1 www.comptoirlitteraire.com présente ‘’Harmonie du soir’’ poème de BAUDELAIRE

1 www.comptoirlitteraire.com présente ‘’Harmonie du soir’’ poème de BAUDELAIRE dans ‘’Les fleurs du mal’’ (1857) Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ; Les sons et les parfums tournent dans I'air du soir ; Valse mélancolique et langoureux vertige ! Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ; Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ; Valse mélancolique et langoureux vertige ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige, Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ; Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Du passé lumineux recueille tout vestige ! Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige... Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir ! 2 Analyse Ce qui, à la plus superficielle des lectures, singularise le poème est sa forme. Il n’y a cependant rien de particulier à l’utilisation par Baudelaire des alexandrins et des quatrains, de deux seules rimes (il le fit aussi dans ‘’Le goût du néant’’), de la répétition de vers entiers (il le fit aussi dans ‘’Lesbos’’, ‘’Mœsta et errabunda’’, ‘’L’irréparable’’, ‘’Réversibilité’’, et ‘’Le balcon’’ où le dernier vers de chaque strophe est identique au premier). Mais la répétition est ici plus complexe. En fait, Baudelaire poussa son goût de la forme fixe jusqu’à la gageure d’un pantoum français, un poème dérivé du «pantun berkait» malais ou «pantoum enchaîné», qui porte ce nom à cause du mécanisme de reprise des vers, qui est soumis à des règles de composition assez strictes. Ce type de poèmes avait été révélé à Hugo par Ernest Fouinet, employé des contributions indirectes et poète dilettante, son principal initiateur en matière d’orientalisme ; il lui avait envoyé ce «pantoum ou chant malais, d’une délicieuse originalité» : «Les papillons jouent à l’entour sur leurs ailes ; Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers. Mon cœur s’est senti malade dans ma poitrine, Depuis mes premiers jours jusqu’à l’heure présente. Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers… Le vautour dirige son essor vers Bandam. Depuis mes premiers jours jusqu’à l’heure présente, J’ai admiré bien des jeunes gens. Le vautour dirige son essor vers Bandam… Et laisse tomber de ses plumes à Patani. J’ai admiré bien des jeunes gens ; Mais nul n’est à comparer à l’objet de mon choix. Il laisse tomber de ses plumes à Patani… Voici deux jeunes pigeons ! Aucun jeune homme ne se peut comparer à celui de mon choix. Habile comme il l’est à toucher le cœur.» D’un tel texte se dégage une séduction singulière, due non seulement à la répétition des vers selon un certain ordre, mais au parallélisme de deux idées se poursuivant de strophe en strophe, sans jamais se confondre, ni pourtant se séparer non plus, en vertu d'affinités mystérieuses. En Extrême Orient, le pantoum est largement utilisé pour les devinettes, les poèmes comiques, les improvisations et les poèmes d’amour. En 1821, Adelbert von Chamisso, qui avait une connaissance directe du pantoum malais, et porta une attention particulière à son mètre, écrivit trois pantoums en allemand intitulés ‘’In malaiischer Form’’. En 1828, Victor Hugo donna en France le premier exemple de pantoum dans la note XI des ‘’Orientales’’. Il y écrivit : «Nous terminons ces extraits par un pantoum ou chant malai [sic], d'une délicieuse originalité». Et il citait un texte traduit en prose par un jeune orientaliste. Il termina sa note par ces mots : «Nous n'avons point cherché à mettre d'ordre dans ces citations. C'est une poignée de pierres précieuses que nous prenons au hasard et à la hâte dans la grande mine d'Orient.» En 1838, un des poèmes de Théophile Gautier dans ‘’La comédie de la mort’’ fut intitulé ‘’Les papillons. (Pantoum)’’. Mais ce n’en était pas du tout un, et le poème ne fut plus intitulé que ‘’Les papillons’’ dans ses ‘’Œuvres complètes’’. En 1850, Charles Asselineau, un ami de Baudelaire, publia un pantoum dans un obscur magazine belge. En 1856, Théodore de Banville produisit un pantoum comique, ‘’Monselet d’automne’’, qui faisait partie de ses ‘’Odes funambulesques’’. En 1865, Louisa Pène-Siefert écrivit un pantoum remarquable. En 1872, dans son ‘’Petit traité de poésie française’’, Théodore de Banville définit le pantoum français. Il consiste en une suite de quatrains (d'octosyllabes ou de décasyllabes, le même mètre étant conservé dans tout le poème) où s'appliquent deux systèmes de reprises : le deuxième et le quatrième vers de chaque strophe sont repris respectivement comme premier