LE SILENCE DE LA MER A L’ECRAN: LA TRADUCTION AUDIOVISUELLE DE L’OCCUPATION ET
LE SILENCE DE LA MER A L’ECRAN: LA TRADUCTION AUDIOVISUELLE DE L’OCCUPATION ET DE LA RESISTANCE, Ana Claudia Barbosa Giraud 74 Le Silence de la mer a l’ecran: la traduction audiovisuelle de l’Occupation et de la Resistance * Doutoranda do Programa de Pós-Graduação em Linguística da Universidade Federal do Ceará (UFC) e bolsista da Fundação Cearense de Apoio à Pesquisa (Funcap). Ana Claudia Barbosa Giraud* Résumé: Cet article vise à l’examen des adapta- tions cinématographiques de la nouvelle Le silen- ce de la mer, de l’écrivain français Vercors. Pour autant, on présentera l’analyse d’une séquence du texte de Vercors et des films homonymes de Jean-Pierre Melville et de Pierre Boutron. Partant de comparaisons entre les trois textes, on obser- vera surtout comment les cinéastes ont traduit l’Occupation et la Résistance du système littérai- re pour système audiovisuelle. Mots-clés: traduction audiovisuelle; cinéma; litté- rature et histoire. TRADUÇÃO Introduction e silence de la mer (1942), nouvelle de Vercors écrite, publiée et distri- buée pendant l’Occupation allemande lance un regard sensible sur les rapports humains pendant l’un des plus noirs moments de l’histoire de France et appelle les Français à la résistance. Traduit partout dans le monde et réédité presque une centaine de fois, le récit de Vercors a été transmuté maintes fois au théâtre, à l’opéra et à l’écran. La première adaptation cinématographique du texte vercorien a été réalisée au cinéma en 1949 par Jean-Pierre Melville. En 2004, le cinéaste Pierre Boutron en a réalisé une nouvelle adaptation, cette fois- là pour la chaîne de télévision française France 2. Robert Stam (2000) conçoit l’adaptation cinématographique de textes litté- raires comme un acte traducteur et envisage l’activité traductrice comme un travail de lecture/interprétation. Ainsi, l’adaptation constitue un processus qui L TODAS AS LETRAS N, volume 11, n. 2, 2009 75 TRADUÇÃO présuppose des choix concernant la transmutation d’un moyen d’expression à l’autre. Stam (2000, p. 62) remarque: “ainsi q’un texte peut générer des lectures infinies, un roman peut générer des adaptations infinies”1. C’est-à-dire, l’adaptation est un processus créatif et transformateur. Le film doit donc être envisagé comme une nouvelle œuvre, dérivée d’un texte littéraire avec lequel il établi un dialogue juste. Il résulte de l’interprétation du cinéaste et des trans- formations exigées par les spécifications de chaque moyen. Une œuvre légendaire et ambiguë Né à Paris le 26 février 1902, Jean Bruller écrit Le silence de la mer pendant la Seconde Guerre Mondiale. Désormais l’ingénieur électricien qui s’était consa- cré aux arts graphiques depuis la moitié des années vingt est devenu Vercors – les circonstances exigeaient un pseudonyme. Il publie sa nouvelle aux Éditions de Minuit, maison d’édition qu’il a créé avec Pierre de Lescure. Son premier récit marque le début des activités clandestines de Minuit devenant une œuvre légen- daire (CRESSEAUX, 1999). L’histoire a lieu dans un village de la province française, pendant l’Occupation. L’armée allemande réquisitionne une chambre dans la maison d’un vieil homme qui vit avec sa nièce. Les personnages français ne sont pas nommés. Le narra- teur est l’oncle qui relate le séjour de l’officier allemand Werner von Ebrennac. Celui-ci, musicien au départ, est un amoureux de la France. Sensible, cultivé et poli il va faire de son mieux pour conquérir la sympathie de ses hôtes parce qu’il croit qu’en dépit de la guerre, l’amitié franco-allemande pouvait être pré- servée montrant la duperie dans laquelle vivait la plupart des Allemands. Les Français, contraints à accepter la présence de l’envahisseur, lui imposent un silence implacable depuis le premier jour. Ils représenteraient le peuple français qui indigné pour la présence de l’occupant ont protesté en silence: “Dans un accord tacite nous avons décidé, ma nièce et moi, de ne rien changer à notre vie, fût-ce le moindre détail: comme si l’officier n’existait pas; comme s’il eût été un fantôme” (VERCORS, 1951, p. 30). Pendant six mois, sous le prétexte de se réchauffer auprès du feu, von Ebrennac va à la rencontre de ses hôtes et révèle sa passion pour la France. Les Français, bien que sensibilisés par sa courtoisie, continuent silencieux. Pendant un congé à Paris, l’Allemand prend conscience de la réalité du projet nazi. À son retour, il leur demande d’oublier tout ce qu’il les avait dit et annonce son départ pour le front russe. Dans la séquence finale du récit, les Français brisent le silence disant adieu à l’Allemand. Il est important de souligner que les circonstances historiques entourant tout le processus d’écriture, de publication et de distribution de la nouvelle Le silence de la mer, bien que le danger d’être reconnu sous le pseudonyme, ont contribué pour que Vercors dissimule sa signification profonde tout au long du récit. Restant dans le plan de la suggestion, créant un portrait ambigu de l’Allemand, l’écrivain a offert au lecteur la possibilité d’en tirer ses propres con- clusions. Bien qu’à l’époque cette ambiguïté ait pu causé quelques problèmes à Vercors, vu que beaucoup y ont pu lire un acte de collaboration, aujourd’hui il y a un consensus à propos du message de résistance qu’il contient. 