doi: 10.2143/RTL.40.2.2036266 Revue théologique de Louvain, 40, 2009, 153-189.
doi: 10.2143/RTL.40.2.2036266 Revue théologique de Louvain, 40, 2009, 153-189. Didier LUCIANI «Aimer la Torah plus que Dieu» Au centre, Dieu ou la loi? Contribution à l’étude de la structure du Pentateuque Après des décennies de critique historique et d’études souvent assez atomisantes, l’intérêt récent de la recherche exégétique pour la forme finale du texte a eu entre autres effets celui de relancer la question de la structure du Pentateuque (ou éventuellement de l’Hexateuque) et celle, corrélative, de son thème ou de sa cohérence conceptuelle1. Plu- sieurs études ont été menées qui, ne partant pas toujours des mêmes présupposés, aboutissent parfois à des résultats diversifiés ou même à des solutions inconciliables2. Cet article n’a d’autre prétention que de recenser les propositions les plus significatives et d’essayer, sur base de considérations littéraires, de faire un tant soit peu avancer le débat. La première proposition soumise à examen a pour elle le mérite de la simplicité et la force de l’évidence narrative: le Pentateuque se pré- senterait comme une «biographie» de Moïse, de sa naissance à sa mort (Ex-Dt), précédée d’une introduction (Gn) dont la fonction serait de préparer l’entrée en scène de ce personnage principal3. Aussi pertinente 1 Voir des ouvrages aux titres aussi significatifs que The Theme of the Pentateuch (D.J.A. Clines, 1978), The Making of the Pentateuch (R.N. Whybray, 1987), The Book of the Torah: The Narrative Integrity of the Pentateuch (T.W. Mann, 1988), The Pentateuch as Narrative: A Biblical-Theological Commentary (J.H. Sailhamer, 1992), Reading Law: The Rhetorical Shaping of the Pentateuch (J.W. Watts, 1999), etc. 2 On se fera une bonne idée des différents modèles mis en œuvre pour traiter de cette question en se reportant à l’article de V.J. STEINER, «Literary Structure of the Pentateuch», dans D.W. BAKER et al. (éd.), Dictionary of the Old Testament – Pen- tateuch, Downers Grove, 2003, 544-566. 3 Voir, par exemple, R.P. KNIERIM, The Task of Old Testament Theology. Sub- stance, Method and Cases, Grand Rapids, 1995; G.W. COATS, Moses: Heroic Man, Man of God (JSOT.S, 57), Sheffield, 1988. Cette spécificité de la Genèse et cette fonction de prélude pour ce qui suit sont encore renforcées, notamment, par le fait que ce livre, contrairement aux autres, est structuré par les formules toledôt [voir R.B. ROBINSON, «The Literary Function of the Genealogies of Genesis», CBQ 48 (1986) 595-608] et qu’il se referme d’une manière unique alors que les conclusions de Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome présentent certains parallélismes [Ex 40,38 // Dt 34,12 et Lv 27,34 // Nb 36,13; voir E. BEN ZVI, «The Closing Words of the Penta- teuchal Books: A Clue for the Historical Status of the Book of Genesis within the Pentateuch», BiNo 62 (1992) 7-10]. soit-elle, cette position s’attire, en général, un triple reproche: ne pas suffisamment rendre compte de la spécificité de Gn 1-11 ni de celle du Deutéronome et ne pas parvenir à expliquer, de façon satisfaisante, la présence de collections de lois qui occupent pourtant une part impor- tante dans cette vita Mosis. Pour cette raison, Jean-Louis Ska, dans un article de 2001, a suggéré de prêter davantage attention à la première page de la Genèse, aux rapports – notés depuis longtemps – de celle- ci avec la fin de l’Exode et aux marques de division du Pentateuque en cinq livres. Selon ses propres mots4: «C’est l’idée de la souveraineté de YHWH sur l’univers et sur son peuple qui a fourni le critère majeur pour procéder à la division du Pentateuque en cinq livres. Le Dieu créateur doit en effet se construire un temple sur terre pour affirmer son pouvoir sur la création. C’est pourquoi le Dieu qui crée l’univers (Gn 1,1-2,3) se choisit un peuple (Gn), le libère et s’impose comme son seul souverain (Ex) avant de venir établir sa rési- dence au milieu du camp d’Israël (Ex 40,34s). Ensuite, il organise le camp d’Israël pour que le peuple d’Israël se comporte selon les règles imposées par la présence divine dans la tente (Lv). Puis la nuée qui a pris possession de la tente conduit Israël depuis le Sinaï jusqu’au bord du Jourdain (Nb). Suit la longue pause du Deutéronome qui laisse le temps à Moïse de commenter toute la Loi avant que Josué ne prenne la direction des opérations et ne fasse traverser le Jourdain (Dt 31,14s; Jos 1-4). Mais avec Josué commence déjà une autre histoire». Pour cet auteur, le principe d’organisation du Pentateuque est donc clair: comme dans la plupart des cosmogonies proches-orientales anciennes, le récit de la création et la maîtrise de Dieu sur l’univers qu’il signifie ne s’accomplissent réellement que dans le récit de la construction d’un sanctuaire. Mais dans la Bible, ce deuxième événe- ment, au lieu de suivre immédiatement le premier, n’est raconté qu’à la fin de l’Exode, après que YHWH se soit choisi un peuple. C’est ensuite de cette demeure terrestre que Dieu instruit (Lv) et guide (Nb) ce peuple. Si ces remarques honorent aussi bien la penta-partition de la Torah que sa configuration canonique et sa logique narrative, elle laisse néanmoins dans l’ombre toute une série de faits littéraires qui, sans contredire les propos de Ska, laissent malgré tout présager la possi- bilité d’une structuration plus savamment élaborée. Bien qu’il envi- sage l’Hexateuque, ou plus exactement encore Gn 12-Jos 24, Jacob 154 D. LUCIANI 4 J.