À PROPOS DE LA LECTURE INTÉGRALE… par Christine CRINQUAND-LORENT Professeure ag
À PROPOS DE LA LECTURE INTÉGRALE… par Christine CRINQUAND-LORENT Professeure agrégée de lettres modernes 19 Enseigner le français n° 2 La réflexion qui va suivre se veut davantage pragmatique que théorique. Une trentaine d’années d’enseignement au collège et au lycée permettent de croiser des générations d’élèves lecteurs bien différents. Ce sont eux qui nous ont amenés à nous inter- roger sur nos choix de titres et nos démarches didactiques, et qui nous interrogent toujours. Une analyse de la situation s’impose avant d’évoquer quelques pistes et quelques pratiques suscep- tibles de donner à nos élèves le goût de la lecture littéraire. N PETITE HISTOIRE DE LA LECTURE INTÉGRALE… La pratique de la lecture intégrale a toujours été inscrite aux programmes des classes. Longtemps appelée au collège «lecture suivie», elle proposait aux élèves la lecture intégrale d’une œuvre, mais fractionnée par le fait d’un enseignement cloisonné. Le texte choisi s’étirait ainsi, à raison le plus souvent d’une heure par semaine, sur plusieurs mois parfois. On voit bien les incon- vénients d’un tel système. Les meilleurs des élèves avaient su faire leur propre lecture autonome et ressassaient des fragments, tan- dis que les plus faibles suivaient une sorte de feuilleton dont ils n’arrivaient pas toujours à reconstituer le fil. Pour les uns comme pour les autres, il résultait une lassitude qui dénaturait le texte et lui faisait perdre beaucoup de son intérêt, narratif et esthétique. Autre inconvénient – et de taille –, il était rare que cette pratique permît de faire lire plus de trois œuvres en une année. Or les textes officiels actuels suggèrent un nombre significatif de lec- tures pour le cursus du collège, puisque le chiffre de 36 titres est recommandé. Soit pour une année scolaire, 9 titres répartis à égalité entre la lecture intégrale, la lecture cursive et la lecture d’une œuvre par extraits. Ces instructions accompagnent celles Dossier 20 de la pratique du décloisonnement au sein duquel la lecture est devenue avec l’écriture un enseignement fondamental. Pour répondre aux exigences de ces programmes, il nous incombe de développer chez nos élèves une posture de lecteur. C’est là l’objectif essentiel de la pratique de la lecture intégrale en classe. S’y rattachent des objectifs secondaires, appliqués à chacun des types de lectures engagées, pour donner aux élèves les compétences de lecture qui leur permettront d’entrer seuls dans l’univers du texte. Ce n’est pas là chose facile. N «J’AIME PAS LIRE… » (SIC) L’expression est banale, parfois énoncée comme une sorte de préambule ou de mise en garde par l’enfant, l’adolescent – et jusque dans les classes de lycée. C’est un constat qui mérite qu’on s’y arrête. Deux remarques simples peuvent éclairer notre approche de la lecture avec les jeunes. La première est d’ordre environnemental, la seconde d’ordre cognitif. L’acte de lire requiert la solitude, le silence et la concentra- tion. Rares sont les élèves, notamment à l’entrée au collège, qui sont capables d’affronter ces éléments. Leur environnement est le plus souvent celui du groupe, des jeux, meublé par un fond musical ou télévisuel. Lire seul, entrer dans un livre, c’est se cou- per d’un monde connu, rassurant, pour entrer dans un univers inconnu, donc déstabilisant. Et la concurrence est rude. Un film – ou téléfilm – livre en 90 minutes ce que le livre ne donnera par- fois qu’en 300 pages, pour un effort de temps et de concentration qui ne supporte pas la comparaison. Dans notre monde où tout va toujours plus vite, le choix s’impose de lui- même. De plus, force est de constater que l’environnement culturel des enfants est plus diversifié, et davantage orienté vers les nouvelles technologies. Si l’acte de lire reste nécessaire, il prend une dimension d’utilité, d’efficacité qui laisse de côté la lecture littéraire. Il n’est pas rare de voir un élève de sixième en difficulté dans la lecture d’un texte ou d’une œuvre même courte naviguer dans les programmes d’un ordinateur ou «sur- fer» avec aisance sur le net. C’est qu’il a développé une compétence de lecture, sans doute non négligeable, mais qui ne correspond pas à celle requise par l’acte de lire dans une classe de français. Dossier Au plan cognitif, ce qui paraît être un frein majeur à la lecture est la difficulté d’actualiser les textes. L’actualisation discursive fait simultanément appel à plusieurs compétences: lexicales, gram- maticales, discursives et encyclopédiques. Chez le «lecteur modèle», pour reprendre le terme d’Umberto Eco, ces compé- tences existent et lui permettent d’entrer dans le texte. Qu’une ou malheureusement plusieurs de ces compétences vienne à man- quer et le texte va rester un objet hermétique sans intérêt voire déplaisant. Au-delà de la compréhension, pour accéder au