Alain (Émile Chartier) “ L’accord pour la vie ” (Discours de distribution des p

Alain (Émile Chartier) “ L’accord pour la vie ” (Discours de distribution des prix au lycée de Lorient en 1895) Un document produit en version numérique par Bertrand Gibier, bénévole, professeur de philosophie au Lycée de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas-de-Calais) Courriel: bertrand.gibier@ac-lille.fr Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/ Alain (1895), “ L’accord pour la vie ” 2 Politique d'utilisation de la bibliothèque des Classiques Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation formelle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue. 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Jean-Marie Tremblay, sociologue Fondateur et Président-directeur général, LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES. Alain (1895), “ L’accord pour la vie ” 3 Cette édition électronique a été réalisée par Bertrand Gibier, bénévole, professeur de philosophie au Lycée de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas-de-Calais), bertrand.gibier@ac-lille.fr , à partir de : ALAIN (Émile CHARTIER), (1895) « L’accord pour la vie » (Discours de distribution des prix au lycée de Lorient en 1895) Une édition électronique réalisée à partir du discours d’Alain (Émile Chartier) (1895), “ L’accord pour la vie (Discours de distribution des prix au lycée de Lorient en 1895) ” in Le Nouvelliste, 4 août 1895. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times New Roman 12 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition complétée le 8 novembre 2006 à Chicoutimi, Québec, revue, corrigée avec ajout des mots grecs manquants le 28 juin 2008. Alain (1895), “ L’accord pour la vie ” 4 Émile CHARTIER « L’ Accord pour la vie » Discours de distribution des prix au lycée de Lorient Le Nouvelliste, 4 août 1895. On vous parle beaucoup, on vous parle trop de la lutte pour la vie. Tous les instants critiques de votre existence, on vous l’a assez répété, seront comme des batailles, pour lesquelles nous vous armons d’intelligence et de volonté. Tout à l’heure nous allons couronner les plus forts d’entre vous, et comme les marquer pour la victoire, et cette distribution des prix serait ainsi le symbole attristant de la vie dans laquelle vous allez entrer, car l’homme, vous dit-on trop souvent, est né pour lutter contre l’homme, et la vie est un combat sans laquelle les vaincus ont tort. On pourrait n’accorder qu’une médiocre attention à ces aphorismes de la sagesse vulgaire. Mais la Science, je veux dire la fausse Science, celle qui n’est pas sortie de la Caverne, et se livre à de puériles conjectures sur les ombres qu’elle voit passer, a voulu faire de cette affirmation banale une espèce de dogme ; et voici ce qu’elle prétend : L’Être vivant a des besoins auxquels la richesse de la Nature suffit à peine. Par suite tout ce qu’un être prend pour lui il l’arrache aux autres ; la vie de celui-ci entraîne la mort de celui-là. Des loups se disputant une proie, tel est le symbole exact de l’existence de tout ce qui vit. Car l’homme aussi est un loup pour l’homme. Quand même il aurait en lui les plus généreux instincts, quand même il serait fait pour Aimer, la nécessité le conduirait à Haïr. L’homme, si supérieur aux animaux qu’on le suppose, a un corps, il est esclave de la Alain (1895), “ L’accord pour la vie ” 5 Nature ; par son corps, il subit la loi universelle de la lutte. Seuls les plus forts et les plus habiles survivent. Ainsi le progrès lui-même, ce grand mot dont l’humanité se grise et se leurre, est une victoire des mieux armés sur les autres. Le progrès c’est l’élimination inévitable des faibles, et le bonheur de quelques-uns est nécessairement fait du malheur des autres. Mais alors d’où viennent la confiance, la sympathie, le dévouement ? D’où viennent la foi aux serments, l’amour de la famille, le culte de la Patrie ? — Conventions et hypocrisie