L’envolée des ténèbres. Mort et deuil dans la poésie d’Anne Hébert, Fernand Oue
L’envolée des ténèbres. Mort et deuil dans la poésie d’Anne Hébert, Fernand Ouellette, Jacques Brault et Denise Desautels. ! ! ! ! Lydia!Lamontagne! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Thèse!soumise!à!la!! Faculté!des!études!supérieures!et!postdoctorales! dans!le!cadre!des!exigences! du!programme!de!doctorat!en!lettres!françaises! avec!spécialisation!en!études!canadiennes! ! ! ! ! ! ! ! ! Département!de!français! Faculté!des!arts! Université!d’Ottawa! ! ! ! ! ! ! ©!Lydia!Lamontagne,!Ottawa,!Canada,!2012! ! II! À Simonne Ouellet, qui m’a fait don de sa belle mort À messieurs Marcel Olscamp et François Paré, pour leur soutien indéfectible dans la réalisation de cette thèse Aux Augustines de la Miséricorde de Jésus de Roberval et particulièrement à sr. Arlyn Baker, qui m’a accueillie pendant les derniers mois de ce projet À Joel, Jérôme, Arlette, Ghislain, Jacynthe et Jacques. ! III! RÉSUMÉ Notre thèse tente de dégager une structure globale, un espace de la mort en lien avec l’écriture du deuil qui serait propre à la poésie québécoise telle qu’elle est représentée par Anne Hébert (1916-2000), Fernand Ouellette (1930 –), Jacques Brault (1933 –) et Denise Desautels (1945 –). La notion d’hétérotopie de Michel Foucault constitue le cœur de notre approche théorique parce qu’elle fait le pont entre un lieu localisable et un lieu non localisable dans le réel. Nous l’utilisons pour montrer l’« espace imaginaire de la mort » (Michel Ragon) de chaque poète. Deux notions bachelardiennes – le retentissement et la résonance – guident notre compréhension des images poétiques dans l’écriture de la perte. La mort n’étant pas un sujet ni un thème comme les autres, en faire un concept nous permet de tenir compte de sa particularité philosophique puisqu’il « vise à dégager l’essence d’une notion d’abord perçue comme noyée dans une gangue de contingences multiples » (Claude Bremond). D’un poète à l’autre, l’hétérotopie révèle le passage d’un imaginaire utopique de la mort à une thématisation plus axée sur la problématique de la dépouille. C’est ainsi que la traversée des ténèbres entreprise par Anne Hébert pour naître à la parole vivante ouvre la porte à l’angoisse d’une fin définitive que Fernand Ouellette apaise par sa foi en un au-delà. Son espace de la mort rejoint la notion d’horizon de Michel Collot. De son côté, Jacques Brault thématise la mort comme la fin d’un chemin marqué de nombreux deuils que seule la mémoire peut surmonter. Quant à Denise Desautels, ses poèmes-cimetières sont de petits théâtres construits d’objets et de voix qui rompent la solitude de cet être de langage qu’est la mort. ! 1! INTRODUCTION Dans son Introduction à la poésie québécoise, Jean Royer constate « en cette fin de siècle, une résurgence du thème de la mort lié à la conscience des origines1 ». Il y a un intérêt croissant de la population québécoise pour ce sujet, et ce dans plusieurs sphères de la société ; que l’on pense aux éditions du passage, lieu de dialogue multidisciplinaire sur le deuil et la mort, à l’émission de télévision « On prend toujours un train pour la vie2 » ou à la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité3. De même, les succès internationaux des expositions muséales controversées employant la technique de plastination des corps ou celles du Musée des religions du monde de Nicolet4 témoignent d’une curiosité ici comme ailleurs pour tout ce qui entoure le mourir. Guidée par ces observations, qui semblent amorcer une période de changements de mentalités au Québec, ainsi que par les études européennes sur la littérature et la mort, nous étudierons la présence polymorphe de la mort et du deuil chez Anne Hébert, Fernand Ouellette, Jacques Brault et Denise Desautels, afin de voir comment la poésie de ces quatre poètes majeurs produit une parole sur la disparition. Nous souhaitons parcourir les œuvres de ces quatre auteurs issus de périodes différentes de la poésie québécoise, dans le but de montrer la richesse de ces deux sujets – la mort et le deuil – qui nous préoccupent. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 1 Jean Royer, Introduction à la poésie québécoise. Les poètes et les œuvres des origines à nos jours, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1989, p. 191. 2 Émission animée par Josélito Michaud et diffusée depuis trois ans à la télévision de Radio-Canada. 3 La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, présidée par Madame Maryse Gaudreault, a tenu sa dernière journée d’auditions publiques à Québec, le mardi 22 mars 2011. http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/communiques/CommuniquePresse-1431.html, site consulté le 28 mars 2011. 