plaisir du texte, il est nécessaire que le lecteur ait intégré un certain nombre de scénarios, des stéréotypes, qui lui permettront de conce- voir des anticipations avec lesquelles il pourra jouer et avancer d’« un bon pas» dans le livre. On voit bien ici comment s’énonce le problème: lire exige des compétences que l’on ne peut acqué- rir… qu’en lisant! C’est de ce paradoxe que naît la problématique de l’ensei- gnement de la lecture intégrale. N LECTURE INTÉGRALE ET DÉCLOISONNEMENT Cette problématique reste la même du collège au lycée. Toutefois les visées, donc les démarches de mise en œuvre sont différentes. Au collège, les démarches s’appuient sur une atti- tude de participation, voire d’identification du lecteur, pour progressivement l’amener à une attitude de distanciation néces- saire à l’approche des textes littéraires au lycée. Mais il serait absurde de croire que l’une et l’autre puissent être cloisonnées. La lecture participative doit permettre à l’enfant de pénétrer le livre en retrouvant, dans le déroulement de la narration, des actes et des émotions qu’il peut faire siens. Le pôle narratif essentiellement exploré en classe de sixième, va dans ce sens. Mais une reconnaissance de l’esthétique du texte existe déjà. L’étude du conte, relayée par celle des textes fondateurs n’a pas pour unique objet la découverte et la maîtrise des constantes du discours narratif. Le plaisir est ailleurs, dans l’appréhension du merveilleux et l’émotion qui l’accompagnent. Cette dualité pré- side à la construction de chaque séquence: il faut travailler les compétences linguistiques et discursives nécessaires à la progres- sion de la capacité de lecture, ce qui pourrait constituer le pôle «technique» de l’étude, tout en préservant la mise en évidence du caractère esthétique et émotionnel du texte. Ce dernier point est fondamental si l’on ne veut pas que le texte devienne un 21 Enseigner le français n° 2 22 simple «objet d’étude», prétexte à l’analyse du fonctionnement narratologique, à l’analyse théorique de l’énonciation ou à la leçon sur le fait grammatical «intéressant» figurant au pro- gramme. Tous ces objets n’ont d’intérêt que rapportés à la finalité esthétique du texte, et cela quel que soit le niveau de classe. Le conte étudié en sixième n’est pas seulement intéres- sant parce qu’il offre une occasion de démonter les rouages du schéma narratif, schéma qui entraînera les élèves à produire un récit dans un ordre cohérent. Il est intéressant parce que cet ordre ménage les surprises, les attentes, les émotions et qu’il réapparaîtra, en une multitude de variations, dans la plupart des œuvres lues, des Fables de La Fontaine aux contes philosophiques de Voltaire, en passant par la plupart des grands romans de notre patrimoine littéraire. C’est dans cet esprit que se façonnent la progression de nos programmes de lecture et la construction de nos séquences. La distanciation en lecture va s’acquérir au fil du cursus col- lège-lycée. Pour autant, la lecture participative ne disparaît pas. Une œuvre s’impose au lecteur par les émotions, les échos qu’elle fait naître en lui. Mais on attend qu’au terme d’années d’apprentissage – mais est-il jamais fini? – le lecteur acquière une posture critique face au texte qui lui permettra d’en appré- cier la valeur esthétique et/ou morale au-delà de la saveur. Et il ne faudrait pas occulter un objectif essentiel, celui de l’appré- hension de l’intertextualité, fondement de toute culture littéraire. Concrètement, la pratique du décloisonnement répond plei- nement à ces aspirations, dans la mesure où elle permet d’associer intimement l’apprentissage des techniques et leur mise en œuvre au service du texte. Construire une séquence de lecture intégrale, c’est essayer d’atteindre à une alchimie qui conjoindra le technique et le sensible. N L’INSTRUMENTALISATION DE LA LECTURE INTÉGRALE Dans le cadre de la lecture intégrale des textes, on distinguera deux approches différentes: la lecture analytique d’une œuvre et la lecture cursive. Un rapport de l’inspection générale de l’Éducation nationale, L’enseignement du français au collège (sep- tembre 2002 – N° 2002-046) fixe très clairement les perspectives de chacune des mises en œuvre: Dossier • Lecture analytique: sens et outils «On connaît les reproches qui sont faits depuis quelques années concernant une dérive techniciste de la lecture, principalement dans le cadre de la lecture analytique. Sans revenir sur les détails de cette critique, on ne peut que prendre en compte les interrogations dont elle témoigne aussi bien chez des professeurs que chez des parents d’élèves. L’inspection Générale aura à préciser de nouveau ce uploads/Litterature/ a-propos-de-la-lecture-integrale-pdf.pdf
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- Publié le Jan 03, 2023
- Catégorie Literature / Litté...
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