Le préambule : Ecrire est toujours un miracle et la profession de l’homme de le
Le préambule : Ecrire est toujours un miracle et la profession de l’homme de lettres est un luxe. 9 Tout livre paraît un combat. 9 Il n’est donc pas si mal aux écrivains de chercher une discipline et de s’y conformer. 9 Le paradoxe est que la volonté ne suffit pas. 9 Nous sommes convenus d’appeler Grâce ce que les modestes taxeront, eux, de génie, nous admettons que c’est la faveur la plus scandaleuse que l’on imagine, mais toute faveur se payant, les écrivains les mieux doués ont souvent les faiblesses de l’état d’enfance, ils sont en devenir perpétuel et ce n’est qu’à ce prix qu’on force l’admiration. L’art et la vie s’opposent, mais l’art est la plus belle des raisons de vivre. 10 Imposer à nos écrivains le lot du nombre ne manquerait de ruiner les lettres, tout leur est bon pour avancer leur œuvre, les vertus à l’égal des vices élus par destination, quand ils sont admirables, ils seront infailliblement absous et la moral n’a d’empire où l’art commande, leur seul péché n’est que de devenir stériles. 10 Je leur rappelle que leur place est aux côtés des puissants de la terre et que l’unique rôle à leur mesure est de prêter des armes à la force, car ils sont à la fois ses prêtres et ses bateleurs. 10 Son devoir est en la perfection plus qu’en l’originalité, jamais il ne s’ira mettre en avant, qu’il ne se soit rendu premièrement incomparable. 10 Nous sommes donc inexcusables et si la classe dirigeante n’impose les plus excellentes façons de parler, elle perd l’une de ses raisons d’être. Le premier devoir sera d’enseigner la langue en s’appuyant des grands modèles, tout comme de la rhétorique et du latin, le second de la maintenir en veillant à la réformer, de peur que les indignes ne s’en chargent. 11 La bonne volonté ne suffit pas, il faut un ordre et sans les préjugés, un ordre n’est pas concevable : les préjugés ôtés, le monde serait à la barbarie et les Classiques dans les oubliettes. 11 La crise de l’autorité nous précipitera les uns contre les autres et c’est le malheur de ces temps, où tout ce qui n’est pas fourbe, ira se réclamer la démence. 11 À force de tout ménager, l’on ne conserve que les apparences et l’on dominera sur le fantôme des valeurs que l’on professe. 12 Recevons tout, mais donnons-lui la forme, la forme nous rédimera toujours. 12 Ces gens, qui ne juraient que par les auteurs du Grand Siècle, les comprenaient fort mal et ne les aimaient pas, ils s’en armaient comme ils se fussent armés ou de titres ou de parchemins, c’étaient des pièces leur donnant un droit sur quelques privilèges attachés à leur symbole. 13 Il aurait fallu censurer du coup la masse des auteurs modernes, tous parasites de la décadence, et les envelopper dans une réprobation commune, dont seul un petit nombre se fût relevé. Physique de l’auteur : Souvent n’est pas toujours et toujours, mon ami, cela n’existe pas. 18 Les lettres et les arts prospèrent dans les mains des hommes qui se meuvent et qui jamais ne se roidissent, de ces natures qu’on juge incertaines, qui mettent une vie à cesser d’être enfants et pour aller plus loin que ceux qui sortent de l’enfance à l’aube et ne verront jamais le soir. 19 Car un enfant heureusement doué paraît la plénitude en devenir et c’est aussi le carrefour de ses possibles, il ferait sourdre – ou peu s’en faut – le miel des roches et le vin du sol, il est le familier des profondeurs et le mignon de l’altitude, sa faiblesse infinie épuisant toute force. 19 Que sont les adultes ? L’ombre chacun de son enfance et pris en masse, le chaos d’Empédocle, empli de membres orphelins errant à l’aventure. 19 Le talent veut, mais le génie éprouve en quelque sorte ce qu’il doit vouloir, le génie est esclave et de sa précellence même, le talent peut choisir et l’on présume que toujours il se conseille avec sa volonté, mais le génie est poussé dans la voie qu’il n’est pas maître de laisser, il fait pour ainsi dire un avec elle. 20 Agir est donc l’affaire du talent, le propre du génie est de subir et si l’on hasardait le paradoxe, d’être avant tout dessein un automate de la Grâce, lequel agit en déférant à ce qui le possède et touche au comble en se laissant aller, d’autant plus libre qu’il se rendra plu soumis. 