FRANÇOISE PLOQUIN A LA RENCONTRE DE D’ARTAGNAN L’exotisme de la proximité 1 2 3

FRANÇOISE PLOQUIN A LA RENCONTRE DE D’ARTAGNAN L’exotisme de la proximité 1 2 3 A la rencontre de d’Artagnan L’exotisme de la proximité 4 DE LA MÊME AUTEURE Ces jours en Mongolie (2015) Cap vers deux îles au vent (2016) Le Bhoutan en quelques mots, de A à Z (2017) Chemins de France (2018) Voyage d’hiver dans les Pouilles (2018) Petites marches au Maroc (2019) 5 Françoise Ploquin A la rencontre de d’Artagnan L’exotisme de la proximité 6 Randonnée : septembre 2019 Récit et édition : mai 2020 7 « S’en aller ! s’en aller ! Parole de vivant ! » martèle Saint-John Perse dans Vents. Façon de proclamer que se bouger est un devoir sacré. Il en est qui font métier de ce précepte et s’en vont explorer, dans des conditions extrêmes, les endroits les plus inaccessibles de la terre. Ce sont eux qui, au retour, écrivent le récit de leurs aventures. Je leur laisse le pas du chemin. A l’inverse, dans une existence toute adonnée aux travaux et aux jours ordinaires, je trouve bon d’ouvrir les fenêtres pour prendre une goulée de grand air, pas loin de chez soi et dans un laps de temps très court. Bien que libres de toute attache, mon amie Hélène et moi avons les plus grandes peines du monde à trouver quelques jours d’affilée pour partir 8 nous promener sur les chemins. Il est apparu que la courte période allant du jeudi 19 au dimanche 22 septembre 2019 inclus nous permettait de prévoir une petite escapade pédestre. Hélène, cavalière émérite et passionnée, constamment animée par le rêve de traverser un département, une province, la France, l’Europe à cheval voulait procéder à un début de reconnaissance de la Route d’Artagnan, itinéraire hippique européen allant de Lupiac, ville natale du mousquetaire dans le Gers, à Maastricht, ville des Pays-Bas actuels où il est mort. Renseignements pris auprès du conservateur du Musée d’Artagnan à Lupiac, il fut décidé que la région s’étendant entre Lectoure et Condom en Gascogne conviendrait très bien à notre équipée. De plus, sur cette portion, la Route d’Artagnan emprunte pour l’essentiel le même parcours que le chemin de Compostelle et offre de ce fait un marquage impeccable et un 9 dispositif de buvettes, d’auberges et de gîtes sans pareil. Quand le marcheur vit dans un pays disposant d’une telle ressource, il ne peut que bénir le saint qui a permis aux pèlerins de tisser ce fil, providence du marcheur. Jeudi : Paris - Lectoure Le jeudi 19 septembre, Hélène quittait la Haute Loire vers 10h du matin en voiture. De mon côté, je quittais Paris en train vers 14h et nous nous retrouvions le soir dans un gîte à Lectoure, ayant prévu d’être le dimanche soir suivant de retour dans nos pénates. Petites étapes, pays au relief doux, absence d’événements sensationnels et pourtant s’en aller, se bouger, donne prétexte à raconter une myriade de petits faits et de brèves rencontres. En voici la chronique vagabonde. Nous nous sommes donné rendez- vous au Boudoir. Le terme évoque 10 cette petite pièce lovée entre le salon (lieu de la conversation) et la chambre (celui des ébats amoureux) dont le marquis de Sade a fait la réputation en y donnant à entendre des discours érotiques. Aussi, quand un gîte prend ce nom pour enseigne, on ne peut s’empêcher d’être traversé par quelques pensées libertines. Et nous voilà toute penaudes quand la patronne nous explique qu’il s’agit d’une ancienne biscuiterie réputée pour sa spécialité de boudoirs. Elle rit de la confusion et avoue avoir voulu jouer sur le double sens du mot. La transformation de la biscuiterie en lieu d’accueil sur le chemin de Saint-Jacques a été une réussite. Dès le seuil franchi, je savoure, paupières closes, l’odeur retrouvée de la maison de campagne des vacances de mon enfance. Il s’y mêle le parfum de vieux livres qui ont connu des hivers humides, l’hymne au moisi des pommes trop mûres et la présence 11 invisible de la tranquille poussière du passé. Envol de la nostalgie et retour sur les lieux. Dans ce qui fut la boutique, nous échangeons nos chaussures de marche contre des savates d’intérieur et nous déposons nos bâtons là où s’alignaient sans doute les hautes panières d’osier emplies de pains. L’arrière-boutique, consacrée à la cuisson des miches et des gâteaux, a conservé l’imposant four et son système de roues, de poulies et de chaînes. Au fond, une salle de douche et des toilettes rendent témoignage de la transformation du lieu dictée par son changement d’activité et une mise en conformité avec les préoccupations modernes. A l’étage, une immense pièce