Haïti Perspectives, vol. 7 • no 2 • Automne 2019 11 Analyse Embranchements pour

Haïti Perspectives, vol. 7 • no 2 • Automne 2019 11 Analyse Embranchements pour apprendre à lire en créole et en français à l’école haïtienne Marie Josée Berger Resumé : L’écrit constitue une source d’information, elle nous permet de communi­ quer, d’accéder aux autres, de découvrir notre soi, notre monde et celui des généra­ tions passées. Il nous donne aussi la possibilité de créer quotidiennement et d’assurer notre place dans la prospérité peu importe qu’elle reste individuelle ou collective. Mais comment s’approprier cet écrit et faire partie du titre grandiose de lectrice ou de lecteur où qu’on soit. L’apprentissage de la lecture dans l’environnement scolaire a engendré des débats passionnés, des polémiques des anciens et modernes, a nourri des recherches très diversifiées qui permettent de comprendre de plus en plus le processus de l’apprentis­ sage de la lecture. Grâce à ces retombées, même si la polémique se poursuit, on a des données probantes qui permettent de plus en plus de donner accès à l’acte de lecture à de nombreux enfants en tenant compte de nombreux facteurs de l’acte d’apprendre. Apprendre à lire en créole et en français signifie qu’en entrant de plein pied dans le 21e siècle, l’école haïtienne offre dès le début de l’apprentissage à chaque future lec­ trice et futur lecteur la possibilité de mettre en relation de manière dynamique des composantes hétérogènes et pluridimensionnelles pour construire du sens à partir de l’écrit de deux langues alphabétiques. Il y a certes des défis de taille et incontournables, mais il ne s’agit pas de faire table rase mais plutôt d’apprivoiser notre contexte haïtien en nous prévalant une référence nationale de littératies multiples ou de traitement central pour les apprenants, le personnel enseignant et les membres de la société civile. Rezime : Ekri se yon sous enfòmasyon, li pèmèt nou kominike, konekte ak lòt moun, dekouvri pwòp tèt nou, monn lan an ak sa ki nan jenerasyon ki sot pase yo. Li ban nou tou opòtinite pou nou kreye chak jou epi sekirize plas nou nan pwosperite a kèlkeswa si li rete endividyèl oswa kolektif. Men, ki jan pou nou apwopriye nou ekri sa yo pou nou ka pran tit mayifik lektè ak lektris la tout kote nou ye. Aprantisaj lekti nan anviwònman lekòl la pwodwi deba pasyone, polemik ant ansyen ak modèn, alimente pakèt rechèch ki pèmèt nou konprann pi plis pwosesis aprantisaj lekti a. Gras a rezilta sa yo, menm si polemik la ap kontinye, gen de done solid ki pèmèt pi plis timoun gen aksè ak aktivite lekti, an menm tan nou konsidere anpil faktè nan aktivite aprantisaj la. Aprann li nan lang kreyòl ak franse vle di, nan rantre nan 21yèm syèk la, lekòl ayisyen an ap ofri depi nan konmansman aprantisaj chak fiti lektè ak lektris, posibilite pou yo fè yon lyen dinamik konpozan etewojèn ak multidimansyonèl ki ap pèmèt yo konstwi yon siyifikasyon apati ekri de lang alfabetik yo. Se sèten, gen de defi ki gwo ak ine­ vitab, men se pa yon rezon pou nou fè yon bale pwòp, men pito pou nou aprivwaze kontèks ayisyen nou an. Pou sa nou ta dwe kreye yon referans nasyonal literasi miltip oswa trètman santral pou elèv ki ap aprann, ansanm ak pwofesè yo epi manm nan sosyete sivil la. 1. INTRODUCTION C omment apprendre à lire pour avoir accès au titre grandiose de lecteur ? Il y a plusieurs catégories d’apprentis-lecteurs. Il y a par exemple ceux qui apprennent à lire comme par osmose, ceux qui, à force de se faire lire, de répéter les mêmes histoires, finissent par déchiffrer, par reconnaître les mots, les phrases et donnent un sens à ce qu’ils lisent. Toutefois, pour une grande majorité d’ap­ prentis-lecteurs, ce n’est pas si simple. Il leur faut apprendre à lire, ce qui veut dire qu’on doit leur enseigner cette compétence. Ce rôle revient le plus souvent à l’école. L’apprentissage de la lecture dans l’environnement scolaire a engendré des débats passionnés, a nourri des recherches très diversifiées, et particulièrement des recherches empiriques qui aident à mieux comprendre le pro­ cessus de l’apprentissage de la lecture. Grâce à ces recherches, même si la polémique se poursuit, on a des données probantes qui permettent de plus en plus de donner accès à l’acte de lire à de nombreux enfants en tenant compte de divers facteurs liés à l’acte d’apprendre. Afin de cerner les embranchements pour apprendre à lire en créole et en français à l’école haïtienne, il importe de situer l’apprentissage de la lecture, les théories, les modèles et les méthodes de lecture, et le Plan décennal d’éducation et de formation (PDEF) du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP). 