APPROCHES DU SENS DU TEXTE LITTERAIRE. Le sens, traditionnellement, est conçu c
APPROCHES DU SENS DU TEXTE LITTERAIRE. Le sens, traditionnellement, est conçu comme référence : aliquid pro aliquo, un signe renvoie à quelque chose, à un élément de la « réalité ». Pourtant, depuis Saussure, la référence est remise en question. Celui-ci affirmait, en effet, que le sens se définit comme différence à l’intérieur du système de la langue. La référence est sans pertinence. Le mot « arbre » n’est pas compris parce qu’il aurait un lien intrinsèque à la réalité qu’il désigne, il est identifié par son rapport différentiel aux autres mots du système de la langue. En tant que signifiant, le mot « arbre » se définit par sa différence avec des termes morphologiquement voisins comme « marbre », par exemple, et en tant que signifié, par son opposition à tous les autres contenus qui constituent la face intelligible des signes de la langue française. A la suite de Saussure, le structuralisme a remplacé la notion de sens par celle de structure : le sens c’est la structure du texte, une structure qui est inhérente au texte. En pratique, cela a donné lieu au développement d’écoles critiques, la poétique, la narratologie et lasémiotique, qui se sont efforcées de définir les textes littéraires selon les relations structurales qu’entretiennent leurs divers constituants. Il fallait néanmoins dépasser la simple analyse linguistique pour rendre compte de la spécificité de l’objet que constituait le texte littéraire. Ainsi fut énoncé le concept de littérarité. I. SENS ET LITTÉRARITÉ. Tout texte peut s’analyser selon trois paramètres : • L’analyse syntaxique rend compte du texte par rapport à la langue. • L’analyse pragmatique rend compte du texte en tant que discours. • L’analyse sémantique rend compte du texte en tant que message. Cette trichotomie s’applique naturellement au texte littéraire, mais en définissant des niveaux d’analyse autonomes. Comme l’a fait remarqué Iouri Lotman, « la littérature parle un langage particulier qui se superpose à la langue naturelle comme système secondaire. C’est pourquoi on la définit comme un système modélisant secondaire » (52). Quelle que soit, en effet, la façon dont on l’aborde, le texte littéraire se démarque du langage ordinaire. Il obéit à des critères esthétiques de forme et de contenu qui le caractérisent en tant que texte « littéraire » ; c’est ce que Todorov définit comme l’objet de la poétique : « cette propriété abstraite qui fait la singularité du fait littéraire, la littérarité » (Poétique, 20). La poétique, en tant que science du texte littéraire n’est bien sûr pas nouvelle. Elle fut inaugurée par Aristote. Il a fallu cependant attendre le début du XXe, avec les Formalistes russes, pour assister à une tentative de systématisation de ce qui fait la littérarité d’un texte. Ils ont jeté les bases des concepts repris par Todorov, Barthes et Genette : On appelle fable l’ensemble des événements liés entre eux qui nous sont communiqués au cours de l’œuvre. La fable pourrait être exposée d’une manière pragmatique, suivant l’ordre naturel, à savoir l’ordre chronologique et causal des événements, indépendamment de la manière dont ils sont disposés et introduits dans l’œuvre. La fable s’oppose au sujet qui est bien constitué par les mêmes événements, mais il respecte leur ordre d’apparition dans l’œuvre et la suite des informations qui nous les désignent. La notion de thème est une notion sommaire qui unit le matériel verbal de l’œuvre. L’œuvre entière peut avoir son thème et en même temps chaque partie de l’œuvre possède son thème. La décomposition de l’œuvre consiste à isoler les parties de l’œuvre caractérisées par une unité thématique spécifique […] A l’aide de cette décomposition de l’œuvre en unités thématiques, nous arrivons enfin jusqu’aux plus petites particules du matériau thématique. […] Le thème de cette partie indécomposable de l’œuvre s’appelle un motif. […] Les motifs combinés entre eux constituent le soutien thématique de l’œuvre. Dans cette perspective, la fable apparaît comme l’ensemble des motifs dans leur succession chronologique, et de cause à effet ; le sujet apparaît comme l’ensemble de ces mêmes motifs, mais selon la succession qu’ils respectent dans l’œuvre. […] Les motifs d’une œuvre sont hétérogènes. Un simple exposé de la fable nous révèle que certains motifs peuvent être omis sans pour autant détruire la succession de la narration, alors que d’autres ne peuvent l’être sans que soit altéré le lien de causalité qui unit les événements. Les motifs que l’on peut exclure sont appelés motifs associés ; ceux que l’on ne peut écarter sans déroger à la succession chronologique et causale des événements sont des motifs libres. (Tomachevski, 270-2, souligné par nous). La différence entre fable et sujet correspond à la différence entre histoire et discours chez Todorov, diégèse et récit, chez Genette. Les deux