Alain Badiou Saint Paul. La fondation de l'universalisme QUADRIGE PUF ISBN 978-

Alain Badiou Saint Paul. La fondation de l'universalisme QUADRIGE PUF ISBN 978-2-13-063247-4 ISSN 0291-0483 Dépôt légal - 1'" édition : 1997, octobre 4• édition <<Les Essais du Collège international de philosophie>> : 2002, mars 1'" édition <<Quadrige>> : 2015, janvier © Presses Universitaires de France, 1997 6, avenue Reille, 75014 Paris SoMMAIRE Prologue ............................... . 1. Contemporanéité de Paul . . . . . . . . . . . . . . . 5 II. Qui est Paul ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 III. Textes et contextes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 7 IV. Théorie des discours . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 V. La division du Sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 VI. L'antidialectique de la mort et de la résur,. rection................................. 79 VII. Paul contre la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 VIII. L'amour comme puissance universelle. . . . . 105 IX. L'espérance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 13 X. Universalité et traversée des diff érences . . . . 1 19 XI. Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 3 1 PROLOGUE Étrange entreprise. Depuis bien longtemps, ce person­ nage m'accompagne, avec d'autres, Mallarmé, Cantor, Archimède, Platon, Robespierre, Conrad . . . (pour ne pas entrer dans notre siècle). Il y a quinze ans, j 'ai écrit une pièce, L 'Incident d 'Antioche, dont l'héroïne s'appelait Paule. Le changement de sexe, sans doute, faisait barr age à quelque identification trop claire. Paul n'est en effet pas pour moi un apôtre ou un saint. Je n'ai que faire de la Nouvelle qu'il déclare, ou du culte qui lui fut voué. Mais il est une figure subjective de première importance. J'ai tou jours lu les épîtres comme on revient aux textes clas­ siques qui nous sont particulièrement familiers, chemins frayés, détails abolis, puissance intacte. Aucune transcen­ dance, pour moi, rien de sacré, parfaite égalité de cette œuvre avec toute autre, dès lors qu'elle me touche person­ nellement. Un homme a durement inscrit ces phrases, ces adresses véhémentes et tendres, et nous pouvons y puiser librement, sans dévotion ni répulsion. Et d'autant plus, en ce qui me concerne, qu'héréditairement irreligieux, voire, par mes quatre grands-parents instituteurs, dressé plutôt dans le désir d'écraser l'infamie cléricale, j ' avais ren­ contré tard les épîtres, comme on f ait de textes curieux, dont la poétique étonne. 2 Saint Paul. La f ondation de l 'universalisme Je n'ai au fond jamais vraiment raccordé Paul à la religion. Ce n'est pas selon ce registre, ou pour témoigner d'une foi quelconque, ni même d'une antifoi, que je m'y suis, de longue date, intéressé. Pas plus à vrai dire - mais le saisissement fut moindre - que je ne me suis emparé de Pascal, de Kierkegaard, ou de Claudel, à partir de ce qu'il y avait d'explicite dans leur prédication chrétienne. De toute façon, le chaudron où cuit ce qui sera une œuvre d'art et de pensée est rempli jusqu'à la gueule d'impuretés innommables, il y rentre des obsessions, des croyances, des labyrinthes enfantins, des perversions diverses, des souvenirs impartageables, des lectures de bric et de broc, pas mal d'âneries et de chimères. Entrer dans cette chimie ne sert pas à grand-chose. Pour moi, Paul est un penseur-poète de l'événement, en même temps que celui qui pratique et énonce des traits invariants de ce qu'on peut appeler la figure militante. Il fait surgir la connexion, intégralement humaine, et dont le destin me fascine, entre l'idée générale d'une rupture, d'un basculement, et celle d'une pensée-pratique, qui est la matérialité subjective de cette rupture. Si, aujourd'hui, je veux retracer en quelques pages la singularité de cette connexion chez Paul, c'est sans doute parce que travaille de toutes parts, jusque dans le déni de sa possibilité, la recherche d'une nouvelle figure mili­ tante, appelée à succéder à celle que mirent en place, au début du siècle, Lénine et les bolchevicks, et qu'on peut dire avoir été celle du militant de parti. Quand est à l'ordre du jour un pas en avant, on peut, entre autres choses, s'aider du plus grand