1 L'alphabet grec Christian TOURATIER Université de Provence christian.touratie

1 L'alphabet grec Christian TOURATIER Université de Provence christian.touratier@wanadoo.fr 1. L'ECRITURE DU GREC AVANT L'ECRITURE GRECQUE Le grec ne s'est pas toujours écrit à l'aide de l'alphabet grec. On sait en effet qu'en 1953 "l'architecte anglais Michael Ventris, qui avait été officier du chiffre pendant la guerre, a montré, avec l'assistance de l'helléniste John Chadwick, que les signes qualifiés de linéaire B avaient servi à transcrire des textes grecs" (Irigoin, 1982 : 31-32). Depuis, les hellénistes appellent mycénien la langue grecque ainsi notée en linéaire B. 1.1. Le linéaire B Les archéologues ont découvert en Crète trois écritures différentes, l'une est hiéroglyphique, on l'appelle l'écriture hiéroglyphique crétoise, et les deux autres sont linéaires, on les appelle linéaire A et linéaire B. Contrairement à ce que croyait Evans, "le Père de l'archéologie crétoise", l'écriture hiéroglyphique n'est pas la plus ancienne écriture de la Crète. Ainsi que le dit Louis Godart, "sur la base des témoignages archéologiques qui nous sont parvenus, nous pouvons affirmer que des documents comptables en linéaire A ont coexisté avec des documents comptables en hiéroglyphique à l'époque protopalatiale" (Godart, 1990 : 174), c'est-à-dire à l'époque dite "Minoen Moyen II B". Par contre le linéaire B, dont les caractères dérivent manifestement du linéaire A, puisque "plus de quarante" signes (Irigoin, 1982 : 32) sur un total de "quatre- vingt-neuf" (Irigoin, 1982 :32) sont communs au linéaire B et au linéaire A, 2 est postérieur. Il aurait fait "son apparition entre la fin du XVIIème et le début du XVIème siècle avant notre ère" (Godart, 1990 : 101). Comme le dit Jean Irigoin, "le linéaire B n'est pas une création des Grecs du IIe millénaire. Ceux- ci, arrivant en Crète, se sont contentés d'emprunter, en l'adaptant à leur langue, un ensemble de signes dénommé linéaire A, <qui> serv<ait> à transcrire dans l'île <...> des textes qui ne sont pas encore déchiffrés" (Irigoin, 1982 : 32). Le linéaire B, avec ses 89 caractères, ne peut être qu'une écriture syllabique. Comme le précise Jean Irigoin, "chaque signe transcrit une syllabe formée soit par une voyelle, soit par une consonne suivie d'une voyelle; diverses conventions permettent une transcription plus ou moins approximative des syllabes plus complexes" (Irigoin, 1982 : 32). Il "n'a pas laissé de traces postérieures aux environs de l'an 1150, c'est-à-dire peu de temps après la date traditionnelle de la guerre de Troie" (Irigoin, 1982 : 33). Louis Godart dit à peu près la même chose. Pour lui, "l'écriture linéaire B fut utilisée dans l'Ouest de la Crète jusqu'aux alentours de 1200. A ce moment-là elle disparut tant de La Canée que des résidences princières continentales" (Godart, 1990 : 119). 1.2. L'arcado-cypriote Il a existé une autre notation syllabique du grec dans l'île de Chypre. Le problème des écritures dans cette île est à la fois complexe et peu clair. On y trouve une écriture que Evans a appelée l'écriture chypro-minoënne, et qui aurait "été employée entre -1500 et -1050" (Février, 1984 :386). Elle "rappelle le linéaire B, sans cependant se confondre avec lui" (Février, 1984 : 144), d'autant qu'il est "douteux que cette écriture ait servi, comme le linéaire B, à noter la langue grecque" (Février, 1984 : 144). On trouve une seconde écriture proprement chypriote qui, elle, est attestée "vers le -VIIIe ou le -VIIe" siècle (Février, 1984 :165), et est appelée l'écriture syllabique chypriote. Cette écriture note deux langues que l'on appelle l'étéo- chypriote et l'arcado-chypriote. La première langue "reste pour nous mystérieuse et <...> était probablement celle des habitants de l'île de Chypre avant l'arrivée des Grecs" (Février, 1984 : 165). Quant à la seconde, qui est du reste la plus représentée, il s'agit d'"un dialecte grec, qualifié d'arcado- chypriote, parce qu'il a persisté à la fois dans les montagnes de l'Arcadie et à Chypre. C'était le parler des Achéens, qui formaient la première vague de l'invasion grecque et furent à leur tour refoulés et dépossédés par les Doriens" (Février, 1984 : 165). Mais rien ne permet de dire que cette écriture syllabique 3 était utilisée avant l'apparition de l'alphabet grec. Il s'agit en tout cas d'une seconde tentative de noter la langue grecque à l'aide d'un syllabaire? 2. ORIGINE PHENICIENNE L'alphabet grec fut, comme le linéaire B, le "fruit d'un emprunt, fait cette fois aux Phéniciens comme les Grecs le reconnaissaient eux-mêmes (foin…keia gr£mmata)" (Irigoin, 1990 :299). 2.1. Les témoignages des Grecs Même s'il y a plusieurs traditions différentes, dans l'Antiquité, sur l'origine de l'alphabet grec, les Grecs savaient que leur alphabet était redevable aux Phéniciens. Hérodote, au 5ème siècle av. J.