1 “that just as any text can generate an infinity of readings, so any novel can generate any number of adaptations”. LE SILENCE DE LA MER A L’ECRAN: LA TRADUCTION AUDIOVISUELLE DE L’OCCUPATION ET DE LA RESISTANCE, Ana Claudia Barbosa Giraud 76 TRADUÇÃO On peut donc comprendre pourquoi sa nouvelle est extrêmement suggestive, le camouflage du message de résistance étant nécessaire. Par conséquent, il est possible de l’envisager comme une allégorie de l’Occupation, la maison des Français jouant le rôle de l’Hexagone; Ebrennac celui de l’occupant et l’oncle et sa nièce celui de la population française encore hésitante mais qui découvre que malgré l’apparente gentillesse des Allemands, il fallait résister (GIRAUD, 2002). Le texte débute par une dédicace en haut de page consacrée à Saint Pol Roux (À la mémoire de Saint-Paul-Roux. Poète assassiné), poète symboliste mort en 1940 lorsque des soldats allemands ont brûlé sa maison, se sont emparés de sa famille et ont détruit les manuscrits de plusieurs de ses œuvres. Ensuite, un court chapitre (on adoptera le terme chapitre pour désigner chaque partie du récit) présente la situation initiale constituée par le récit des préparatifs précé- dant l’arrivée de l’Allemand. La phrase introductoire (Il fut précédé par un grand déploiement d’appareil militaire) met l’accent sur le personnage, absent physi- quement mais présent dans l’intrigue depuis la première ligne. L’arrivée d’Ebrennac n’a lieu que dans le deuxième chapitre. C’est novem- bre, il fait froid. L’oncle et la nièce boivent un café dans le petit salon. Ils écou- tent des pas à l’extérieur de la maison et ensuite quelqu’un qui frappe à la porte. La nièce l’ouvre en silence. “L’officier, à la porte, dit: ‘S’il vous plaît’. Sa tête fit un petit salut. Il sembla mesurer le silence. Puis il entra” (VERCORS, 1951, p. 25). L’Allemand adresse une révérence militaire à son hôte et se pré- sente: “Je me nomme Werner von Ebrennac [...] Il ajouta: ‘Je suis désolé’” (VERCORS, 1951, p. 26). L’entrée de l’Allemand évoque l’occupation de la France comme on a dit au- paravant. Il s’agit d’une invasion consentie mais indésirable. Le silence y appa- raît comme un moyen de refus, de résistance à l’envahisseur, pour le faire comprendre qu’ils avaient été vaincus mais pas dominés. Cette première ren- contre des personnages est pénétrée d’une tension qui imprègne l’atmosphère, l’air devenant lourd et irrespirable: “Le silence se prolongeait. Il devenait de plus en plus épais, comme le brouillard du matin. Épais et immobile. L’immobilité de ma nièce, la mienne aussi sans doute, alourdissaient ce silence, le rendait du plomb” (VERCORS, 1951, p. 27). La tension résultant du malaise dont ce silence embarrassant est la cause et l’antagonisme entre les personnages sont ponctués par leurs positions. L’Allemand, debout, se trouve en position de supériorité face aux Français, as- sis. D’autre part, la construction d’un portrait ambigu des personnages trouve l’appui dans les jeux de clair-obscur qui voilent leurs yeux, réactions et expres- sions du visage, accentuant l’ambivalence du récit. Le Silence résonant de Melville La première adaptation de la nouvelle de Vercors a été réalisée par Jean-Pierre Melville, pseudonyme de Jean-Pierre Grumbach. En 1940, après la défaite fran- çaise il s’engage dans les forces de résistance France Libre et rejoint le général Charles De Gaulle à Londres. La lecture du Silence de la mer (Londres, 1942) le bouleverse énormément. Après la guerre il rentre en France et décide d’embrasser la carrière de cinéaste. Le tournage de son film homonyme, en 1947, connaît de grandes difficultés. Il ne sera sorti qu’en 1949 (LANGLOIS, 2001). TODAS AS LETRAS N, volume 11, n. 2, 2009 77 TRADUÇÃO Melville maintien la structure générale du récit faisant quelques transforma- tions qui dissipent le huis clos du salon des Français. Il crée plusieurs scènes extérieures à la maison, réduisant la tension que l’espace de l’intérieur du salon provoque, en même temps qu’il peint un peu du quotidien français sous l’Occupation. Le film, en noir et blanc tire parti des contrastes clairs-obscurs pré- sents dans le texte de Vercors, donnant l’image uploads/Litterature/ a-l-ecran-e-ilence-de-la-mer.pdf
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- Publié le Aoû 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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