LA FORME DU COLLECTIF Les Révoltes logiques, un cas de recomposition intellectu

LA FORME DU COLLECTIF Les Révoltes logiques, un cas de recomposition intellectuelle et militante dans l’après-68 Ariane Revel Presses de Sciences Po | « Raisons politiques » 2017/3 N° 67 | pages 49 à 69 ISSN 1291-1941 ISBN 9782724635010 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-49.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La revue, constituée de volumes in octavo brochés, d’une grosse centaine de pages en moyenne, connaît une parution trisannuelle de 1975 à 1981 ; son objet est l’étude des révoltes, dans leur singularité historique – et les travaux qui y sont publiés sont le plus sou- vent le résultat d’un travail sur des sources archivistiques. Après l’arrêt de la revue, le collectif perdure jusqu’en 1985, signant encore deux livres 1. En bien des aspects, ce travail constitue l’exemple d’un mode opéra- toire qui est loin d’être isolé dans la conjoncture qui est la sienne : le milieu des années 1970 connaît, d’une part, une prolifération des revues ; de l’autre, l’émergence de groupes qui sont indissociablement des groupes de recherche et des groupes politiques, dans un sens dont nous verrons les enjeux spécifiques. Et dans le même temps, parce que, contrairement à d’autres exemples de la même période, le travail du collectif continue jusque dans le milieu des années 1980, Les Révoltes logiques 2 donnent à voir non seulement un état du rapport entre recherche et militantisme – que l’on pourrait caractériser comme celui de l’après-Mai –, mais aussi sa transformation, jusqu’à la disparition complète de la conjoncture qui l’avait permis. En effet, les recompositions à l’œuvre dans le recrutement 1 - Les sommaires de la revue sont disponibles en ligne (http://archivesautonomies.org/ spip.php?article86, consulté le 9 juin 2017) ; les Éditions Horlieu ont par ailleurs rendu disponi- bles intégralement les six premiers numéros de la revue, le numéro spécial paru à l’occasion du dixième anniversaire de Mai 68, « Les lauriers de Mai », ainsi que des textes signés par le collectif. Autour d’un intérêt commun pour les révoltes, les travaux sont très divers et abordent davantage des expériences singulières (ouvriers, femmes, enfants, communautés en tous genres... souvent dans leur rapport au travail, et plus largement aux institutions). Jacques Ran- cière revient sur cette diversité dans un entretien publié en 2012, qui rejoint les propos d’autres membres du groupe : « C’était une espèce de bricolage. (...) Il y avait des réunions chez moi ou chez quelqu’un d’autre où tel ou tel d’entre nous faisait un exposé sur ses recherches, qui donnait éventuellement lieu à un article dans Les Révoltes logiques. Ceci était difficilement conciliable avec la logique qui devenait de plus en plus celle des revues, à savoir les numéros thématiques, où l’on commande des articles en fonction du thème. » Jacques Rancière, La méthode de l’égalité, entretien avec Laurent Jeanpierre et Dork Zabunyan, Paris, Bayard, 2012, p. 78. 2 - Nous utiliserons ici les italiques pour distinguer la revue du collectif, mentionné comme ici en caractère romains. © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 01/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 88.21.53.224) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 01/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 88.21.53.224) comme dans les méthodes de travail de ce collectif de recherche, de 1975 au milieu du premier septennat de François Mitterrand, sont autant de traces de l’évolution de la conjoncture universitaire et militante, et de la modification des rapports entre activité de recherche et activité politique. Faire l’histoire de ce collectif, c’est donc s’intéresser, à travers un prisme particulier, aux métamorphoses d’une forme de travail intellectuel ancrée dans une période, à une manière de lier recherche et politique, tout à la fois dans les objets abordés et dans les modalités du travail. C’est aussi insister sur la composante sociale de ce travail : si Les Révoltes logiques constituent un point d’observation particulièrement riche des questions qui, dans la seconde moitié des années 1970 et le début des années 1980, traversent une partie de l’extrême gauche, et des positions qui s’y définissent, ces