Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques Données

Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques Données biographiques pour l'histoire du Shifā' d'Avicenne Simone Van Riet Citer ce document / Cite this document : Van Riet Simone. Données biographiques pour l'histoire du Shifā' d'Avicenne. In: Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques, tome 66, 1980. pp. 314-329; doi : https://doi.org/10.3406/barb.1980.55472 https://www.persee.fr/doc/barb_0001-4133_1980_num_66_1_55472 Fichier pdf généré le 03/06/2020 COMMUNICATION Données biographiques pour l'histoire du Shifä ' d'Avicenne par Simone VAN RIET Correspondant de la Classe Avicenne est né en 980. Plusieurs pays d'Europe et d'Orient célèbrent cette année, par des festivités diverses, le millénaire de sa naissance. J'ai cru, pour ma part, que ce millénaire nous invi¬ tait à une réflexion sur la vie de notre auteur et, plus particuliè¬ rement, sur les circonstances dans lesquelles fut élaborée son œuvre principale, le Shifä*. Shifä ' signifie « guérison ». Avicenne, médecin, est aussi philo¬ sophe. Il écrit, pour la guérison de l'âme, une encyclopédie phi¬ losophique, une somme de philosophie théorique. Il la rédige en arabe, peu après l'an mil. Il répartit la matière qu'il traite en quatre grands ensembles : la Logique, la Physique ou philosophie de la nature, les Mathématiques, la Métaphysique. Plusieurs manuscrits arabes contiennent, en guise d'introduc¬ tion au Shifä', le récit d'un fidèle disciple d'Avicenne, Abu cUbeid al-Juzjânï, disons en bref, le Disciple. Voici la narration du Disciple (1). Il a, dit-il, quitté son pays natal par amour des sciences phi¬ losophiques, pour rejoindre le Maître vénéré, Avicenne. Il s'est mis en route car le renom du Maître l' éblouit. Mais à l'admiration l1) Al-Shifa. La Logique. I. L'Isagoge (al-madkhal) . Préface de S.E. le Dr. Taha Hussein Pacha. Texte établi par le Dr Ibrahim Madkour, M. El-Khodeiri, G. Anawati, F. El-Ahwani. Publication du Ministère de l'Instruction Publique (Culture générale) à l'occasion du Millénaire d'Avicenne. Imprimerie Nationale, Le Caire 1952 pp 1-5 Données biographiques pour l'histoire du Shifâ' d'Avicenne se joint l'anxiété et le regret : le Maître a composé dans sa jeu¬ nesse des œuvres nombreuses ; or ses œuvres, il les laisse se dis¬ perser et se perdre comme du sable qui lui glisse entre les doigts. Le Disciple souhaite donc rencontrer le Maître, le suivre assi¬ dûment et se charger lui-même de fixer avec précision le texte des œuvres à venir. La rencontre a lieu. Avicenne a trente-deux ans. Il réside loin de sa patrie à Gurgân (x), à l'emplacement de l'antique Hyrcania. Avicenne se trouve là au service du prince et ce service l'absorbe entièrement. Le Disciple réussit à saisir quelques rares loisirs du Maître pour obtenir qu'il lui dicte « un peu » de la Logique et de la Physique. Un peu. Il faudrait beaucoup plus. Le Disciple rêve de vastes compositions, d'amples commentaires. Avicenne se récuse : « J'ai fait tout cela autrefois, dans ma patrie ; qu'on se réfère à mes œuvres anciennes ». « Mais, dit amèrement le Disci¬ ple, ces œuvres-là étaient disséminées et les quelques textes qui en subsistaient étaient jalousement gardés par leurs propriétai¬ res ». De plus, le Maître n'avait pas l'habitude de retranscrire l'original ou d'écrire plus qu'un brouillon. Lui demandait-on quelque opuscule? Il le dictait ou l'écrivait aussitôt, puis le donnait au quémandeur sans rien en conserver (2). Enfin, des calamités successives frappaient le Maître et atteignaient aussi ses livres. Il n'y avait donc plus guère d'espoir de recouvrer les œuvres perdues ; il fallait obtenir d'Avicenne qu'il les refasse. Le Disciple étend à la période qu'il a vécue avec Avicenne à Gurgân (soit environ de 1012 à 1014) ses tentatives en vue de retrouver les œuvres premières du Maître, le désespoir que ces tentatives, toujours vaines, engendrent en lui, et l'évidence qu'il fallait faire du neuf. Avicenne quitte Gurgân, séjourne à Rayy (l'ancienne Raga, dans la région de Téhéran), puis à Hamadan (l'ancienne Ecba- tane). À Hamadan, il devient ministre du prince Shams ad- Dawla, « ce qui, dit le Disciple, fut pour nous un malheur et une (x) R. Hartmann et J. A. Boyle, article Gurgân, dans Encyclopédie de l'Islam, Nouvelle édition, Tome II, 1965, p. 1168. (2) Le Disciple répète cette affirmation dans son Introduction à la partie mathématique d'une autre encyclopédie avicennienne, celle-ci étant écrite en per¬ san: voir Avicenne, Le