-C., dit expressément que les Grecs d'Ionie ont emprunté les lettres aux Phéniciens, qui les leur avaient enseignées (paralabÒntej didacÍ par¦ tîn Foin…kwn t¦ gr£mmata): "Ces Phéniciens venus avec Cadmus <...> introduisirent chez les Grecs, en s'établissant dans ce pays, beaucoup de connaissances; entre autres celle des lettres, que les Grecs, autant qu'il me semble, ne possédaient pas auparavant ; ce furent d'abord les lettres dont tous les Phéniciens aussi font usage; puis à mesure que le temps passait, en même temps qu'ils changeaient de langue, les Cadméens changèrent aussi la forme des caractères. La plupart des régions d'alentour étaient habitées à cette époque par des Grecs de race ionienne ; ils empruntèrent les lettres aux Phéniciens qui les leur avaient enseignées, et les employèrent légèrement modifiées; et, en les employant, ils les firent connaître, comme c'était justice, — puisque c'étaient les Phéniciens qui les avaient introduites en Grèce, — sous le nom de phoinikeia." (Hér., V, 58, trad. de Ph.-E. Legrand, Budé 1946). Diodore de Sicile, au 1er siècle av. J.-C., reconnaît aussi que les Phéniciens ont joué un rôle dans l'origine de l'alphabet grec, mais rapporte deux traditions différentes en ce qui concerne leur rôle dans la création de l'écriture elle- même: "Quant à ceux qui soutiennent que les Syriens sont les inventeurs des lettres qu'ils ont transmises des Phéniciens aux Grecs, par l'intermédiaire de Cadmus qui arriva en Europe, et que c'est pourquoi les Grecs nomment Phéniciens les caractères de l'écriture: on leur répond que les Phéniciens n'ont point primitivement inventé les lettres, et que la dénomination que les Grecs leur ont donnée vient de ce que les Phéniciens ont seulement changé le type de ces caractères dont la plupart des hommes se sont servis." (Diod. V,74, trad. de Ferd. Hoefer). 4 De toute façon, les Grecs reconnaissent donc leur dette envers les Phéniciens. 2.2. Date de cette invention Les premiers documents en alphabet grec, à savoir "les fragments de Pithékoussa (cf. Heubeck 1979 : 123, 6a), le skyphos de Nestor (même site), l'oenochoé du Dipylon (Athènes) ou la kylix de Korakos (Rhodes)" (Brixhe, 1986 : 102) ou encore les inscriptions rupestres de Théra, apparaissent, pense-t-on aujourd'hui, vers 750 av. J.-C., et deviennent de plus en plus nombreux au milieu du VIIe siècle (cf. Brixhe, 1991 : 313). Les hellénistes admettent donc généralement que l'écriture grecque apparut au VIIIème siècle (Carpenter, 1933, 8-29), ou mieux, au IXème siècle av. J.-C. (Irigoin, 1982 : 33; 1990 : 299). Mais les sémitisants, à cause de différentes découvertes dans leur domaine, ont proposé de faire remonter plus haut dans le temps l'invention de l'alphabet grec. C'est ainsi que Joseph Naveh, trouvant que les lettres grecques avaient subi l'influence de la forme que les lettres cananéennes présentaient avant le 10ème siècle, datait l'alphabet grec "de la fin du XIIe ou du début du XIe siècle av. J.-C." (d'après Naveh, 1973 : 2-8). On pourrait admettre la position concordiste d‟Alan Millard, selon laquelle "aucune date plus précise ne peut être donnée pour l'adoption de l'alphabet par les Grecs que les trois siècles et demi qui vont de 1100 à 750 av. J.-C." (d'après Millard, 1976 :142). Mais il nous semble préférable de suivre le point de vue de Gelb, qui avant la théorie de Joseph Naveh, avait opté pour le IXe siècle, avec les arguments suivants, lesquels emportent l'adhésion: "La forme du grec kappa, avec sa «queue», est différente de ce que présentent les inscriptions phéniciennes jusqu'aux temps de Šapaţba„al, mais identique à ce qui apparaît à partir de 850 av. J.-C. De même mu semble beaucoup plus proche des formes correspondantes des inscriptions sémitiques de 850 ou d'après que de celles des inscriptions plus anciennes. D'autre part, l'apparition du daleth sémitique «avec queue» aux alentours de 800 nous contraint d'admettre que le delta grec «sans queue», dérive d'une écriture antérieure à cette date. Les conclusions qu'on peut tirer de ces comparaisons parlent donc en faveur du IXe siècle comme du moment le plus probable de l'emprunt de l'écriture sémitique par les Grecs. Cette date est tout à fait en accord avec la datation des plus anciennes inscriptions grecques connues, qui indique le commencement du VIIIe siècle av. J.-C." (Gelb, 1973: 201). 5 2.3. Lieu de cette invention Il est difficile de savoir où précisément les Grecs ont procédé à cet emprunt de l'alphabet phénicien. Suivant les époques ou les préférences personnelles, on a situé cet emprunt soit en Grèce, grâce à des Phéniciens immigrés, soit en uploads/Litterature/ alphabet-grec-et-premiers-documents-grecs-christian-touratier.pdf

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