pas en arrière. De là cette réactivation de Paul. Je ne suis pas le pre­ mier à risquer la comparaison qui en fait un Lénine dont le Christ aurait été le Marx équivoque. Mon intention, on le voit, n'est ni historienne, ni exé­ gétique. Elle est subjective, de bout en bout. Je m'en suis Prologue 3 tenu strictement aux textes de Paul authentifiés par la cri­ tique moderne, et à mon rapport de pensée à ces textes. Pour 1 'original grec, je me suis servi de Novum Testa­ mentum Graece, édition critique de Nestlé-Aland, chez Deutsche Bibelgesellschaft, 1 993. Le texte français de base, dont j 'ai quelquefois revu les tournures, est celui de Louis Segond, Le Nouveau Testa­ ment, chez Trinitarian Bible Society, édition de 1993. Les références aux épîtres suivent la disposition tradi­ tionnelle en chapitres et versets. Ainsi Rom. 1 .25 veut dire : épître aux Romains, chapitre 1, verset 25. On aura de même Gal. pour 1' épître aux Galates, Cor. 1 et Cor. II pour les deux épîtres aux Corinthiens, Philipp. pour celle aux Philippiens, Thess. 1 pour la première épître aux Thessaloniciens. . Pour qui souhaite poursuivre pour son propre compte, Je veux tout de même, dans la colossale bibliographie concernant Paul, signaler : - Le robuste petit livre de Stanislas Breton Saint Paul ' ' Puf, 1 988. - Le Paul, apôtre de Jésus-Christ de Günther Bornkamm ' traduction de Lore Jeanneret, chez Labor & Fides ' ' Geneve, 1 97 1 . Un catholique, un protestant. Qu'ils fassent triangle avec l'athée. CHAPITRE 1 Contemporanéité de Paul Pourquoi saint Paul ? Pourquoi requérir cet « apôtre )) d'autant plus suspect qu'il s'est, de toute évidence, auto­ proclamé tel, et que son nom est couramment associé aux dimensions les plus institutionnelles, et les moins ouvertes du christianisme : 1 'Église, la discipline morale, le conser­ vatisme social, la suspicion contre les Juifs ? Comment inscrire ce nom dans le devenir de notre tentative : re­ fonder une théorie du Sujet qui en subordonne 1' existence à la dimension aléatoire de 1 'événement comme à la contingence pure de 1 'être-multiple, sans sacrifier le motif de la vérité ? On demandera aussi bien : Quel usage prétendons­ nous faire du dispositif de la foi chrétienne, dont il semble proprement impossible de dissocier la figure et les textes de Paul ? Pourquoi invoquer et analyser cette fable ? Que la chose soit en effet bien claire : il s'agit pour nous, très exactement, d'une fable. Et singulièrement dans le cas de Paul, dont nous verrons que, pour des raisons cruciales, il réduit le christianisme à un seul énoncé : Jésus est ressus­ cité. Or c'est bien le point fabuleux, puisque tout le reste, naissance, prédication, mort, peut après tout se soutenir. Est « fable )) ce qui d'un récit ne touche pour nous aucun réel, sinon selon ce résidu invisible, et d'accès indirect, qui colle à tout imaginaire patent. À cet égard, c'est à son 6 Saint Paul. La f ondation de 1 'universalisme seul point de fable que Paul ramène le récit chrétien, avec la force de qui sait qu'à tenir ce point pour réel, on est dispensé de tout l'imaginaire qui le borde. S'il nous est possible de parler aussitôt de croyance (mais la croyance, ou la foi, ou ce qui se suppose sous le mot nlcrnç est tout le problème de Paul), disons qu'il est pour nous rigoureu­ sement impossible de croire en la résurrection du crucifié. Paul est une figure lointaine, en un triple sens : le site historique, le rôle de fondateur d'Église, la centration pro­ vocante de la pensée sur son élément fabuleux. Nous sommes tenus d'expliquer pourquoi nous fai­ sons porter à ce lointain la charge d'une proximité philo­ sophique, pourquoi le forçage fabuleux du réel nous sert de médiation quand il s'agit, ici et maintenant, de resti­ tuer l'universel à sa pure laïcité. Nous y aide sans doute que - par exemple - Hegel, Auguste Comte, Nietzsche, Freud, Heidegger, et encore de nos jours Jean-François Lyotard, aient cru eux aussi nécessaire d'examiner la figure de Paul, toujours du reste selon des dispositions extrêmes (fondatrices ou régres­ sives, destinales ou oublieuses, exemplaires ou catastro­ phiques), uploads/Litterature/ alain-badiou-saint-paul-la-fondation-de-l-universalisme.pdf

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