20 Ainsi, de l’un à l’autre, on change de climat et presque d’univers, un homme de talent ne rompt pas d’avec le commun, ceux qui le jugent sont à l’aise et goûtent ce qu’il leur départ, ses qualités les flattent, ils semblent en pays de connaissance, mais le génie les dépayse, le génie les confond, le génie les écrase et l’homme violé par son génie, viole ses témoins à leur communiquer ce qu’il éprouve, il les ramène à leur néant en les fonçant à mesurer la différence, il les oblige à l’admirer pour admirer à travers lui la source de ses dons incomparables, son impudeur marque le privilège à quoi les hommes rêvent d’aspirer et qu’ils n’embrassent même pas en espérance. 20 Que peut ici l’homme charnel, robuste et jouissant de l’équilibre le plus stable, l’homme enfin que les dieux n’habiteront jamais ? 21 Les prudents valent peu, quand ils se mêlent d’avancer l’Esprit, l’Esprit se raille de leurs stratagèmes, il vole sur les pas des inspirés, les joignant à la course, il bâtit sur leur tremblement et leurs alarmes font le plus clair de sa gloire, il vient dans le sillage de l’horreur et les ténèbres l’enveloppent, il donne vie et nous la recevons au travers de ces plaies que nos épreuves nous infligent. 21 L’ordre chez nous domine à la surface, les profondeurs, elles, fermentent et leurs convulsions nous enrichissent. 21 La rage continue embellira les règles et les humeurs, qui nous agitent, ne manqueront de fournir, elles, à la solidité, puisqu’elles nous exercent et ne nous laissent que le choix de la victoire ou de l’abîme qu’elles ouvrent. 21 Toujours nos incommodités nous servent et pour les surmonter nous déployons une vigueur que la vigueur habituelle ne balance. 21 Il n’est de plus infatigable qu’un homme languissant, mais devenu le maître de sa morbidesse et la violentant à longueur de journée pour la ployer à la fureur dont il l’accable. Le mal est encore assez bon, s’il nous oblige à tirer du néant une apparence de remède à sa mesure et qui – le mal ôté – devient une arme. 22 Un monde peuplé d’hommes nés robustes et jamais malades, quand il vaudrait mieux que le nôtre, aurait moins de ressources, les lettres et les arts y manqueraient de flamme, les paradoxes s’entendraient d’eux-mêmes et l’équilibre devenu fatal y tendrait à la mort par d’infaillibles conséquences. 22 L’on goûte sa jeunesse comme une fleur et ce n’est qu’à raison du fruit que l’on savoure. 23 Paul : — Le privilège de l’humain ne fut, en résumé, que de perpétuer l’enfance ou mieux, ce qui prélude à l’âge le plus tendre. 23 Pierre : — […] et quand le sexe parle. Paul — : L’entendement fera silence. 24 Paul : — La plupart meurent fort élégamment au sort de l’enfance et je les en approuve…Le génie est l’enfant dans l’homme et le prodige n’est qu’un homme anticipant sur l’âge […] L’ajournement — et même de nos facultés — nous vaut l’assiette la mieux soutenue, l’œuvre à ce coup ne nous épuisera jamais, nous nous affermirons par elle, forts de sa force et vivant de sa vie. 24 L’humanité de l’homme est une marche continue, l’esclavage est celui s’arrête et l’on peut dire que le genre humain paraît l’enfant, le « puer aeternus » au beau milieu de ces adultes qui semblent les familles animales. L’homme a choisi d’être imparfait et s’il avait pris forme, il se fût engagé dans une impasse. 24 Les lettres n’ont jamais besoin de tous ceux qui se passent d’elles, il faut périr ou composer. 25 Il s’agit d’être auteur et bon auteur, le reste courant les chemins. 25 Le précis de ma thèse est que — dix fois sur douze — celui qui n’écrit pas, ne devait pas écrire et je proteste que l’on m’eût traversé d’une manière ou d’autre, je me serais détruit. 25 La démesure est la racine de la Grâce et sous l’embasement du temple de lumière, reposent les victimes égorgées. 25 Les élus n’ont pas choisi d’être élus, le monde est le néant et qui ne sort de là, que va-t-il espérer ? La mort ou la démence ont plus de charme que la vie du nombre. 25 Nous requérons la servitude qui nous lie à notre liberté. 26 Nous devons à la fois solliciter l’ivresse et subir le dommage, nous payerons toujours ce que la flamme nous octroie, fous, sages, éperdus, sereins, démesurés et donnant uploads/Litterature/ albert-caraco-l-x27-homme-de-lettres.pdf
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- Publié le Dec 14, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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