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ANDRÉ BillY DE L'ACAD~MIE GONCOU RT ~ La Terrasse du Luxem ourg '" LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD LA TERRASSE DU LUXEMBOURG OUVRAGES DU M~ME AUTEUR Romans et contes. Bénoni. - La Dame de l'Arc-en-Ciel. - Scènes de la vie litté- raire à Paris. - La Malabée. - Barabour ou l'Harmonie univer- selle. - La Trentaine. - La Nuit des Dupes. - L'Épopée de Ménaché Foigel (avec Moise Twersky) : Le Fléau du Savoir; Comme Dieu en France ; Le Lion, l'Ours et le Serpent. - Ban- lieue sentimentale. - La Femme maquillée. - L'Amie des hommes. - Princesse folle. - Quel homme es-tu ? - Route de la Solitude. - L'Approbaniste. - Nathalie ou les Enfants de la Terre. - Introibo. - Pauline. - Le double Assassinat de la maison du Bœuf. - L'Herbe à pauvre homme. - Le Duc des Halles. - Métro Marbeuf. Biographies. Vie de Diderot. - Vie de Balzac. Sophie Arnould. La Vie amoureuse de Critique. La Muse aux bésicles. - Les Écrivains de combat. - La Lit- térature française contemporaine. Divers. Intimités littéraires. - Paris vieux et neufs : La rive droite; La Rive gauche. - La Guerre des Journaux. - Le Monde des Journaux (avec Jean Piot). - Écrit en songe. - Apollinaire vivant. - Adieu aux fortifications. - Discours qu'aurait pro- noncé M. Thiers pour recevoir M. de Stendhal à l'Académie française. - Supplément au discours sur l'amour des dames vieilles. - J.-K. Huysmans et ses amis Lyonnais. - Écrit à Lyon (en collaboration). - Rue maudite et à l'entour. ANDRÉ BILLY DE L'ACADÉMIE GONCOURT LA TERRASSE DU LUXEMBOURG PARIS LIBRAIRIE AR TH~ME FAYARD 18-20, rue du Saint-Gothard, 18-20 Il a été tiré de cet ouvrage, vingt-cinq exemplaires sur pap'ier vélin pur fil des Papeteries Lafuma, numérotés de 1 à 26. Copyright bg i? Brouty, J. Fayard et Cie, 1945. Tous dtoits de reproduction, traduction et adaptation réservés pour tous pays y compris la Russie. A LOUIS SONNET LA TERRASSE DU LUXEMBOURG 1 MA MÈRE En mai 1940, quand la retraite de nos armées parut inévitable et que je me mis à imaginer, ce que, d'ailleurs, je ne cessais de faire depuis l'écrasement de la Pologne, nos soldats refluant en désordre à travers la Champagne et la Brie vers la grand'route de Fontainebleau, je résolus de mettre ma vieille maman à l'abri avant la bousculade et le désordre d'un départ improvisé. Depui~ de nombreuses années, elle était·impotente et ne Ip.archait plus qu'avec difficulté. Ses jambes la fai- saient beaucoup souffrir. Elle se déclarait incapable de tout effort, de toute résistance à une fatigue prolongée. En deux étapes, ma femme la co~duisit à Nantes, chez une parente, où d'autres membres de la famille étaient déjà venus chercher refuge. Ma vieille m.ère avait quitté, le cœur serré, mais courageusement et sans se plaindre, cette Chevrette qu'elle devait tant regretter avant de mourir et où il était écrit qu'elle ne reviendrait pas... Je supposais qu'une fois la nouvelle ligne de front établie il nous serait facile de nous rejoindre là où mon journal se serait fixé et où je séjournerais moi-même. Mais, après un arrêt de quatre jours à Tours, il fallut reprendre la route, et bientôt je me trouvai séparé de ma mère par toute la largeur d'un champ de bataille 10 LA TERRASSE DU LUXEMBOURG qui allait de la Loire à la Gironde. C'est seulement en mai 1941 que, dans une voiture d'ambulance et au prix de difficultés qui, quelques semaines plus tard, auraient été tout à fait insurmontables, la principale étant de trouver trois cents litres d'essence, je pus faire passer à ma mère la ligne de démarcation à Moulins et l'installer près de moi, dans une maison de retraite pour vieilles dames, sur le plateau de la Croix-Rousse. Elle y vécut ses dix derniers mois. Sa déception avait été grande d'apprendre qu'à Lyon elle ne serait pas abritée sous le même toit que nous. II semblait que toute vie lui fût impossible en dehors de ma présence, qu'elle ne respirât que quand j'étais près d'elle, que le fait de mon absence constituât une anoma- lie, une injustice contre laquelle protestait tout son être. Si l'irrégularité de ma conduite, si mes écarts de jeu- nesse, si la guerre nous avaient parfois séparés, du moins avions-nous toujours eu, en principe du moins, le même domicile. Elle n'eftt pas accepté de vivre seule, et j'avoue que de le lui imposer eût été au...dessus de mes forces. Je me serais considéré comme un mauvais fils si, de propos délibéré et, par exemple, pour épouser une femme qui eût refusé l'existence