2. QU’EST-CE QUE L’ACTE D’APPRENDRE À LIRE ? Apprendre à lire, c’est entrer dans un nouveau mode de pensée. Lire est une activité qui mobilise conjointement plusieurs composantes : 1. la conscience du but de la lecture et la formulation d’un projet de lecteur ; 2. les connaissances d’ordre général (du monde, des textes, des langues, à savoir d’une culture de l’écrit) ; 3. les connaissances spécifiques (du genre de texte à lire, des phrases, des mots et des unités infralexicales comme les phonèmes, les graphèmes, les syllabes et autres). Haïti Perspectives, vol. 7 • no 2 • Automne 2019 12 Analyse 12 Ces composantes de la lecture doivent entrer en relation de manière dynamique les unes avec les autres. Elles s’entrelacent dans l’activité même de la construction du sens d’un texte en situation. Il convient de travailler avec les élèves toutes ces composantes mobilisées dans la lecture dès les premiers jours d’école selon une progression appropriée. Cela ne signifie pas de tout travailler dans une même leçon, mais il faut savoir que ces composantes doivent toutes être prises en compte au fil des leçons et qu’un discours explicitant la mise en relation de ces différentes composantes de la lecture favorise la compréhension de l’activité [1]. Dans l’apprentissage de la lecture, dès le départ, on met en relation de manière dynamique des composantes hétérogènes et pluridi­ mensionnelles pour construire du sens. Ces composantes touchent la conception de l’activité, le projet du lecteur, les connaissances générales et spécifiques. La capacité de construire du sens mobilise une grande attention et des connaissances multiples. Parmi ces connaissances, celles concernant la langue jouent un rôle crucial. Lorsque l’enseignement initial de la lecture s’effectue en langue seconde, deux apprentis­ sages d’importance doivent s’effectuer conjointement : celui de la langue à apprendre pour parler et écouter dans cette langue, et celui de la lecture dans une langue peu maîtrisée à l’oral et très rare­ ment pratiquée dans la vie courante. Cette contrainte exige un effort considérable de la part des apprenants ainsi que des enseignants qui, eux-mêmes, construisent et négocient les apprentissages des élèves dans une langue qu’ils pratiquent peut-être moins. La conscience du but de l’activité, la formulation d’un projet de lecture et les connaissances d’ordre général sur le monde, sur les textes et sur les langues peuvent être appréhendées comme des composantes de la culture de l’écrit, nécessitant une acculturation. Avec les connaissances spécifiques du genre de texte à lire, des phrases, des mots et des unités infralexicales, elles interagissent dans la construction du sens d’un texte. Aucune de ces compo­ santes ne peut être totalement absente de l’activité de lecture ; en même temps, aucune d’entre elles n’est à maîtriser totalement pour comprendre un texte. Cela signifie, par exemple, que la com­ préhension d’un mot inconnu nécessite une certaine maîtrise du déchiffrage mais, inversement, qu’il ne suffit pas de savoir décoder chaque unité d’un mot pour le comprendre. De plus, l’activité de compréhension d’un mot est elle-même régie – et c’est même une condition de sa réussite – par la volonté de construire du sens à partir du texte que le lecteur a sous les yeux [2]. Dire qu’on sait lire, c’est dire qu’on construit du sens. On construit du sens à partir du prélèvement d’informations de nature très dif­ férente. En même temps, on reconstitue le sens, celui que l’auteur a voulu donner à son texte. Construire et reconstruire constituent plus qu’une simple activité intellectuelle, car comprendre ce qu’a écrit l’auteur suppose une activité productrice et non une réception passive. 3. THÉORIES, MODÈLES ET MÉTHODES DE LECTURE Comment arriver à construire le sens lors de l’apprentissage de la lecture ? C’est là le point sensible qui a généré la polémique des méthodes d’enseignement, aussi définies comme méthodes d’ap­ prentissage. La démarche pour arriver à l’acte de lecture a longtemps consisté à familiariser l’apprenti- lecteur avec chacune des lettres de l’al­ phabet, puis à lui enseigner les syllabes qui, elles, servaient à former des mots. Au terme de cette démarche, l’apprenti-lecteur arrivait à décoder plusieurs mots et à construire une phrase. La respon­ sabilité de comprendre le texte lui était laissée. Dans les années 1960 et 1970, des changements de perspective dans les pratiques pédagogiques concernant la lecture sont survenus. Plusieurs nou­ veaux modèles de lecture ont vu le jour. Mentionnons le modèle taxonomique, qui divise uploads/Litterature/ 7-2-analyse2.pdf

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