Enfin chez moi ! ROMAN KIDI BEBEY À PROPOS DE L’AUTEUR Kidi Bebey est née en Fr
Enfin chez moi ! ROMAN KIDI BEBEY À PROPOS DE L’AUTEUR Kidi Bebey est née en France, de parents camerounais. Fille de musicien, elle a grandi dans une famille ouverte aux autres cultures et se sent aujourd’hui chez elle à Paris comme à Douala, Dakar, Cotonou ou Bamako. Elle revendique volontiers sa culture métisse et l’affirme aussi bien dans son travail de journaliste qu’à travers ses écrits littéraires. Pendant de nombreuses années, elle a ainsi dirigé Planète Jeunes, magazine panafricain pour adolescents. Elle a ensuite produit et animé pour RFI et France Culture des émissions sur les femmes africaines et collabore aujourd’hui à divers magazines. Auteure de nombreux romans et albums pour la jeunesse, elle écrit maintenant également pour un public adulte. Dans la collection Mondes en VF Papa et autres nouvelles, VASSILIS ALEXAKIS, 2012 (B1) La cravate de Simenon, NICOLAS ANCION, 2012 (A2) Le cœur à rire et à pleurer, MARYSE CONDÉ, 2013 (B2) Quitter Dakar, SOPHIE-ANNE DELHOMME, 2012 (B2) Un cerf en automne, ÉRIC LYSØE, 2013 (B1) La marche de l’incertitude, YAMEN MANAI, 2013 (B1) Pas d’Oscar pour l’assassin, VINCENT REMÈDE, 2012 (A2) Jus de chaussettes, VINCENT REMÈDE, 2013 (A2) © Les Éditions Didier, Paris, 2013 ISBN 978-2-278-07637-6 LA COLLECTION MONDES EN VF Collection dirigée par Myriam Louviot Docteur en littérature comparée www.mondesenvf.com Le site Mondes en VF vous accompagne pas à pas pour enseigner la littérature en classe de FLE par des ateliers d’écriture avec : • une fiche « Animer des ateliers d’écriture en classe de FLE » ; • des fiches pédagogiques de 30 minutes « clé en main » et des listes de vocabulaire pour faciliter la lecture ; • des fiches de synthèse sur des genres littéraires, des littératures par pays, des thématiques spécifiques, etc. Téléchargez gratuitement la version audio MP3 sur le site. 1 Karine a envie de hurler. Elle veut pousser un grand cri, de toute la force de ses poumons. Mais c’est impossible. Elle passera pour folle ou malade, si elle essaye. Elle imagine déjà les passants appeler la police ou chercher à lui venir en aide. C’est vrai, qui a envie de pousser un cri de joie, en pleine rue, à Paris ? Surtout un vrai cri de joie triomphal 1. Un cri comme celui des champions de course à pieds, lorsqu’ils passent, en tête 2, la ligne d’arrivée ? Karine rêve soudain qu’elle lève les bras en l’air en signe de victoire. Dans le stade, autour d’elle, la foule applaudit. Et les télévisions du monde entier filment l’événement ! On lui tend un drapeau et voilà que cette joie intense lui donne la force de courir, encore une fois, sur la piste. Elle porte haut ses couleurs : blanc, rouge, bleu. Ou peut-être vert, rouge, jaune. Et si on inventait un nouveau drapeau pour elle ? Un drapeau multicolore ? « Tout va bien, mademoiselle ? » Bien sûr ! Tout va bien. Tout va superbement bien. Incroyablement bien. Karine fait claquer ses talons 3 sur le trottoir. Le plus fort possible. Victoire ! Victoire ! J’ai réussi ! J’ai réussi ! Voilà le métro. Elle descend les marches à toute vitesse et se jette dans la rame 4 qui va démarrer. Elle sourit et s’assoit à côté d’une femme très élégante. La femme lui sourit à son tour. Karine se redresse et essaye de se tenir droite comme sa voisine. Si un jour, dans le monde entier, les gens se sourient ainsi, sans raison : la Terre tournera plus rond. Elle regarde sa montre. La ligne la conduit directement à destination, en dix-sept stations. Aucun changement n’est nécessaire. Il lui faut juste un peu de patience. Des voyageurs montent et descendent. Aujourd’hui, Karine regarde les visages des autres passagers avec intérêt. Beaucoup d’entre eux semblent fixer un point invisible devant eux, d’un air triste. Quelques-uns sont plongés dans leur lecture. Personne ne s’intéresse à elle. Pourtant, Karine veut croire que malgré tout, malgré leur air indifférent, ces inconnus sont heureux pour elle… Karine sourit de nouveau. En attendant d’arriver à « sa » station, elle plonge la main au fond de son sac, à la recherche de ses nouvelles clés. Elle les sent, à travers l’enveloppe 5. Ces clés sont à moi ! À moi ! Mes clés à moi ! Ses doigts rencontrent, au fond du sac, son téléphone mobile. Elle pourrait le rallumer, mettre ses écouteurs et passer l’une des musiques qu’elle aime en ce