Université de Neuchâtel Rue des Charmettes 38 Faculté des Lettres et Sciences H

Université de Neuchâtel Rue des Charmettes 38 Faculté des Lettres et Sciences Humaines 2000 Neuchâtel Institut de littérature française florian.biedermann@unine.ch Août 2012 3e Bachelor Amour courtois ou ironie ? L’exploitation de la fin’amor dans « Le Chevalier de la Charrette » Travail de littérature française présenté pour le Prix d’Excellence 2012 de l’Université de Neuchâtel Florian Biedermann 2 Remerciements Ce travail est le résultat d’une version revue et augmentée d’une présentation dans le cadre d’un séminaire de littérature médiévale donné par le prof. Luca Barbieri. Je le remercie pour ses remarques qui ont aiguillé cette révision. Je tiens également à témoigner ma profonde reconnaissance au prof. Daniel Sangsue pour sa lecture très attentive et ses conseils d’écriture qui ont contribué à ce succès. Je remercie finalement le comité de la Société des Alumni de l’Université de Neuchâtel ainsi que le jury du Prix d’Excellence pour avoir jugé que ce travail méritait une telle récompense. 3 Table des matières Introduction .............................................................................................................................. 4 1. Le contexte de l’amour courtois ...................................................................................... 6 - La courtoisie ................................................................................................................................ 6 - La fin’amor .................................................................................................................................. 8 2. Caractéristiques de la courtoisie dans Le Chevalier de la Charrette ........................... 13 - Un amour adultère et secret ....................................................................................................... 14 - Le fin’amant Lancelot ............................................................................................................... 15 - La dame de cœur ....................................................................................................................... 15 - Les assays .................................................................................................................................. 16 - La dévotion de Lancelot à Guenièvre ........................................................................................ 17 - Echange des cœurs et mysticisme courtois ............................................................................... 18 - Une écriture cohérente ............................................................................................................... 19 3. Une œuvre réellement courtoise ? ................................................................................. 21 - Exagérations de Guenièvre ........................................................................................................ 21 - Déconfiture de Lancelot ............................................................................................................ 24 - Structure bipartite du roman et quêtes annexes ......................................................................... 27 Conclusion ............................................................................................................................... 31 Bibliographie ........................................................................................................................... 33 4 Introduction Dans aucun ouvrage français, autant qu’il me semble, cet amour courtois n’apparait avant le Chevalier de la Charrette. […] C’est dans ce dernier ouvrage qu’il se présente pour la première fois dans le monde poétique, qu’il devait pendant longtemps éblouir et dominer.1 Ainsi paraît en 1883 l’expression originelle d’« amour courtois » sous la plume de Gaston Paris. Il souligne d’ailleurs l’importance de l’ouvrage étudié ici en instituant Le Chevalier de la Charrette comme l’archétype d’une telle conception courtoise de l’amour. Il s’agit par conséquent d’une dénomination qui appartient à la critique moderne et qui est à présent largement admise, bien que possédant des acceptions variables et discutées. En effet, les commentateurs2 estiment que ces termes ne rendent pas assez compte de la diversification des formes que prend cet amour ; chacune des apparitions littéraires d’une histoire d’amour courtois mériterait d’être traitée de façon indépendante au vu de ses singularités propres à chaque auteur médiéval. Les troubadours de la seconde moitié du Moyen Age qui ont développé les caractéristiques et la conception de ce nouvel art d’aimer ne connaissaient pas réellement cette dénomination. Tout au plus a-t-on recensé une occurrence de cortez’amors3. Ils employaient des termes différents : verai’amors, bon’amors, et particulièrement celui de fin’amors4. Si ce terme n’apparait pas directement dans Le Chevalier de la Charrette (la seule apparition s’en rapprochant est la qualification de fin amant, v. 39705), on peut observer que Chrétien de Troyes y a intégré les principaux critères qui définissent la fin’amor des troubadours. Bien plus, il a même conçu dans « son livre » (v. 25) la relation adultère entre Guenièvre et Lancelot6, une innovation qui sera réemployée et utilisée comme modèle dans l’histoire de la littérature, à commencer par le Lancelot en prose. 1 Gaston PARIS, « Études sur les romans de la Table Ronde, Lancelot du Lac, II. Le conte de la Charrette », Romania, 12, p. 519. 