Université Mohammed V - Agdal Faculté des Lettres Etudes françaises Master : Ar

Université Mohammed V - Agdal Faculté des Lettres Etudes françaises Master : Art et littérature comparés Elément : Rapports entre peinture et littérature Semestre 1 Professeur : M. Youssef Wahboun Le rapprochement inter-artistique  A travers les siècles, des disciplines comme l’esthétique ou la critique littéraire fournissent des apparentements devenus à la fois classiques et incontestables : Hugo est le Michel-Ange de la poésie, Mantegna le Corneille de la peinture ; Watteau est souvent rappelé devant les fêtes galantes de Verlaine, Manet devant les créatures de Zola, Huysmans devant celles de Gustave Moreau. Ces analogies sont-elles le résultat d’une réflexion scientifique sur les œuvres mises en parallèle ? Aussi évidentes que soient les affinités entre un tableau et un texte littéraire, le rapprochement picto-littéraire est l’effet d’une sensibilité mnémonique personnelle. Dans l’esprit du lecteur-spectateur, il s’opère spontanément des rencontres fécondes affranchies de l’impératif du raisonnement. Au point de donner lieu à des mises en parallèles surprenantes, faisant correspondre l’une à l’autre des œuvres qui semblent même se repousser et se contredire : l’historien de l’art Kenneth Clark évoque « la simplicité voluptueuse et passionnée » des poèmes de Keats devant les nus de Giorgione1, le peintre Bruno Charbonnet est frappé par le « lien entre Dürer et Rimbaud »2, l’écrivain Régine Detambel retrouve dans les romans de Colette un « style fabuleux, à rapprocher du maniérisme d’Arcimboldo »3, Gilles Deleuze revoit l’univers imaginaire de Kafka dans les toiles de Francis Bacon4. le rapprochement picto-littéraire n’en demeure pas moins aussi séduisant qu’inévitable. Mais qu’en est-il de son étude analytique ? Existe-t-il une discipline qui puisse soumettre l’analogie interartistique à un appareil critique définitivement composé et théoriser scientifiquement la comparaison entre l’œuvre plastique et l’œuvre littéraire ? les essais réalisés dans cette voie ont même donné « des pages délirantes » où l’interprétation des œuvres aboutit « à un mélange de langages critiques »5. En 1969, Etienne Souriau fonde une méthode analytique qu’il baptise « esthétique comparée »6 et qui consiste selon lui à « confronter entre 1 Le Nu. Hachette, Littérature, 1998, t. 1, p. 196. 2 « Approches de l’art actuel. Paroles d’artistes sur l’histoire de l’art et la critique », dossier de l’Ecrit- voir, n° 5, 1984-1985, p. 60. 3 « Georges Sand et Colette. Ce que les femmes leur doivent », dossier de Lire, mai 2004, p. 37. 4 Francis Bacon. Logique de la sensation. La Différence, 1981, t. 1, p. 16. 5 Monique Brunet-Weinmann, « Esthétique comparée et sémiologie : questions de méthodologie », Sémiotica, n°3-4, 1977, p. 620. 6 La Correspondance des arts. Eléments d’esthétique comparée. Paris, Flammarion, 1969. elles les œuvres, ainsi que les démarches des différents arts »7. Ambitionnant de révéler à la fois les affinités évidentes et les correspondances mystérieuses entre les objets qu’elle met en contact, cette confrontation est basée sur la comparaison des œuvres au niveau de ce que l’auteur appelle « les modes d’existence de l’œuvre d’art » : l’ « existence physique », l’ « existence chosale ou réïque », l’ « existence phénoménale » et, enfin, l’ « existence transcendante »8. L’auteur passe à la démonstration à travers l’exemple d’œuvres issues d’arts différents pour mettre en relief notamment certains rapports entre la musique et la littérature puis entre la musique et la peinture. ***************  Comme Baudelaire dans ses réflexions esthétiques et littéraires, Jacques Lemaire nous livre les souvenirs artistiques qui accompagnent sa lecture des Fleurs du mal.  Mais, opérant sur des supports différents, les deux démarches ne procèdent pas de la même mnémotechnie.  Chez Baudelaire, le rapprochement interartistique fait partie d’un vaste support qui est le texte critique. Point de départ ou aboutissement d’une réflexion sur un écrivain ou un artiste, la mise en contact d’un tableau et d’un texte reste subordonnée à l’idée majeure qui anime le commentaire. Elle n’est jamais le motif central de l’essai esthétique ou littéraire. Suggérée par le souvenir, 7 Op.cit, p. 26. 8 Ibid., pp. 69, 74, 82 et 91. elle est spontanément déroulée dans le mouvement de l’écriture critique.  Le support dont use le concepteur du site est la page web, espace qui permet une mise en relation réfléchie - donc moins spontanée - du poème et de l’image.  Emanant d’une mémoire artistique personnelle, les œuvres d’art proposées par Lemaire n’en demeurent pas moins soigneusement choisies. Elles proviennent d’une volonté appliquée à trouver pour les poèmes un double artistique.  