançailles puis son mariage avec une demoiselle Fondaudège, un des grands noms de la bourgeoisie bordelaise, lui ont permis de se croire enfin parvenu à la réussite sociale convoitée, tandis qu'il se découvrait capable «d'intéresser, de plaire, d’émouvoir». D'autant plus dure a été sa chute, le soir même de son mariage, quand elle lui a avoué l'amour qu'elle avait éprouvé pour un autre ; il en a conclu qu'elle l'avait épousé seulement par intérêt, ou par conformisme, qu'il n'avait été, pour elle, qu'un prétendant providentiel face au célibat menaçant. Alors commença pour cet époux de vingt-trois ans une longue lutte silencieuse, implacable, qui fit de lui un mari détesté, un père démoniaque. «L'homme qu'on n'avait pas aimé, celui pour qui personne au monde n'avait souffert», organisa autour de lui, avec volupté, un enfer domestique, ne cessa plus de haïr et d'être silencieusement haï en retour. Des enfants naquirent, qu'alternativement il jalousa ou chercha à gagner à sa cause. Ses convictions libérales et anticléricales (malgré sa richesse, il était épris de justice sociale) achevèrent de l'éloigner de sa famille, catholique et pratiquante. Il était dreyfusard, et, lors des discussions en famille sur «l’Affaire», il faisait intervenir l’abbé Ardouin, «le précepteur des enfants, un séminariste de vingt-trois ans», dont, dit-il, «j’invoquais sans pitié le témoignage et que j’embarrassais fort, car je ne le faisais intervenir que lorsque j’étais sûr d’avoir raison, et il était incapable, dans ces soirées de débats, de ne pas livrer sa pensée.» Seul, à cet homme qui se réfugia dans le travail, réussissait son métier. Avocat au barreau de Bordeaux, devenu, à moins de trente ans, un avocat d'affaires surmené, salué déjà comme un jeune maître, il remporta des succès comme, en 1893, dans l'affaire Villenave qui consacra sa réputation ; il se révéla en outre comme un grand avocat d'assises alors qu’«il est très rare d'exceller dans les deux genres». Mais sa femme était la seule à ne pas s'en rendre compte. Si elle l’avait aimé, elle aurait chéri sa gloire ; elle lui aurait appris que l'art de vivre consiste à sacrifier une passion basse à une passion plus haute... «La tare dont tu m’aurais guéri, si tu m'avais aimé, c'était de ne rien mettre au- dessus du gain immédiat, d'être incapable de lâcher la petite et médiocre proie des honoraires pour l'ombre de la puissance». Mais il ne fut rien d'autre, pour la suffisance bien-pensante du cercle familial, qu'un athée à sauver en même temps qu'un homme à ménager, car il «gagne gros». «Isa, vois comme j'ai été malheureux [...] Je ne crois pas à ton enfer éternel, mais je sais ce que c'est que 2 d'être un damné sur la terre, un réprouvé, un homme qui, où qu'il aille, fait fausse route ; un homme dont la route a toujours été fausse ; quelqu'un qui ne sait pas vivre... Isa, je souffre». Le cœur lourd, il se réfugia dans une débauche «affreusement simple... réduite à sa pure horreur», tarifée («J'aime à savoir d'avance ce que je dois payer. Ce qui me plaisait dans la débauche, c'était peut-être qu'elle fût à prix fixé... Je déteste qu’on me roule ; mais ce que je dois, je le paie»). Bien des jeunes femmes, au-delà de l'homme d'affaires, auraient souhaité émouvoir l'homme. «Mais, à première vue, je décelais l'intérêt qui animait celles dont je sentais la complicité, dont je percevais l'appel». Chez un tel homme, quel lien peut encore subsister entre le désir du cœur et le plaisir? «Les désirs du cœur, je n'imaginais plus qu'ils pussent être jamais comblés ; je les étouffais à peine nés». Seuls de brefs éclairs de tendresse illuminèrent cet enfer domestique. Sa petite-fille, Marie, fut le seul de ses enfants qui ait su émouvoir son cœur. Mais, au cours d’un été délirant, elle fut emportée par la fièvre typhoïde, et Isabelle l’en rendit responsable. L'abbé Ardouin, candide homme de Dieu, lui porta de la sympathie. Il bénéficia aussi de la confiance de sa belle-sœur, Marinette, qu’il était le seul à savoir réconforter. À son tour, elle mourut en couches. Mais elle laissa un enfant, Luc, et Louis fut touché par l'édénique innocence de «ce petit garçon [...] le seul être au monde pour lequel je ne fusse pas un épouvantail. Quelquefois, je descendais avec lui jusqu'à la rivière, lorsqu'il pêchait à la ligne... La joie jaillissait de lui... Tout le monde l'aimait, même moi... Puis-je dire que je l'ai chéri comme un fils? Non. Car ce que j'aimais en lui, c'était de ne m'y pas retrouver». Et Luc fut emporté dans la guerre, en 1917 au Chemin des Dames, après lui avoir envoyé une carte qu’il garde dans son portefeuille : «”Tout va bien, ai reçu envoi. Tendresses.” Il y a écrit “Tendresses”. J'ai tout de même obtenu ce mot de mon pauvre enfant». L'amour même lui fut offert lorsqu'une de ses clientes s'attacha sincèrement à lui. Mais son instinct destructeur fut le plus fort, et il se contenta de lui faire l'aumône d'une petite rente lorsqu'elle le quitta, enceinte de lui. Maintenant, terrassé par la maladie, il ne vit que pour se venger, cruellement, d'avoir tant souffert. Mû par la haine des siens et aussi, pense-t-il, par «l'amour de l'argent», il projette donc de déshériter sa femme et ses enfants au profit d'un fils adultérin qu'il ne connaît pas, Robert. Sa fille, Geneviève, son fils, Hubert, défendant la première sa propre fille, le second sa situation, parviennent à faire échec à cette machination, qui d'ailleurs le mortifie car Robert, qu'il n'avait jamais vu auparavant, est un être veule, mesquin, et finalement indigne de lui, comme il s’en est rendu compte à la faveur d’un répit survenu dans son mal qui lui permit de gagner Paris pour le rencontrer. À ce moment, Isabelle meurt brusquement, rendant en partie caduc son plan de vengeance. Bientôt, sa propre haine mourant avec Isabelle, «le nœud de vipères» qu’était son cœur ayant ainsi été dénoué, alors qu’il est revenu à Calèse, une évolution se dessine, il pose un regard apaisé sur sa propre vie et s’ouvre aux autres avec bienveillance. L’épisode symbolique uploads/Litterature/ 477-mauriac-le-noeud-de-viperes.pdf

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