2 Ainsi en est-il de Jean FRAPPIER, « Sur un procès fait à l’amour courtois », Romania, 93, p. 169 sqq et d’Anita GUERREAU-JALABERT, « Traitement narratif et signification sociale de l’amour courtois dans le Lancelot de Chrétien de Troyes », in Amour et chevalerie dans les romans de Chrétien de Troyes, Paris : Les Belles Lettres, 1995, p. 248. 3 Jean FRAPPIER, dans son ouvrage Amour courtois et table ronde, Genève : Droz, 1973, p. 4, présente cette appellation chez Peire d’Alvernhe dont l’activité littéraire s’étend de 1138 à 1180. 4 Ibid. 5 La numérotation des vers pour l’entier de ce travail correspond à l’édition bilingue de Catherine CROIZY- NAQUET, Chrétien de Troyes. Le Chevalier de la Charrette, Paris : Honoré Champion, 2006. 6 Gaston PARIS, op. cit., p. 516. 5 Il s’agira donc de définir ce qu’est la fin’amor et d’établir les fondements de cette poétique particulière d’amour. Après avoir mis en avant ces différentes caractéristiques, on pourra les observer à travers le texte de Chrétien de Troyes et envisager l’influence des troubadours dans l’écriture de son œuvre. Toutefois, il semble que l’auteur s’en éloigne ouvertement et préfère à de nombreuses reprises pratiquer l’ironie face à l’amour courtois : à titre d’exemple, on relèvera le fait que Lancelot, supposé comme un parfait courtisan, se voit constamment malmené et tourné en ridicule par son auteur. Ce dernier développe ainsi divers mécanismes contraires à l’art d’aimer troubadouresque. La raison évoquée dévoile une volonté de l’auteur de s’opposer au sujet que sa mécène Marie de Champagne lui avait imposé, à savoir la peinture d’un amour adultère. C’est principalement la cause imaginée par les commentateurs7 pour expliquer que Chrétien de Troyes n’ait pas achevé son roman, laissant à Godefroi de Leigni le soin de le faire, comme le mentionne l’épilogue (v. 7112). Il reste à savoir si Le Chevalier de la Charrette est effectivement le premier roman à prôner l’idéal de l’amour courtois, comme l’affirme Gaston Paris, ou si, bien au contraire, il s’agit d’une parodie de cette conception médiévale d’amour. 7 Anne BERTHELOT, Le roman courtois. Une introduction, Paris : Nathan, 1998, p. 51. 6 1. Le contexte de l’amour courtois - La courtoisie Avant de définir la fin’amor, il nous faut appréhender le contexte de la courtoisie dans lequel émerge cette notion-clé pour notre exposé. C’est au XIIe siècle que naît et s’épanouit l’idéal courtois8. Cette idéologie provient des régions de langue d’oc, influencées par la culture arabe qui la première a développé une nouvelle conception de la société, et en particulier de la femme. Elle a ensuite été diffusée à la cour du roi de France lorsqu’Aliénor d’Aquitaine, petite fille du premier troubadour Guillaume IX, épouse en 1137 Louis VII9. L’apogée littéraire de la pratique courtoise se situe à la cour de Champagne où la fille d’Aliénor, Marie de Champagne, offre sa protection aux auteurs. Chrétien de Troyes (env. 1135–env. 1183) en particulier en bénéficie, lui qui dédie à la comtesse quatre de ses cinq romans10 ; il devient alors le premier trouvère, c’est-à-dire troubadour en langue d’oïl. On a affaire à un tournant de la civilisation qui développe dès lors un nouveau style de vie, tant socialement que littérairement parlant. En effet la courtoisie prend le contrepied de la civilisation chevaleresque du XIe siècle qu’on peut entrevoir dans les chansons de geste. Celles-ci présentent un monde de chrétienté, de combat pour la France, de principes féodaux fixes11. L’amour qu’on y dépeint propose un mépris des attachements féminins, ou encore une indifférence à la volonté de la femme. Cela correspond aux mœurs de l’époque qui consacrent la dépendance totale de la femme à son père d’abord, avant que celui-ci ne la livre à l’époux qu’il lui aura choisi12. Il semble effectivement difficile pour la femme d’occuper les premiers rôles alors que la société du XIe siècle se fonde sur les prouesses guerrières. La courtoisie s’y oppose diamétralement par l’inversion hiérarchique de la dame sur l’homme ; tout en élaborant un univers où prévalent les principes mondains, elle conserve et englobe certaines caractéristiques chevaleresques. Ce monde naissant provient de nouveaux rapports sociaux qui s’établissent au sein des collectivités liées à la cour de riches seigneurs. La vie de cour se développe simultanément à l’économie et à la progression des échanges commerciaux. La noblesse et la chevalerie voient une tendance à se refermer sur elles-mêmes 8 Jean FRAPPIER, op. cit., p. 1. 9 Anne BERTHELOT, op. cit., p. 17. 10 Ibid., p. 18. 11 Jean FRAPPIER, op. cit., p. 1. 12 Paul ZUMTHOR, « Courtoisie », dans le Dictionnaire des genres et notions littéraires, Paris : Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 1997, p.164, ainsi qu’Anne BERTHELOT, op. cit., p. 14. 7 et à codifier leurs règles de conduite. A défaut des champs de bataille, la « jeunesse noble »13 vit à la cour où elle apprend une existence plus policée14. Aussi, un affinement des mœurs et de la sensibilité se manifeste-t-il à la fois dans les mentalités et dans l’écriture de l’époque, ce que traduit le terme de courtoisie15. Aux XIIe et XIIIe siècles, on peut soutenir deux acceptions de la courtoisie16 : l’une, sociale, qui exprime ce qui concerne la cour, et l’autre davantage tournée vers les qualités morales d’un individu. La première définition s’explique d’elle-même par l’étymologie : « courtoisie » provient du latin populaire cortis ou curtis (lat. classique cohors, -ortis) qui présente directement un lien avec la vie de la cour17. uploads/Litterature/ amour-courtois-le-chevalier-a-la-charette.pdf

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