moment. Tout à coup, elle a envie de chanter. Dans le métro, elle n’ose pas. Alors elle retient en elle la chanson qui lui passait justement par la tête. Mais elle ne retient pas son sourire, ça, c’est impossible. Il restera sans doute sur ses lèvres une bonne partie de la journée. Enfin arrivée ! Elle sort du métro en montant les marches avec souplesse 6. Elle tourne au coin de l’avenue et découvre la façade de l’immeuble. Elle ralentit, elle se retient. Il faut d’abord qu’elle retrouve son calme. Elle remarque, en passant, une papeterie 7 où elle s’arrête. « Bonjour, vous auriez un stylo rouge et des étiquettes 8 autocollantes ? » Quelques mètres encore et voilà, c’est là, c’est chez elle désormais. Sur cour, au numéro 24, exactement comme son âge, 24. Et après ça, qui osera dire encore que c’est un hasard ? Non. Cet appartement était pour elle, au numéro 24, au 6e étage (divisez 24 par 4, tiens !) et la signature a eu lieu aujourd’hui, le 12 (soit la moitié de 24). Non, décidément cela n’a rien d’un hasard. Karine sort son stylo et une étiquette. En lettres majuscules, elle écrit son nom en gros. « MANGA ». Elle hésite, puis ajoute l’initiale 9 de son prénom : « K ». Elle cherche sa boîte aux lettres des yeux. Il faudra qu’elle demande une plaque officielle, gravée 10, comme celle des autres. Elle colle l’étiquette, puis recule pour regarder son travail. Pour l’instant, son nom se remarque assez bien, avec ses grosses lettres rouges. Mais Karine aimerait que tout le monde le voie. Elle aimerait même ajouter « PROPRIÉTAIRE » en dessous de « MANGA K. » Pour que tout le monde le sache. Je veux que tout le monde le sache ! Le bruit de la clé dans la serrure et, miracle, la porte s’ouvre presque en douceur. Sa clé « à elle », sa porte « à elle ». Karine regarde la pièce avec fierté 11. Tout ça, c’est à moi, moi, moi ! Elle observe chaque détail : la peinture un peu vieille d’un mur, le plancher 12 qui n’est pas totalement plat, le tuyau blanc du radiateur, l’ampoule nue qui descend du plafond. Elle pousse un profond soupir de satisfaction puis se dirige vers la chambre. Par la fenêtre, on aperçoit trois marronniers 13, bien alignés les uns à côté des autres. Karine ne connaît que trois noms d’arbres parisiens : les platanes, les peupliers et les marronniers. Elle aime tout particulièrement ces derniers car elle trouve que leurs feuilles font penser à celles du manguier. Il y avait d’énormes manguiers près de sa maison, « là- bas ». Lors de sa première année d’école en France, elle avait fait une présentation du marronnier. Elle avait découvert que cet arbre qui semblait tellement parisien venait en fait de très loin, de Constantinople ! « Et ici, une vue agréable sur des marronniers », avait dit la femme de l’agence. « Je ne vous apprendrai pas que voir des arbres de sa fenêtre est très rare dans une ville comme Paris ! » Karine examine ses arbres. Ne tombez pas malades, hein ? Je vous surveille. Je veux continuer à avoir une vue agréable. Vous savez, à Paris, c’est une chance de voir des arbres, de sa fenêtre. Je ne vous apprendrai rien. Karine n’a connu que la vue sur les appartements d’en face. Dans la cité universitaire 14 où elle est allée vivre, quand elle a quitté pour la première fois « la maison ». Puis dans cet immeuble où elle sous-loue une chambre, au dix- huitième étage, depuis qu’elle a trouvé un premier emploi. Je mettrai mon lit ici, pour voir le temps qu’il fait le matin. Et j’irai saluer mes marronniers. Sur le mur de la salle de bain, Karine retrouve la reproduction inachevée 15 d’un détail de la chapelle Sixtine. Le dessin est mauvais, les couleurs inexactes. Deux index 16 se touchent, comme dessinés par une main d’enfant. Horrible ! « Bon… chacun ses goûts, avait fait remarquer la femme de l’agence. Si vous voulez recouvrir tout ça de rose ou de bleu, vous êtes libre de faire ce que vous voulez. » Karine rêve d’aller voir l’œuvre 17 originale, un jour, à Rome. Elle ne connaît que les reproductions de cette œuvre dans les livres. Je suis nulle 18 en dessin, mais je ferais sans doute mieux que ça ! Je vais tout repeindre en blanc. Elle sourit. J’ai réussi, j’ai réussi, j’ai réussi ! uploads/Litterature/ a2-enfin-chez-moi-pdf.pdf
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- Publié le Fev 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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