questions et ces positions ne peuvent être comprises que dans la mesure où l’on rend compte de la manière dont un groupe de ce type se structure, se modifie, et se défait. La forme même du collectif, c’est-à-dire les modalités possibles d’une production intellectuelle à plusieurs, change au cours de la période d’activité du groupe 3. Ce change- ment est notamment l’effet de la transformation de relations internes ; mais ces relations sont elles-mêmes tributaires d’un contexte plus large déterminant les conditions de la production intellectuelle. Dans cet article, on aimerait par conséquent s’intéresser aux effets de composition et de recomposition qui marquent les dix années d’existence du groupe. À travers l’étude du collectif, à la fois forme de sociabilité, lieu d’éla- boration théorique et structure matérielle de production de la revue, l’enjeu est de comprendre les conditions de possibilité d’une production théorique et de la forme qu’elle a prise, mais aussi d’éclairer les rapports dynamiques qui se tissent entre le monde militant et celui de l’université. Du milieu des années 1970 au milieu des années 1980, la conjoncture change : les transformations qui affectent tant la sphère politique que l’université, et plus largement les lieux de recherche, s’expriment dans les carrières des membres du collectif et dans ses modes de fonctionnement. On s’appuiera donc ici sur le matériau fourni par la revue et les deux livres collectifs publiés après son arrêt, ainsi que sur certains textes publiés par le collectif dans d’autres revues, et également sur des entretiens réalisés auprès d’un certain nombre des membres du collectif. Enfin, les archives privées liées au groupe que Geneviève Fraisse nous a permis de consulter laissent quant à elles apercevoir certains pans de cette expérience 4. 3 - Cette forme de travail en « collectif » est loin d’être isolée : les membres des Révoltes logiques côtoient ou participent activement à plusieurs groupes dont la structure est similaire, qu’il s’agisse de groupes féministes, de collectifs d’enseignants ou encore du Théâtre du Soleil. 4 - Ce travail d’enquête a été réalisé en 2010 dans le cadre d’un mémoire de master en socio- logie politique de l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Sept anciens membres du collectif de rédaction, présents à la fondation ou arrivés plus tardivement, ont été interrogés : Patrice Ver- meren, Stéphane Douailler, Geneviève Fraisse, Michel Souletie, Arlette Farge, Serge Cosseron et Patrick Cingolani. Jacques et Danielle Rancière, bien qu’ayant donné un accord de principe pour un entretien, n’ont pas pu être interrogés. Jacques Rancière est cependant revenu de façon détaillée sur l’expérience des Révoltes logiques dans la préface de la réédition des articles publiés dans la revue (Les scènes du peuple. Les Révoltes logiques 1975-1985, Paris, Horlieu, 2003) et surtout dans le long entretien avec Laurent Jeanpierre et Dork Zabunyan cité plus haut 50 - Ariane Revel © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 01/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 88.21.53.224) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 01/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 88.21.53.224) Les Révoltes logiques se constituent dans le cadre du déclin des luttes de l’immédiat après-68 et de leur conversion en d’autres pratiques. Le collectif initial est constitué d’anciens maoïstes, ou de sympathisants maoïstes. Mais tout au long de son existence, le collectif se modifie selon deux axes. Le premier est celui des rapports avec le militantisme. Si des engagements individuels peu- vent perdurer du côté de luttes sectorielles, les liens avec des groupes politiques spécifiques se distendent ; inversement, des contributeurs d’une autre origine militante se joignent au collectif sur la base d’affinités intellectuelles. Les trans- formations du recrutement marquent alors tout à la fois l’évolution des proxi- mités théoriques entre des groupes hétérogènes et la transformation des critères d’intégration au collectif. Le second axe est celui du rapport avec la recherche, et en particulier avec les champs constitués que sont la philosophie d’une part – uploads/Litterature/ a-revel-re-voltes-logiques.pdf

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