commune avec elle, je l'eusse abandonnée à la solitude. Il m'est toujours apparu comme un devoir primordial de ne pas priver ma pauvre maman de la seule raison de vivre, qui, après sa ruine. la mort de son mari et celle de sa fille, lui était restée: la présence d'un fils qui, pourtant, ne lui prodi- guait pas les consolations. Mais j'étais à ses côtés, j'occupais une chambre voisine, elle m'entendait aller et venir, sortir, rentrer, c'était assez, elle n'en deman- dait pas plus. Au moment de dire qui elle fut, la crainte me vient de me faire mal comprendre. ElIe...même me compren- drait-elle bien ? LA TERRASSE DU LUXEMBOURG 11 C'était d'abord une femme pleine d'une fierté indomp- table et d'une farouche pudeur. Sa discrétion, sa réserve, sa dignité un peu raide, ses silences, ses réticences, ses reproches muets, non, je n'écrirai pas qu'ils créaient entre nous un malentendu constant, le mot serait excessif, mais, sans mettre ma tendresse en doute, elle m'aurait voulu plus libre, plus ouvert, plus expansif avec elle, et elle ne se rendait pas compte que j'étais' porté à interpréter toute son attitude comme un per- pétuel reproche et que j'en étais gêné. Je ne dirai pas qu'elle se montrait sèche avec moi: elle était timide et sa timidité m'intimidait. Nous nous intimidions récipro- quement. S'en rendait-elle compte? Il lui est arrivé de gémir sur mon insensibilité, alors qu'elle avait plutôt affaire à une sorte d'écorché vif. Sa mère devait être une femme de la même sorte, distante et d'une réserve extrême. Je ne me souviens pas d'avoir reçu d'elle une caresse, un mot tendre, une gâterie, et pourtant sa bonté était, j'en suis sûr, immense, son don de soi total, sans que cela parût ailleurs que dans l'infinie douceur de son sourire. Ces natures féminines sont fréquentes en Picardie et dans les Flandres. Dans la chambre qu'elle occupait, chez les sœurs de Saint-Joseph de la rue Rénon, à la Croix-Rousse, je venais deux fois par semaine passer une heure avec ma mère. C'était peu, trop peu, mais mon travail m'occu- pait beaucoup, loin de la Croix-Rousse, et il fit dans l'hiver de 1941-1942 un froid terrible. Je prenais, place des Terreaux, le tramway 13, où, l'on est si rudement secoué, ou bien la ficelle de la rue Terme, quand ce n'était pas celle de la Croix-Paquet. Je les revois, ces types du peuple lyonnais entre lesquels j'étais serré. Je mllétonne encore de leur silence, de leur maussaderie) de l~ur pauvreté, de leur misère physiologique. Quelle part convenait-il de faire aux circonstances dans la morne 12 LA TERRASSE DU LUXEMBOURG tristesse qui se dégageait de cette humanité dépéris- sante? Une bise glaciale sifflait sur le plateau. Le ver- glas et la neige gelée en rendaient les trottoirs glissants. Le visage enfoui dans mon cache-nez, le cou enfoncé dans les épaules, je me dirigeais vers la rue Hénon. Que ce trajet me paraissait long! Que j'avais hâte d'être au but, de sonner à la porte surmontée, comme tant de portes à Lyon, d'une statue de la Vierge! Un déclic, et je pénétrais dans le couvent sous l'œil vigilant de la sœur tourière; je suivais un corridor meublé de sièges Restauration placés là dès la fondation de la maison, en 1820; je gravissais un petit escalier, je frappais, j'entrais. Ma mère m'avait certainement entendu venir, mon pas était assez reconnaissable dans cet asile de vieilles personnes en pantoufles; cependant, comme si elle ne m'eût pas attendu, elle témoignait toujours quelque surprise de me voir apparaître, et c'était là un trait significatif de son caractère; elle ne souriait pas d'avance, elle ne m'accueillait pas avant que je fusse là. Et quelle tristesse dans son accueil! "Quelle mélancolie dans son regard! Quelle surveillance d'elle- même jusque dans le plaisir que lui faisait ma visite! Montrer toute sa :3oie, n'eût-ce pas été déroger? N'eût-ce pas été trahir l'idéal de dignité dans le malheur dont cette «reine en exil », comme je disais, avait fait le prin- cipe de sa vie? Sa vie! Elle n'a été qu'un long refus de vivre. Pauvre maman! Je dirai un mot de sa coquetterie, qui était, on peut me croire, une coquetterie bien particulière. Elle se jugeait fort décrépite; était-ce sincère ? Elle avait été jolie, fine, d'une finesse blonde et cendrée, d'un charme voilé, et, jusqu'à quatre-vingts ans, il lui en resta quelque chose. Elle se trouvait affreuse et refusait obstinément uploads/Litterature/ andre-billy-la-terrasse-du-luxembourg.pdf

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