L’apprentissage du langage et ses dysfonctionnements Agnès Florin L’apprentissa

L’apprentissage du langage et ses dysfonctionnements Agnès Florin L’apprentissage du langage est le produit de l’activité de traitement qu’effectue un sujet sur le langage oral et écrit; cette activité est con- trainte par son équipement neuro- logique et physiologique, et elle se développe dans des interactions avec ses congénères. Ainsi, les diffi- cultés d’apprentissage peuvent être liées à l’activité du sujet, à des at- teintes neurologiques ou physiolo- giques, ou à des conditions envi- ronnementales. Mais le développe- ment normal du langage n’est pas linéaire: il est fait d’avancées ra- pides, de stagnations, de recons- tructions, voire de régressions. L’at- tention des parents et des ensei- gnants doit être attirée sur cette question, afin d’éviter les prescrip- tions abusives de prises en charge rééducatives pour des difficultés qui n’en relèvent pas; il faut aussi laisser aux enfants le temps de gran- dir, et ne pas déposséder l’école et la famille de leurs fonctions d’ensei- gnement et d’éducation. Les difficultés de certains diagnostics Quand peut-on considérer qu’il y a un trouble du langage ou retard de développement? Il est quelquefois difficile de distinguer entre un écart pathologique et un qui ne l’est pas, car il existe des variations interindi- viduelles importantes dans l’utili- sation du langage et dans son ryth- me d’acquisition (Florin, 2000). En outre, lorsque l’origine des dys- fonctionnements n’est pas organi- que, on a beaucoup de difficulté pour les identifier. En fonction des époques, de l’affiliation idéologi- que des interlocuteurs ou de leur formation préalable, le système ex- plicatif dominant sera de type so- ciologique, psychoaffectif ou neu- rophysiologique, comme le sou- ligne Khomsi (1996). Les troubles du langage Ils sont très divers et on se limitera ici à présenter brièvement les plus fréquents. Les régressions et les retards Les régressions se manifestent par la réapparition chez un enfant de con- duites langagières antérieures qui avaient disparu pour laisser place à des conduites plus évoluées. Des ré- gressions vers un «langage bébé» peuvent apparaître lors d’événe- ments vécus comme traumatisants, tels une maladie, la naissance d’un petit frère ou l’éloignement d’un pa- rent. Elles sont alors souvent accom- pagnées d’autres signes, tels que des difficultés d’endormissement, l’incontinence, le besoin d’être cajo- lé ou nourri comme un bébé. Les retards de développement peu- vent être encore plus difficiles à ap- précier, notamment lors de leur ins- tallation, pour prédire leur caractè- re transitoire ou permanent. Le re- tard simple de langage s’accom- pagne souvent d’un retard moteur, et de troubles affectifs. Certains en- fants récupèrent ce retard avant l’entrée à l’école primaire, mais pour d’autres le retard de langage va souvent annoncer des difficultés scolaires ultérieures, notamment la dyslexie. Les troubles de la parole et de l’articulation L’un des plus connus est le bégaie- ment. La fluidité de l’expression verbale est perturbée: répétitions ou prolongations involontaires se manifestent fréquemment et ne sont pas facilement contrôlables. Il s’accompagne généralement d’un état émotionnel de tension, de gê- ne, ou d’excitation. Les cadres ex- plicatifs sont au moins aussi nom- breux que les définitions, ce qui tra- duit la difficulté à identifier les causes précises du bégaiement; il en est de même des thérapies qui se déclarent définitives, ce qui devrait inciter à la méfiance. En général, le bégaiement apparaît assez tôt, vers 3 ou 4 ans. Souvent, il finit par disparaître sans inter- vention; sinon, diverses thérapies sont proposées, telles que la relaxa- tion, les psychothérapies, la sug- gestion, un travail sur le rythme et le débit de la parole, etc. La dysphasie La dysphasie est une désorganisa- tion du langage oral se manifestant principalement à partir de 6 ans qui Résonances - Janvier 2002 3 D O S S I E R Le développement normal du langage n’est pas linéaire. « » peut se répercuter dans le langage écrit sous l’aspect d’une dyslexie-dysortho- graphie chez des sujets ayant par ailleurs un développement nor- mal. Ces difficultés conduisent souvent à un retard scolaire de 2 ou 3 ans. La dyslexie La dyslexie est un trou- ble de l’identification du mot écrit, associé à une intelligence normale: confu- sions de lettres ou de sons, omissions de lettres ou de syl- labes, inversions ou additions de lettres. Elle touche environ 5 à 10% de la population, selon les défi- nitions considérées: des déficits d’analyse phonologique et de mé- moire de travail ont été mis en évi- dence chez ces sujets et les causes génétiques et neurologiques sont assez largement explorées depuis les années 90, ce qui n’empêche pas bon nombre de thérapies de privi- légier les difficultés relationnelles comme explication dominante, sans grand succès