que tout cela, réplique la fausse Science. L’homme lutte pour la vie ; seulement il lutte avec intelligence. L’habileté chez lui s’ajoute à la force ; c’est pourquoi l’homme [ne] 1 s’allie à l’homme que pour lutter contre l’homme. À Défaut du raisonnement, l’histoire nous le démontrerait. Il a existé un peuple chez qui le culte du foyer, le dévouement à la Patrie, le sacrifice de l’individu à l’État ont été aussi absolus qu’on peut le concevoir : c’est le Peuple Romain, et le peuple Romain a conquis le monde. Telle est, Messieurs, en raccourci, la conception qu’une science de vue courte se fait de l’exigence de la vie. S’il n’y avait qu’à enregistrer cet arrêt, n’est-ce pas que j’aurais mieux fait de vous parler d’autre chose, et de vous entraîner, pour quelques instants, loin des exigences de la vie pratique, dans la demeure sereine du philosophe. Mais cela n’est pas. Ce prétendu dogme est faux. Ce résultat de l’expé- rience est démenti par l’expérience. Cette conception de la vie est contraire aux lois de la Vie. Ce n’est pas « Lutte pour la vie » qu’il faut dire, c’est « accord pour la vie ». Lorsque la Science vous dit que la Vie est une lutte sans merci, la Science se trompe. Au lieu d’être le commentaire du mot célèbre : « Malheur aux vaincus », l’étude des êtres vivants est une illustration de cette autre maxime bien plus profonde : « Malheur à celui qui est seul ». Vous connaissez, chers élèves, le très ancien apologue des Membres et de l’Estomac. Les Membres s’avisèrent un jour de vivre en parfaits égoïstes, et de mettre en pratique la maxime « chacun pour soi » et ils ne le purent pas. Je ne dis pas qu’ils en souffrirent. Je dis bien plus. Je dis qu’ils en moururent, et qu’ainsi l’égoïsme complet non seulement leur fut nuisible, mais même leur fut impossible. Or cet apologue, très naïf en apparence, est devenu une vérité scientifique. Un corps organisé est une cité qui n’existe et ne subsiste que par l’union et la solidarité parfaite des êtres vivants qui la composent. 1 Mot ajouté par nous. [BG] Alain (1895), “ L’accord pour la vie ” 6 Au fond des mers gisent des masses inertes, sans forme et en apparence sans vie. Ces êtres pourtant sont vivants, mais ils dorment. Les mouvements de la mer les nourrissent. L’épaisse couche des eaux les protège. Ils sont indifférents les unes aux autres parce qu’ils sont indifférents à eux-mêmes ; ils ne souffrent pas, donc ils n’aiment pas. Mais que l’enveloppe protectrice de la mer vienne à leur manquer, que quelques-uns de ces vivants rudimentaires éprouvent les actions nuisibles d’un milieu nouveau, aussitôt tout se réveille, tout s’agite. Les mouvements imper- ceptibles qui étaient comme le souffle de tous ces êtres endormis, s’accen- tuent, s’unissent, se précisent. Tout choc reçut par chacun des éléments se répercute à travers tous les autres. Une communauté d’actions et de réactions s’établit entre eux. Chacun d’eux fait avec plus d’énergie les mouvements auxquels il est propre. L’Organisation, la Coordination des actions, c’est-à- dire la Vie, commencent avec l’association. L’agglomération devient organis- me. La masse indistincte devient individu, et tout individu vivant est véritable- ment une ville, une nation, dont la loi se résume en ce seul mot : Dévouement. Pourquoi les bras s’étendent-ils en avant pour repousser un péril qui ne les menace pas ? Pourquoi une simple piqûre imprime-t-elle à l’organisme tout entier des mouvements désordonnés ? Pourquoi le cœur, caché derrière votre poitrine, bat-il plus fort lorsque seulement vos yeux aperçoivent un danger ? Pourquoi cette solidarité, Messieurs, sinon parce que la loi de la vie, c’est la vie en société ? Si vraiment l’égoïsme était au fond de la vie ; si l’instinct de conservation était le premier de tous les instincts, est-ce que les parties se sacrifieraient ainsi au uploads/Litterature/ accord-pour-la-vie.pdf

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