catégories de motifs correspondent respectivement aux fonctions et aux indices, chez Barthes. Mais ce qui est encore plus intéressant, du point de vue du sens, c’est que les Formalistes russes, en particulier ceux qui ont travaillé sur la poésie, comme Tynianov, ont cherché à comprendre comment les éléments significatifs d’un texte étaient mis en évidence. Ces procédés reposent sur des mécanismes intuitifs : la répétition, l’emphase. Trois procédés principaux ont ainsi été mis en lumière : l’itération, la dominante, la défamiliarisation (ostranenie). Appliqués à la prose, ces principes supposent qu’un auteur met en évidence les éléments significatifs de son texte grâce à des réseaux sémantiques, des axes thématiques, des figures marquantes. C’est ainsi, en effet, que se comprend la modélisation secondaire d’un texte : les éléments significatifs du message sont, en quelque sorte, mis en relief sur la trame textuelle, le sens du message n’est pas le sens du texte, mais résulte d’une sélection et d’une organisation de certains éléments pertinents dans le texte. Nous verrons plus loin comment le concept greimasien d’isotopie répond en partie à ce critère de sélection et d’organisation pertinentes. Que veut donc dire l’affirmation que la littérarité se constitue comme un système modélisant secondaire par rapport au langage ? Les correspondances sont les suivantes : • au niveau syntaxique, correspond l’analyse du récit, fondée sur la poétique, • au niveau pragmatique, correspond l’analyse de la narration, fondée sur la narratologie, • au niveau sémantique, correspond l’analyse du message, fondée sur la sémiotique. Compte tenu des recoupements et des différences de perspective entre les approches poétiques et narratologiques, je résumerai les apports de Todorov pour le niveau du récit, de Genette pour la narration et de Greimas pour le sens du message. 1. LE RÉCIT. Todorov propose de le découper en séquences. a) Le récit varie par rapport à l’histoire, dans l’organisation linéaire de la présentation des événements. C’est en particulier le cas quand on est en présence de plusieurs intrigues: Les histoires peuvent se lier de plusieurs façons. Le conte populaire et les recueils de nouvelles en connaissent déjà deux : l’enchaînement et l’enchâssement. L’enchaînement consiste simplement à juxtaposer différentes histoires : une fois la première achevée, on commence la seconde. […] L’enchâssement, c’est l’inclusion d’une histoire à l’intérieur d’une autre. […] Il existe toutefois un troisième type de combinaison, l’alternance. Il consiste à raconter les deux histoires simultanément, en interrompant tantôt l’une tantôt l’autre, pour la reprendre à l’interruption suivante (Littérature et signification, 72, souligné par nous). b) Le récit varie par rapport à l’histoire, dans l’organisation chronologique. --Ordre :« Le rapport le plus facile à observer est celui de l’ordre : celui du temps racontant (du discours) ne peut jamais être parfaitement parallèle à celui du temps raconté (de la fiction) : il y a nécessairement des interventions dans l’ « avant » et l’ « après ».[…] L’impossibilité de parallélisme aboutit donc à des anachronies, dont on distinguera évidemment deux espèces principales : les rétrospections, ou retour en arrière, et les prospections, ou anticipations » (Poétique, 53). Cela correspond, chez Genette, respectivement à l’analepse et à la prolepse. --Durée : « Au point de vue de la durée, on peut comparer le temps qu’est censé durer l’action représentée avec le temps dont on a besoin pour lire le discours qui l’évoque » (Poétique, 54): -Suspension du temps : pause -Omission d’une période : ellipse -Coïncidence : scène -Condensation : résumé --Fréquence : « Trois possibilités théoriques sont offertes ici : un récit singulatif où un discours unique évoque un événement unique ; unrécit répétitif, où plusieurs discours évoquent un seul et même événement ; enfin un discours itératif, où un seul discours évoque une pluralité d’événements (semblables) » (Poétique, 55, souligné par nous). 2. LA NARRATION. Il convient de rappeler ici que Genette n’envisage l’histoire et la narration que dans leurs rapports au récit qui fait l’objet de son étude : « Notre étude porte essentiellement sur le récit au sens le plus courant, c’est-à-dire le discours narratif, qui se trouve être en littérature, et particulièrement dans le cas qui nous intéresse, un texte narratif.[…] Je propose[…] de nommer histoire le signifié ou contenu narratif[…], récitproprement dit le signifiant, énoncé, discours, ou texte narratif lui- même, et narration l’acte narratif producteur et, par extension, l’ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle il uploads/Litterature/ approches-du-sens-du-texte-litteraire.pdf
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- Publié le Oct 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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