Contrairement au poète critique dont le souvenir interdisciplinaire est involontaire, le web designer se livre consciemment à la mise en parallèle de deux objets, l’un scripturaire et l’autre pictural.  Le nombre et l’extrême diversité des images rappelées devant les textes témoignent d’une recherche patiemment élaborée, qui s’inquiète de restituer au poème son correspondant tantôt le plus ressemblant tantôt le plus inédit. - Couples poème-tableau façonnés en raison d’une correspondance objectale - Texte et image se partageant une même volonté de sens et se faisant écho au niveau de leur signification spirituelle - Analogies où la correspondance entre textes et peintures est à la fois chosale et transcendantale. -I- Rapprochements « chosaux » Dans les mises en parallèle établies par Lemaire, bon nombre de rapprochements mettent en face du poème une image qui en reproduit l’objet, le thème visuel. Le choix de l’illustration est soucieux de faire correspondre le monde cosmique de la représentation picturale au motif objectal qui sert de symbole ou de point de départ au poème. « Le flacon » - A la fenêtre, détail, Paul Gauguin En face du poème « Le flacon », le site reproduit un détail d’une nature morte de Gauguin, A la fenêtre, détail représentant un flacon. Le poème exalte le triomphe du souvenir sur l’inexorabilité du temps. Ce triomphe est symbolisé par « un vieux flacon qui se souvient » et dont le poids des années n’a pu étouffer le parfum. Impérissable, le parfum transcende le temps et jette un pont entre le présent et le passé lointain. Le choix de l’image accompagnatrice s’intéresse moins à la signification morale du poème qu’à l’objet qui en constitue le support symbolique : le flacon, qui donne son intitulé au poème. On connaît le pouvoir mnémonique du titre. Le rapprochement inter- artistique semble plus influencé par l’image visuelle que nomme le titre que par la réflexion morale quel suggère le poème. La mise en parallèle est donc purement illustrative. La nature morte de Gauguin représente plusieurs objets et fruits, le site découpe dans le tableau la partie qui donnerait à voir l’objet proposé par le texte. Comme c’est le cas dans plusieurs rapprochements, la technique du détail explique ce souci d’adéquation strictement chosale. Dans cette catégorie d’apparentements picto-poétiques, le voisinage entre le poème et l’image s’avère d’un intérêt platement illustratif, l’image proposée n’agissant pas sur le contenu ni la forme du poème. « Le balcon » - Intérieur à la porte ouverte, Xavier Mellery  Contrairement au flacon dans le poème éponyme, le balcon n’est pas le sujet du poème, il constitue une image parmi d’autres ; mais, c’est lui qui dicte le choix du document visuel correspondant, sans doute parce qu’il donne son titre au poème.  La proposition de Lemaire semble suggérée plus par le titre que par l’image que donne du balcon le septième alexandrin du poème : « Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses ».  Mais à y regarder de près, le choix – parmi tant d’autres peintures représentant un balcon- de l’Intérieur à la porte ouverte de Mellery s’avère particulièrement réfléchi. Le tableau montre un intérieur dont la perspective s’ouvre sur un balcon situé au fond. Le regard du spectateur traverse les deux pièces représentées au premier plan pour aboutir au balcon, point culminant de la perspective. Cette distance spatiale entre la surface et le fond de la toile est la transposition visuelle de la distance mentale qui, dans le poème, sépare le présent du balcon nostalgique.  Le balcon est peint au bout de la profondeur creusée dans le tableau comme il est au fond de la mémoire du poète.  Le site préfère donc une image où la représentation du balcon dit le mouvement implosif du souvenir. +++++++++++++++++++++ Fidèle aux suggestions du poème, le choix de l’illustration s’inquiète également de ce qui, dans le poème, n’est pas décrit mais appelé dans une métaphore. Le tableau proposé ne cherche pas à faire voir le sujet de l’évocation poétique, mais ce que ce dernier suggère dans l’imagination du poète. Le poème met en scène un thème et l’image qu’il fait naître métaphoriquement dans l’esprit, un comparé et un comparant. C’est de ce deuxième élément que s’empare l’image accompagnatrice. « Ciel brouillé » - Port en matinée, Barthold Jongkind  Le poème développe une correspondance entre le visage de la femme et le paysage. Le regard de la femme reflète « l’indolence et la pâleur du ciel ». Le troisième quatrain met en évidence l’analogie entre la beauté féminine et le spectacle qu’elle révèle dans l’esprit : « Tu ressembles parfois à uploads/Litterature/ rapprochement-peinture-litterature.pdf

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