a été séparée en trois par- ties inégales. Une chambre dortoir accueille, dans des alvéoles séparés, trois lits superposés. Au centre, un salon confortable et chaleureux, avec des tapis chamarrés, s’organise autour de grands canapés disposés en face 12 d’une cheminée imposante. Des fauteuils Louis XIII montent la garde devant des rayons de bibliothèque garnis d’un choix de livres séduisant. Des lampes diffusent une lumière feutrée dans cette pièce devenue hautement bourgeoise. Nul doute que l’on doive à un architecte d’intérieur l’idée saugrenue d’avoir pimenté cette somnolence annoncée par un entrelacs de poutres rustiques séparant le salon des hautes fenêtres qui donnent sur la rue. Cette charpente ajourée isole la vaste pièce douillette de l’étroite cuisine qui, elle, reçoit directement toute la lumière. L’hôtesse nous y indique la longue table sur laquelle nous prendrons demain matin le petit- déjeuner. Ce jeudi soir nous dînons dans le jardin d’un restaurant assez chic qui domine la vallée du Gers. La nuit tombe. Il fait très chaud. Observées par un peintre impressionniste au cours de cette veillée précédant notre 13 marche, nous pourrions, dans ce décor champêtre et élégant, lui servir de modèles. Au lieu d’un déjeuner sur l’herbe nous serions sur le motif d’un dîner aux lampions. Vendredi : Lectoure - La Romieu Nous nous réveillons à la nuit finissante. Le jour se lève quand nous quittons le Boudoir. C’est jour de marché et dans la grande rue de Lectoure les marchands sont en train de s’installer. Des girolles ! Tentation… mais im- possible de les cuisiner. Les melons, bien mûrs en fin de saison, mais trop lourds à porter. Les poires, si elles sont juteuses elles s’écraseront dans le sac, si elles sont dures autant les laisser sur l’étal. C’est pourquoi nous préférons faire halte devant l’exposition de paniers : aucun risque de nous laisser tenter, mais un spectacle distrayant où l’œil jongle entre formes et couleurs. 14 La ville de Lectoure est construite sur une éminence. Elle domine la Lomagne et est entourée de remparts. La pointe du plateau, tournée vers l’est, est occupée par le château des ducs d’Armagnac qui a été récemment restauré. Une série de panneaux explicatifs racontent l’histoire de la famille au cours des âges et plus encore les aménagements des différentes parties du monument, leur destruction pendant les guerres, leur réhabilitation partielle ces dernières années. Louable souci d’instruction des populations et en particulier des randonneurs pour lesquels un escalier permettant de descendre le long des fortifications a été aménagé ; mais chapeau à qui peut, en passant, sans être spécialiste, retenir toutes ces dates, ces rébellions et ces vengeances d’un autre temps. Force est aux érudits et à la municipalité de justifier le travail accompli, mais avouons l’incapacité du touriste ordinaire à digérer ces doctes propos. 15 On parvient donc en bas des marches en retenant seulement qu’on vient de traverser un lieu historique aujourd’hui en partie restauré grâce à des historiens et à des artisans qui y ont mis tout leur cœur et tout leur savoir-faire. Nous, nous continuons à pied et sommes promises à mille découvertes inat- tendues, mais le vacancier qui prend sa voiture et qui, pour occuper sa journée, va « faire » le château des ducs d’Armagnac emportera-t-il plus de savoir que nous dans sa musette ? Nous descendons mais, pas plus ici qu’ailleurs, nous n’éprouvons une totale gaîté de cette marche momenta- nément allègre, car toute pente, surtout quand elle conduit à une rivière, ménage une rude remontée à venir. Les mûriers qui bordent le chemin ne portent cette année aucun fruit ou parfois seulement des petites crottes noires ratatinées et immangeables. L’été a été si chaud que les mûres n’ont pas pu grossir et que les champs sont 16 couverts de tournesols noircis en attente d’être moissonnés. D’autres plantes à gousses, pas plus hautes que le genou, sèches elles aussi, attirent notre attention. Nous nous enquérons auprès d’un paysan assis devant sa maison. — Pour sûr, ça peut étonner : c’est du soja. Et là d’où vous venez, ils font des champs en bio. Ils y laissent même pousser l’herbe. Tout est le contraire d’avant ! Regardez donc ces colchiques de l’autre côté du chemin... c’est pas la saison. Tout est déréglé. Les vers d’Apollinaire me viennent à l’esprit : Le pré est vénéneux Mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de uploads/Litterature/ a-la-rencontre-de-d-x27-artagnan-l-x27-exotisme-de-la-proximite.pdf

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