et troisième vers de la strophe suivante ; le 3 tout dernier vers du poème reprend le premier. Les rimes sont croisées, et l'alternance des rimes masculines et féminines impose un nombre de quatrains pair. Le nombre de quatrains est illimité, mais doit être supérieur à six. Cette forme permet de donner au poème une musicalité particulière très typée. Mais la particularité vraiment originale du pantoum réside dans le sens : il développe dans chaque strophe, tout au long du poème, deux idées différentes : la première, contenue dans les deux premiers vers de chaque strophe, est généralement extérieure et pittoresque ; la deuxième, contenue dans les deux derniers vers de chaque strophe, est généralement intime et morale. Il faut éviter de travailler par vers-phrase : un vers doit se connecter au vers qui le précède dans un quatrain comme au vers qui lui succède dans le quatrain suivant sans pour autant constituer un vers totalement indépendant d'un point de vue syntaxique ; ce vers peut ne contenir que des compléments sans verbe ou des subordonnées auxquelles l'adresse du poète pourra donner plusieurs sens suivant le vers qu'elles complètent. De plus, les deux distiques constituant un quatrain sont indépendants l'un de l'autre, le second vers devant impérativement se terminer sur une ponctuation forte : point, point d'exclamation, point d'interrogation. Cette ponctuation est rendue impérative par la présence des deux thèmes qui n'enjambent jamais l'un sur l'autre. Après avoir exposé la théorie du pantoum, Théodore de Banville en fit un spécialement, dans un but de démonstration. En 1884, Verlaine fit figurer dans son recueil ‘’Jadis et naguère’’ un humoristique ‘’Pantoum négligé’’. La même année, Leconte de Lisle publia, dans ses ‘’Poèmes tragiques’’, une série intitulée ‘’Pantoums malais’’. C'était, en cinq courts poèmes, une histoire d'amour, terminée par les lamentations de l'amant, meurtrier de la femme infidèle. Ce sont les exemples les plus aboutis de pantoums français. En 1902, René Ghil, qui connaissait bien la langue et la littérature malaises, publia les mille cent vers du ‘’Pantoun des pantoun’’, un recueil de poèmes de différentes longueurs et structures avec un arrière-fond malais et de nombreux mots malais, qui nécessitèrent même un glossaire de onze pages. Plus tard, il écrivit deux autres pantoums, dont l’un, un poème de quatre strophes, est même entièrement en javanais. * * * ‘’Harmonie du soir’’, qui est un poème souvent donné comme un exemple de pantoum, est, en fait, un faux pantoum. D’ailleurs, Baudelaire lui-même ne l'a jamais qualifié ainsi. Il réinventa cette forme à son usage. S’il se soumit aux principales règles (le second vers de chaque strophe est identique au premier vers de la strophe suivante, et le quatrième vers devient le troisième vers de la strophe suivante), il dérogea sur bien des points fondamentaux : il ne traita pas deux idées différentes dans les deux premiers et les deux derniers vers de chaque strophe ; il ne développa qu'un seul thème ; il usa d’alexandrins ; les rimes sont embrassées et non croisées ; il ne joua que sur deux rimes ; il s’en tint à quatre strophes ; son dernier vers différa du premier. Un critique, qui n’appréciait guère la prouesse technique des deux seules rimes, argua que cette difficulté supplémentaire expliquait que le poème n’ait que quatre strophes (mais il ne donne pas du tout l’impression d’être trop court). De ce genre subtil et précieux, Baudelaire ne garda que la reprise de vers, pour son effet d'incantation ; mais elle fonctionne à plein régime, créant de la sorte des schémas harmoniques et rythmiques qui agissent à plusieurs niveaux. Aussi son poème est-il à peu près, parmi les pantoums français, la seule réussite originale ; il est aussi le seul qui se soit parfaitement intégré dans la poésie française en tant que pantoum. Dans ce poème, qui essaie de donner l’impression d’un mouvement circulaire, tout est suggestion, «sorcellerie évocatoire». Aussi est-il souvent considéré par des commentateurs comme un texte hermétique, gratuit, sans intention précise, un pur jeu sonore d’associations, d’images éparses, qui n’est que grâce du langage, mystère, et où chante seule la poésie. Or une étude attentive révèle que, loin d'être une simple juxtaposition de sensations, il est soigneusement composé, et s'élève progressivement vers I'extase qui le termine. On peut, en suivant sa composition, tenter de dégager les lignes de force enchevêtrées autour uploads/Litterature/ 905-baudelaire-harmonie-du-soir 1 .pdf

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