-L. SKA, «La structure du Pentateuque dans sa forme canonique», ZAW 113 (2001) 331-352 (p. 352). Milgrom travaille dans cette direction5. Un bon schéma valant plus qu’un long discours, surtout quand il s’agit de structure, je présente en annexe (voir tableau 1, p. 181) sa proposition, traduite et adaptée6. Cette macro-structure en forme de chiasme régulier se base sur des indices repérés de longue date par de nombreux commentateurs, notamment sur un certain nombre de récits parallèles de transgression et de murmure en Ex et en Nb. Au centre, le Sinaï sert de ligne de par- tage des eaux et représente le climax d’un récit qui expose comment une bande d’esclaves se transforme en un peuple libre. Le passage par la sainte montagne justifie que les mêmes méfaits sont traités de manière différente quand ils sont commis avant (pas de châtiment) ou après (châtiment) le don de la loi et la ratification de l’alliance7. Mal- gré la pertinence de bien des observations, on perçoit immédiatement la principale faiblesse8 d’une telle proposition qui, certes au bénéfice d’un équilibre parfait, est tout de même obligée de laisser de côté le récit des origines (Gn 1-11) et le Deutéronome, l’un et l’autre étant considérés par Milgrom, comme des additions tardives. Tout en restant dans le cadre de l’Hexateuque, la structure de Edward G. Newing9 semble, au premier abord, remédier à ce défaut. Mais en fait, hormis quelques modifications mineures dans le découpage des sections, elle n’est finalement pas très différente de celle de Milgrom comme le tableau ci-dessous l’atteste (voir tableau 2, p. 182). De plus, comme il est aisé de le constater, même formellement inclus dans cette structure, Gn 1-11 (A sans correspondant A’) et le Deutéronome (X’ qui forme comme un second centre du chiasme) ne trouvent pas réellement leur place et rompent la symétrie. C’est pour- quoi, toujours à propos de l’Hexateuque, David A. Dorsey envisage AIMER LA TORAH PLUS QUE DIEU 155 5 J. MILGROM, Numbers – Ba-midbar: The Traditional Hebrew Text with the New JPS Translation (The JPS Torah commentary), Philadelphia, 1989, XVI-XVIII. 6 Les éléments de symétrie sont ici donnés de manière condensée. Il peut s’agir de mots, de thèmes ou de récits communs. Pour des indices supplémentaires, voir J. MILGROM, Numbers, XVI-XVII. 7 Voir Rm 5,13: «Le péché n’est pas imputé quand il n’y a pas de loi». 8 On pourrait aussi, parmi d’autres critiques, reprocher à cette structure l’inéga- lité de certaines masses textuelles mises en correspondance: voir, par exemple, D (3 chapitres) et D’ (26 chapitres); E (6 chapitres) et E’ (37 chapitres). 9 E.G. NEWING, «The Rhetorical and Theological Structure of the Hexateuch», South East Asia Journal of Theology 22 (1981) 1-15, structure reprise dans ID., «Up and Down–In and Out: Moses on Mount Sinai. The Literary Unity of Exodus 32–34», Australian Biblical Review 41 (1993) 18-34 (p. 27). un agencement qui soit à la fois mieux équilibré et plus intégrateur (voir tableau 3, p. 183-184)10. Quelle que soit sa valeur, cette structure de Dorsey n’encourt pas moins, elle aussi, quelques reproches: tout d’abord – comme les deux précédentes – elle privilégie l’Hexateuque qui, nonobstant de bons arguments en sa faveur, demeure somme toute une hypothèse de tra- vail dont la réalité «matérielle» reste à vérifier11; ensuite, de l’aveu même de l’auteur, certains appariements du chiasme sont forcés ou peu étayés12; enfin, la structuration de l’importante section centrale (X) laisse elle-même à désirer13. Faut-il dès lors renoncer à vouloir trouver un principe unifiant d’or- ganisation du Pentateuque14 ou doit-on se contenter de solutions esthé- tiquement et conceptuellement peu satisfaisantes, de structures par- tielles, bancales, ou concernant un corpus amputé? Ayant analysé les différentes manières d’approcher la question et après avoir recueilli les fruits des uploads/Litterature/ aimer-la-torah-plus-que-dieu-au-centre.pdf
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- Publié le Jan 01, 2023
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