Aphasie F Viader J Lambert V de la Sayette F Eustache P Morin I Morin B Lecheva
Aphasie F Viader J Lambert V de la Sayette F Eustache P Morin I Morin B Lechevalier Résumé. – Cet article est une revue des formes cliniques, des causes et des lésions anatomiques de l’aphasie. Il inclut également une étude détaillée des modèles du langage oral et écrit élaborés par la neuropsychologie cognitive. Les troubles de la parole en dehors de l’aphasie (dysarthrie et dysphonie) sont brièvement passés en revue. Un chapitre est consacré à l’aphasie de l’enfant, incluant le syndrome de Landau-Kleffner. Enfin, les méthodes et les stratégies de rééducation de l’aphasie sont discutées. © 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : aphasie, alexie, agraphie, anarthrie, dysarthrie, dysphonie, syndrome de Landau-Kleffner, rééducation, neuropsychologie cognitive. Introduction On a volontiers tendance à opposer une neuropsychologie « clinique » d’autrefois, entièrement dédiée au diagnostic topographique des lésions, à une neuropsychologie « cognitive » d’aujourd’hui, qui, déchargée de ses servitudes médicales par la neuro-imagerie moderne, pourrait se consacrer pleinement à l’élucidation du fonctionnement cérébral. Ce dilemme n’est qu’apparent, et l’étude des aphasies l’illustre de façon éclatante. Loin de détourner les cliniciens de l’aphasiologie, les progrès de l’imagerie diagnostique leur ont permis d’affiner la connaissance des phénomènes pathologiques en multipliant les confrontations clinicolésionnelles autrefois subordonnées à la neuropathologie. Les rudes controverses passées entre localisationnistes et noéticiens ont fait place à des échanges plus productifs autour de schémas à double face anatomique et fonctionnelle, arbitrés par les études d’imagerie fonctionnelle conduites tant chez les patients que chez les volontaires sains. Enfin, les modèles inspirés de la psycho- linguistique sont devenus moins ardus et plus accessibles aux cliniciens, lesquels savent désormais y reconnaître un moyen d’affiner leur connaissance des phénomènes pathologiques, mais aussi une arme thérapeutique rendue plus efficace par une délimitation plus précise des cibles de la rééducation. Repères historiques – 1861 : le 18 avril, Paul Broca, chirurgien de l’hospice de Bicêtre présente à la Société d’anthropologie de Paris le cerveau d’un homme de 51 ans nommé Leborgne, décédé la veille dans son service où il était hospitalisé depuis vingt ans à la suite d’une perte du langage qui se réduisait à la syllabe TAN alors qu’il comprenait Fausto Viader : Professeur de neurologie, praticien hospitalier. Jany Lambert : Orthophoniste. Vincent de la Sayette : Neurologue, praticien hospitalier. Francis Eustache : Professeur de psychologie à l’Université, Inserm U320. Pierre Morin : Professeur de neurologie. Isabelle Morin : Orthophoniste. Bernard Lechevalier : Professeur de neurologie, membre de l’Académie de médecine, service de neurologie Vastel, CHU Côte-de-Nacre, avenue de la Côte-de-Nacre, 14033 Caen cedex, France. assez bien ce qu’on lui disait. Broca décrit un grand ramollissement de l’hémisphère gauche qui atteint le lobe frontal dans sa quasi- totalité, s’étend aux lobes pariétal et temporal. Il ne retient comme origine de l’aphasie que la 3e circonvolution frontale gauche. En 1984, Signoret et al [170] soumettront le cerveau de Leborgne à un examen scanographique qui confirmera la description de 1861 et montrera, en outre, une atteinte du noyau caudé et de la partie antérieure du noyau lenticulaire, l’aire de Wernicke et le gyrus supramarginalis étant respectés. – 1868 : Broca, qui a observé plusieurs cas anatomiques proches de celui de Leborgne, écrit qu’il croit avoir découvert que « l’exercice de la faculté du langage articulé est subordonné à l’intégrité (...) de la moitié postérieure, peut-être même du tiers postérieur seulement de la 3e circonvolution frontale » de l’hémisphère gauche. – 1874 : Carl Wernicke, de Breslau, décrit d’autres types d’aphasies, dont la forme qui porte maintenant son nom ou aphasie sensorielle due à une lésion temporale gauche, l’aphasie motrice (Broca) et l’aphasie de conduction. – 1885 : Lichtheim publie dans Brain une mémorable description de sept types d’aphasies : les aphasies corticales motrice (Broca) et sensorielle (Wernicke), l’aphasie de conduction, les aphasies transcorticales motrice et sensorielle, les aphasies sous-corticales motrice et sensorielle. – 1891 : S. Freud, dans une monographie restée célèbre, nie l’existence