4 Le Musée des religions du monde de Nicolet a présenté récemment deux expositions intéressantes. D’abord, du 19 mai 2010 au 6 septembre 2010, « À la vie, à la mort » où deux photographes allemands présentaient des photos des personnes avant et après leur décès. Puis, du 19 mai 2010 au 13 mars 2011, l’exposition « Deuils », consacrée aux rites et coutumes entourant la mort dans différentes religions. ! ! 2! Selon la tradition philosophique occidentale, l’homme se différencie de l’animal parce qu’il jouit de la faculté du langage et qu’il peut penser sa mort. Dans La littérature et la mort, qui aborde un sujet étonnamment peu traité, Michel Picard a tenté de « montrer quelles relations étroites, presque consubstantielles, entretiennent la littérature et la mort5 ». Pour le théoricien de la lecture, elle « est une relation, une forme, une structure. Ni un thème donc, ni un schème ni même un concept6 ». Ses recherches l’ont conduit à voir, au-delà de l’énigme radicale que pose « ma mort », un terme hors du commun. Toutefois, Picard reconnaît que la structure qu’il pose est sujette à l’individualité de l’expérience du deuil ; il convient alors de se demander si écrire le deuil constitue une tentative de recréer du sens là où il n’y en a pas. Après tout, n’y a-t-il, sous le masque de la mort, qu’illusion référentielle médiatisée par le langage? Parmi les formes littéraires, la poésie évoque souvent le caractère insaisissable de la mort, peut-être parce qu’elle est fondée sur l’ « image » et qu’elle se prête volontiers aux jeux de langage comme la métaphorisation, l’allégorie, le déplacement, l’allusion. Dans le cadre de cette thèse, nous tenterons de dégager une structure globale, un espace de la mort en lien avec l’écriture du deuil et qui serait propre à la poésie québécoise. Les recherches sur le deuil et la mort dans la poésie française sont plus avancées que celles qu’on trouve en poésie québécoise, mais leurs résultats peuvent-ils convenir à la littérature d’ici? Peut-on dire que les vécus thanatiques, malgré leur caractère individuel, sont universels puisque tous les hommes sont voués à être également frappés par la « grande faucheuse »? Christine Martineau-Génieys, qui s’est penchée sur la poésie française de 1450 à 1550, a conclu « que les leitmotive de la conscience historique collective sont les mêmes !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 5 Michel Picard, La littérature et la mort, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Écriture », 1995, p. 3. 6 Ibid., p. 35.! ! 3! que ceux de la conscience individuelle7 ». Chaque œuvre littéraire serait-elle à ce point représentative de sa communauté d’appartenance? N’existe-t-il pas des figures de la mort contextualisables culturellement, comme le pensent les historiens des mentalités Philippe Ariès8 et Michel Vovelle9? Ces deux chercheurs, qui ont passé en revue des documents variés du Moyen Âge à nos jours, s’accordent pour dire qu’en dépit de l’influence des mentalités d’hier sur celles d’aujourd’hui, les rites et les croyances funèbres sont propres à chaque époque. Cette conclusion, le philosophe Jacques Derrida la fera aussi sienne, lui qui parle « des cultures de la mort. En passant une frontière, on change la mort. On change de mort, on ne parle plus la même langue10. » Il est temps, croyons-nous, qu’une étude de cette écriture, que nous appellerons ici thanatographique, soit faite pour la poésie québécoise. Mais comment les poètes pensent-ils la mort, celle qui est liée à l’Histoire, celle des autres, la leur? Que peut-on dire d’un « je » issu d’une écriture qui porte sur la mort ou le deuil? Existerait-il, sur ce plan, une filiation entre le « je » de François Villon et celui que revendiquait, par exemple, le jeune Jacques Brault ou, plus récemment, le poète Robbert Fortin? Un « je » outre-atlantique si reculé dans le temps aurait-il influencé les poètes québécois d’aujourd’hui? On s’étonne qu’aucune étude de fond, comme celles de Louis Bourgeois11, Benoît Conort12 ou Christine Martineau-Génieys pour la poésie française, n’ait été faite pour les poètes d’ici. Il existe plusieurs anthologies sur la mort dans la poésie française, par exemple celle d’André Cabot, La mort et ses poètes, qui rend compte « des relations ininterrompues que les poètes d’expression française ont entretenues avec la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 7 Christine Martineau-Génieys, Le thème de la mort dans la poésie française de 1450 à 1550, Paris, Champion, 1977, p. 5. 8 Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 2 vol., 1985. 9 Michel Vovelle, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1981. 10 Jacques Derrida, Apories, Paris, Éditions Galilée, coll. « Incises », 1996, p. 51. 11 Louis Bourgeois, Poètes de l’au-delà : D’Éluard uploads/Litterature/ poetique 1 .pdf
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- Publié le Mai 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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