EVELYNE GROSSMAN LA DÉFIGURATION ARTAUD - BECKETT - MICHAUX LES ÉDITIONS DE MIN
EVELYNE GROSSMAN LA DÉFIGURATION ARTAUD - BECKETT - MICHAUX LES ÉDITIONS DE MINUIT ******ebook converter DEMO Watermarks******* © 2004 by LES ÉDITIONS DE MINUIT pour l'édition papier © 2017 by LES ÉDITIONS DE MINUIT pour la présente édition électronique www.leseditionsdeminuit.fr ISBN 9782707338303 ******ebook converter DEMO Watermarks******* Table des matières Introduction. DÉFAIRE LES FIGURES ÊTRE PÈRESMÈRES (Artaud – Balthus) Mythologies pseudo-identitaires La défiguration L’académisme oculaire Le trompe-l’œil de Balthus Le décollement des images En finir avec le narcissisme Enfance, filiation, généalogies Théâtre de l’être CRÉÉ – DÉCRÉÉ – INCRÉÉ. Les défigurations de Samuel Beckett Un Théâtre de la Cruauté ? Animalité, humanité Bienveillante torture Passion christique Passion mélancolique La « viande congénère » Masculin, féminin, double Le texte troué Je suis... peut-être L’ÉCRITURE INSECTUEUSE D’HENRI MICHAUX La pensée préverbale La pensée – le penser Les animots ******ebook converter DEMO Watermarks******* Incestueux insectes L’homme-flagellum Déclinaisons de Meidosems Spectres et simulacres Un idéogramme personnel La Darelette ou « ceci n’est pas un insecte » Carafes et cafards Conclusion. LA DÉSIDENTITÉ Du même auteur ******ebook converter DEMO Watermarks******* Introduction DÉFAIRE LES FIGURES La défiguration peut s’entendre en bien des sens tant elle est plastique et mouvante. En un mot : défigurable. On aurait tort en effet d’en réduire la portée, par on ne sait quelle crispation sémantique, à l’idée d’un acte de violence négative et purement destructrice : rendre méconnaissable un visage, effacer ses traits distinctifs, ses marques de reconnaissance, altérer un modèle. Ce que suggèrent au contraire nombre d’écritures modernes c’est que la défiguration est aussi une force de création qui bouleverse les formes stratifiées du sens et les réanime. L’œuvre, écrit Blanchot, « donne voix, en l’homme, à ce qui ne parle pas, à l’innommable, à l’inhumain, à ce qui est sans vérité, sans justice, sans droit, là où l’homme ne se reconnaît pas [...]1 ». L’œuvre, au sens où l’entend Blanchot, trouble donc les figures en miroir ; elle défait l’illusoire reconnaissance narcissique de soi par soi, elle s’ouvre à ce qui la dépasse, la déforme. Il ne s’agit évidemment pas de renouer ici avec la vaine querelle où s’affrontèrent jadis les tenants d’une mort supposée de l’homme et les défenseurs des valeurs dites humanistes. L’inhumain n’est pas la barbarie, comme de simplistes exégètes le déduisirent un peu rapidement. Il est peut-être plutôt ce qui, comme disait Pascal, « passe infiniment l’homme » – et qu’on ne ******ebook converter DEMO Watermarks******* réduira pas nécessairement au religieux. Donner voix à l’innommable, donner figure à l’infigurable suppose de défaire les formes coagulées, de les ouvrir, de les déplacer, ce que font inlassablement les trois écrivains que l’on suivra ici : Artaud, Beckett, Michaux. Selon des modalités évidemment diverses, tous trois explorent ce qui défigure l’humain aux confins de l’animalité, de la mystique, de la folie. Michaux qualifie de « psychose expérimentale » ses expériences mescaliniennes ; Artaud, s’initiant dans la sierra Tarahumara au rite hallucinogène du Peyotl, y retrouve son double, l’Indien qui se prend pour un dieu ; Beckett écrit pour se dé-créer. Philippe Lacoue-Labarthe proposait récemment de nommer « dé- figuration » la défaillance, l’effondrement de la figure. Reprenant les analyses de Benjamin et de Heidegger sur le poème, il renvoie la figure (Gestalt) au mythe. « La hantise fasciste est de fait – souligne-t- il –, une hantise de la figuration, de la Gestaltung. Il s’agit à la fois d’ériger une figure [...] et de produire, sur ce modèle, non pas un type d’homme mais le type de l’humanité – ou une humanité absolument typique2 ». Lacoue-Labarthe fait ici jouer ensemble la figure, le mythe et la logique de l’appropriation identitaire, sa réification idéalisée dans l’imagerie fasciste. Sans nier la légitimité de cette analyse, c’est à un en-deçà de cette utilisation de la figure que je m’intéresse ici, plus proche de nous, plus familière et insidieuse aussi, en ce qu’elle bénéficie de l’apparent consensus de nos sociétés démocratiques. Référée à la construction des identités, à la consolidation des images de soi, la figure y est en effet gratifiée de tous les éloges : sous couvert de renforcer un narcissisme individuel qualifié pour l’occasion de « bon narcissisme », elle est supposée préserver cette fameuse estime de soi (self esteem, comme disent les manuels de psychologie sociale à l’usage des entreprises) indispensable à qui veut affronter l’âpreté de la compétition dans des ******ebook converter DEMO Watermarks******* sociétés vouées au culte de la performance individuelle (« qu’est-ce qu’une vie réussie ? » demandait récemment un philosophe- ministre). Parce qu’elle participe de la construction du lien social, du vivre-ensemble (se reconnaître dans les mêmes formes, les mêmes signes d’appartenance), l’image est grégaire par vocation. Elle privilégie les effets de groupe, de ressemblance (être comme l’autre), de conformisme. La figure de l’appartenance de nos jours vire aisément à la normopathie psychique, sociale, intellectuelle. Je tente ici de suivre sous ce mot de défiguration le mouvement de déstabilisation qui affecte la figure. Un mouvement qui n’est pas nécessairement violent : la délicatesse au sens de Barthes, entendue comme sortie de l’affrontement catégoriel des oppositions, n’y est sans doute pas étrangère. J’y vois pour ma part deux traits fondamentaux. D’abord une mise en question inlassable des formes de la vérité et du sens. Ensuite, et conjointement, une passion de l’interprétation. La défiguration qui anime les formes est un mouvement érotique, amoureux : sans cesse elle défait les figures convenues de l’autre et l’interroge, l’invente à nouveau, le réinvente à l’infini. En ce sens, elle est une pratique de l’étonnement. À l’encontre des idées reçues qui assimilent éducation et repérage des formes, apprentissage des modèles et des rôles, adhésion aux moules et empreintes, la défiguration est tout à la fois dé-création et re- création permanente (« sempiternelle », aurait dit Artaud) des formes provisoires et fragiles de soi et de l’autre. Non pas donc, se conformer mais délier, déplacer, jouer, aimer. C’est ce que nous enseignent ces écritures modernes réputées difficiles : leur lecture, en ce sens, est un apprentissage de la déliaison amoureuse, de la déconstruction du narcissisme. Entre figuration et défiguration. ******ebook converter DEMO Watermarks******* 1. Maurice Blanchot, L’Espace littéraire (1955), Folio-essais, p. 309, je souligne. 2. Philippe Lacoue-Labarthe, Heidegger. La politique du poème, Galilée, 2002, p. 165-166. ******ebook converter DEMO Watermarks******* ÊTRE PÈRESMÈRES (Artaud – Balthus) Mythologies pseudo-identitaires Soit cette phrase, extraite de l’un de ces sous-produits de l’industrie mondialisée (soap opera, telenovela, sitcom...), que diffusent volontiers en fin d’après-midi les écrans télévisés de notre moderne oisiveté : « Je vais être père pour la seconde fois ». L’homme qui la prononce, tout empreint de cette touchante satisfaction narcissique qui caractérise ceux que les magazines nomment les « nouveaux pères », est-il ou non le même que celui qui autrefois l’engendra ? Il ne croit probablement plus, comme le Stephen de Joyce, que la paternité ne passe guère par les femmes, qu’elle est un « état mystique, une transmission apostolique du seul générateur au seul engendré1 ». L’homme du soap, lui, gît dans un trop-plein de femmes (toujours la même, pourtant – la Mère – mais qu’il prend pour une autre) : il tente de devenir père sans faire un enfant à sa mère, il couve son rejeton comme sa mère le couva, il dissimule son immaturité sous les bravades viriles de la parade narcissique. Que la phrase soit adressée à l’une de ses anciennes maîtresses ne complexifie qu’apparemment une structure fondamentale dont il ne ******ebook converter DEMO Watermarks******* veut rien savoir : dans toute procréation, il y a plus d’une mère. Pas plus que La femme, en effet, La mère n’existe. Et le Père ? Il y croit. Le signifiant procréation, affirme Lacan à propos de Schreber, n’est pas la forme être mère, mais la forme être père et la fonction paternelle « n’est absolument pas pensable dans l’expérience humaine sans la catégorie du signifiant. [...] Il faut un effet de retour pour que le fait pour l’homme de copuler reçoive le sens qu’il a réellement, mais auquel aucun accès imaginaire n’est possible, que l’enfant soit de lui autant que de la mère2 ». Soit. Les Président Schreber, pourtant, ne sont pas légion et force est de constater que le mythe lacanien de la métaphore paternelle n’éclaire guère ce que peut signifier, pour l’ordinaire hystérie masculine contemporaine, être père. Gageons en effet que la question qui se pose désormais à l’homme du soap – héritier affadi des romans du XIXe siècle – est moins « suis-je (vraiment) le père ? » que : « qui est la mère ? ». Et ceci non seulement pour la raison que formule Derrida et qui est vraie : les progrès techno-scientifiques (clonage, mère porteuse, insémination artificielle, etc.) ont plus que jamais fait voler en éclats l’idée d’une maternité supposée « naturelle » par opposition à une filiation symbolique référée au père3. Mais aussi pour cette raison plus angoissante peut-être dans ses ultimes conséquences que la forme être mère, désormais détachée de son essence « naturelle », est rigoureusement vide. À la question « qui est la uploads/Litterature/ la-defiguration-grossman.pdf
Documents similaires
-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.6276MB