Livre de science, traduction M. Achena et H. Massé, II, Paris, 1958, p. 91. — 315 — Simone Van Riet perte de temps ». Comment espérer encore obtenir d' Avicenne les vastes synthèses dont on rêve pour lui? Au disciple qui lui en exprime instamment le souhait, le Maître répond : « M'occuper de mots et les commenter, je n'en ai ni le temps ni l'envie ; mais, ce que je puis faire aisément, c'est une synthèse traitant les matiè¬ res successives selon l'ordre qui me convient ; si cela vous satis¬ fait, je le ferai ». « Nous, dit le Disciple, parlant au nom de ceux qui entouraient le Maître, lui exprimâmes notre vive gratitude, en espérant qu'il choisisse de commencer par la Physique. Et c'est par là qu'il commença. » Il écrivit environ vingt feuillets, puis il fut interrompu par les tracas de sa charge. Sur ces entrefaites, le prince Shams ad-Dawla, dont il est le ministre, meurt. Avicenne décide de quitter la région et, pour préparer son départ à l'abri des remous politiques, il se retire en un lieu qu'il croit sûr. Le Disciple saisit aussitôt sa chance : les loisirs forcés du Maître et la solitude de sa retraite vont enfin lui permettre d'achever le Shifä \ En effet, Avicenne se met au tra¬ vail et, en vingt jours de labeur assidu, sans le secours d'aucun livre (il n'en a pas), mais avec les seules ressources de sa culture et de sa réflexion, il continue la Physique (sauf deux sections) et rédige toute la Métaphysique ; les deux sections de la Physique non encore élaborées étant le traité des animaux et le traité des plantes. Il entreprend aussi la Logique, en écrit « la préface et ce qui s'y rattache », puis est de nouveau interrompu. Que se passe-t-il ? On a découvert sa retraite, on le soupçonne de tractations avec un prince étranger, on l'emprisonne dans la forteresse de Farda jan (dans la région d'Hamadan) ; il y reste pendant quatre mois ; puis on le libère, on s'excuse envers lui et même, on lui propose de reprendre sa charge de vizir, mais il la refuse. Qui est « on » ? Le récit du Disciple ne le dit pas, il est centré exclusivement sur la rédaction du Shifä ' et poursuit: « Alors le Maître entreprit la Logique. Or il avait des livres à sa disposition. Il les suivit et traita les matières selon l'ordre habi¬ tuel des logiciens ; il discuta les doctrines qu'il avait à réfuter et la Logique devint longue. Elle fut achevée à Ispahan. Quant aux mathématiques, il en avait fait antérieurement un abrégé et jugea bon de l'insérer dans le Shifä \ Il composa aussi les traités des animaux et des plantes (c'est-à-dire les deux dernières sec- — 316 — Données biographiques pour l'histoire du Shifâ' d' A vicenne tions de la Physique) et les termina; dans la plus grande partie de son traité des animaux, il suivit Aristote, lui fit de larges emprunts et enrichit ainsi son propre ouvrage. Il avait alors quarante ans ». L'histoire du Shifâ ' étant terminée, le Disciple conclut : « Mon but en relatant ces faits est d'expliquer pourquoi le Maître s'est détourné du commentaire littéral et pourquoi l'ordre des matiè¬ res qu'il suit en Logique répond à d'autres critères que l'ordre des matières qu'il suit en Physique et en Métaphysique. Mon but est aussi de susciter l'admiration (du lecteur) devant l'étonnante puissance de travail du Maître, qui composa en vingt jours la Physique et la Métaphysique et ce, sans livres, avec les seules ressources de ce qu'il portait en lui ». * * * Le récit du Disciple nous intéresse pour deux motifs princi¬ paux. Premier motif: ce récit a été traduit en latin au Moyen Âge. Il appartient donc, comme te], à la collection des textes que l'entreprise de 1 'Avicenna Latinus se propose d'éditer. On en con¬ naît deux manuscrits remontant à la seconde moitié du XIIIe siècle, l'un à Bruges (1), l'autre à Rome (2). Dans un article de 1934, Alexandre Birkenmajer a édité la traduction latine du récit d'après le manuscrit de Bruges (3). La traduction latine porte le nom d'Avendauth (Ibn Dâ'ûd), le célèbre traducteur mentionné dans la lettre de dédicace du De Anima d'Avicenne à l'Archevêque de Tolède, Jean (4) ; le texte latin du récit appar¬ tient dès lors à la collection des premiers textes avicenniens tra¬ duits, c'est-à-dire, aux traductions exécutées à Tolède vers 1160. Que contient cette collection? Elle contient le prologue du Shifâ ' (où se situe le récit du Disciple), une partie importante de (x) Manuscrit 510 de la Bibliothèque de la Ville, folios 37 v-38 r. uploads/Litterature/ al-shifa.pdf

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