d’ailleurs. Diverses méthodes de rééducation sont disponibles, fondées là aussi sur des conceptions théoriques dif- férentes de la dyslexie et quelque- fois peu actualisées. On peut re- gretter le manque de formation du milieu scolaire en la matière et la faible prise en compte des dys- lexiques dans leur scolarité, ce qui conduit nombre d’entre eux vers l’illettrisme. Ils ont besoin de pro- grammes spécifiques intégrés dans le système scolaire, afin de leur per- mettre de poursuivre normalement leurs études. Le dépistage des difficultés Le signalement est fonction de la tolérance qu’on peut avoir pour divers types de difficultés: des troubles de fonctionnement de la langue orale sont-ils toujours pris en compte, s’ils n’empêchent pas la communication ou si on est focalisé sur l’acquisition de la lecture? Or les difficultés de la maîtrise de l’oral sont souvent des prédicteurs de difficultés dans l’écrit (Florin, 1991; Florin & al., 1999). En outre, les parents et les éduca- teurs sont souvent plus sensibles à des difficultés de production qu’aux problèmes de compréhension, plus difficiles à identifier. Or, ces der- nières sont souvent plus graves pour l’avenir que les problèmes de production. Aussi est-il important de les repérer dès que possible. Dans le cadre scolaire, il est impor- tant que l’enseignant puisse dispo- ser d’outils d’évaluation du langa- ge oral et d’aide aux apprentissages dès la maternelle, afin de proposer aux enfants des activités qui tien- nent compte de leurs compétences et de leurs difficultés éventuelles, et, pour une minorité d’entre eux, pouvoir les orienter vers un bilan spécialisé relevant d’autres profes- sionnels. En France, les enseignants en ont à leur disposition depuis juillet 2001 sur un site du Mi- nistère de l’Education na- tionale. Par ailleurs, un travail spécifique sur l’oral en classe mater- nelle, organisé en grou- pes de besoin, aide à la fois à la maîtrise de l’oral et à celle des dé- buts de l’écrit (Florin et al., 2000). Enfin, il importe de rappeler aux parents, premiers interlocuteurs de l’enfant, qu’une trop forte pression sur les ap- prentissages peut contri- buer à cristalliser une difficul- té passagère. Références Florin, A. (2000). Le développement du langage. Paris: Dunod, Collection Les Topos. Florin, A.; Khomsi, A.; Guimard, P.; Ecalle, J.; Guégan, J.F. (1999). Maîtrise de l’oral en grande section de maternel- le et conceptualisation de la langue écrite en début de cours préparatoire. Revue française de pédagogie, 126, 71-82. Florin, A.; Guimard, P.; Khomsi, A. (2000). Les effets d’un entraînement psychopédagogique de l’oral en grande section de maternelle sur la maîtrise de l’oral et de l’écrit au cycle 2. Psychologie française, 45-3, 219-234. Khomsi, A. (1996), Les troubles cognitifs de la scolarité. in D. Gaonac’h & C. Gol- der. Manuel de psychologie pour l’enseigne- ment. Paris: Hachette Education. 4 Résonances - Janvier 2002 L’auteure Agnès Florin est professeure de psychologie de l’enfant et de l’éducation - Laboratoire de Psy- chologie «Education, cognition, développement» (Labécd – EA 3259) Université de Nantes (France). E-mail: agnes.florin@ humana.univ-nantes.fr Des régressions vers un «langage bébé» peuvent apparaître lors d’événements vécus comme traumatisants. Bilinguisme, troubles du langage et enseignement des langues A. Duchêne et B. Py De par l’augmentation des popula- tions migratoires, les profession- nels travaillant dans le domaine de l’éducation (enseignants, logopé- distes, psychologues) sont amenés à repenser certaines de leurs pra- tiques didactiques ou thérapeuti- ques, en prenant en compte les particularités liées aux différentes situations sociolinguistiques dans lesquelles les sujets se trouvent, et les spécificités liées à l’identité bi- lingue et biculturelle. Au travers de cet article, nous désirons esquisser la problématique de la coexistence de troubles du langage1 et du bi- linguisme ou du plurilinguisme. Nous allons montrer dans un pre- mier temps l’importance de pren- dre en compte le développement de la recherche actuelle en linguis- tique sur le bilinguisme. Puis, dans un second temps, nous envisage- rons la complexité, liée à la présen- ce du bilinguisme et d’un trouble du langage, dans le cadre de l’éco- le. Aspects linguistiques et socio- linguistiques du bilinguisme Particularités de la situation sociolinguistique de la Suisse Contrairement à une opinion assez répandue, les Suisses ne sont pas particulièrement bilingues. La Suis- se romande est une région essen- tiellement monoglossique, même si certaines communautés immigrées ou certains réseaux sociaux fonc- tionnent sur un mode diglossique. Une grande partie des personnes bilingues sont issues des milieux Résonances - Janvier 2002 5 D O S S I E R de l’immigration. Il faut cependant distinguer ici uploads/Litterature/ a-florin-et-all-les-troubles-du-langage.pdf

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