des centres du langage : la région corticale du langage est une aire continue du cortex hémisphérique gauche. La représentation du mot déclenche de nombreuses associations : visuelles, tactiles, acoustiques. Il décrit un symptôme nouveau : l’agnosie. – 1906 : Pierre Marie publie une monographie intitulée Révision de la question de l’aphasie : la 3e circonvolution frontale gauche ne joue aucun rôle spécial dans la fonction du langage. L’aphasie de Broca (dont il ne nie pas l’existence) n’est que l’addition d’une aphasie de Wernicke et d’une anarthrie. Celle-ci est due à une lésion située dans un quadrilatère englobant les noyaux gris centraux et la capsule interne. – 1908 : Jules Déjerine, contre Pierre Marie, reste fidèle à la conception de Broca. En 1892, il décrit l’alexie sans agraphie, inaugurant la conception associationniste de l’aphasie. Encyclopédie Médico-Chirurgicale 17-018-L-10 17-018-L-10 Toute référence à cet article doit porter la mention : Viader F, Lambert J, de la Sayette V, Eustache F, Morin P, Morin I et Lechevalier B. Aphasie. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Neurologie, 17-018-L-10, 2002, 32 p. – 1915 : Jackson est réticent pour localiser le langage. Il pense que le langage propositionnel peut dépendre de l’hémisphère gauche, mais que le langage automatique est plutôt hémisphérique droit. – 1928 : Charles Foix établit des corrélations anatomocliniques strictes entre le siège du ramollissement cérébral et le type d’aphasie présentée. – 1933 : Kurt Goldstein préconise une conception globaliste de l’aphasie, résultat d’une perturbation de l’organisation fonctionnelle du cerveau. – 1939 : Théophile Alajouanine inaugure l’ère linguistique de l’aphasie avec son ouvrage La Désintégration phonétique dans l’aphasie, fruit de ses observations. Il se réfère au principe de Baillarger-Jackson pour démontrer la dissociation automaticovolontaire dans l’aphasie. Avec François Lhermitte et Blanche Ducarne, il fonde à la Salpêtrière le premier centre de rééducation du langage. – 1964 : Alexandre Luria formule la première classification neurolinguistique des aphasies. – 1965 : Norman Geschwind réaffirme, dans deux grands articles parus dans Brain, la pertinence des théories associationnistes. – 1975 : un nouveau courant, la neuropsycholinguistique, s’assigne pour objectif fondamental d’élaborer des théories du traitement de l’information chez le sujet sain à partir de l’analyse des troubles aphasiques. Dans un second temps, ses modèles théoriques et ses méthodologies sont utilisés pour décrire et comprendre les perturbations observées chez les patients. Cette approche cognitive ne s’intéresse pas aux corrélations anatomocliniques. Dans la même période se développent les techniques d’imagerie morphologique et fonctionnelle du cerveau. Le scanner X puis l’imagerie par résonance magnétique (IRM) permettent une visualisation précise des lésions. Les mesures métaboliques en tomographie par émission de positons (TEP) étudient leurs répercussions fonctionnelles dans des secteurs plus étendus. Des activations verbales chez le sujet sain sont entreprises avec la TEP et l’IRM fonctionnelle (IRMf). Les travaux actuels tentent de concilier les modèles cognitivistes et l’exploration fonctionnelle du cerveau. Opérations mentales et activations cérébrales constituent la nouvelle formulation dynamique des localisations cérébrales. Ces connaissances sont exploitées pour la prise en charge et la rééducation. Celles-ci intègrent à la fois des « approches écologiques », et des supports techniques tels que la micro-informatique. Examen d’un sujet aphasique DÉFINITION DE L’APHASIE Parmi les nombreuses définitions de l’aphasie, nous retiendrons celle de AR Damasio [38] qui regroupe les caractéristiques différentielles les plus importantes. L’aphasie représente « la perturbation de la compréhension et de la formulation des messages verbaux qui résulte d’une affection nouvellement acquise du système nerveux central ». Chacun des termes de cette définition permet de différencier l’aphasie d’autres pathologies et déviations linguistiques : nouvellement acquise versus troubles du langage congénitaux ou du développement ; du système nerveux central versus utilisation déviante du langage en rapport avec un usage social particulier ou une affection psychogène ; messages verbaux versus trouble de la communication gestuelle ou émotionnelle ; compréhension des messages verbaux versus troubles perceptifs auditifs (surdité) ou visuels (cécité) ; formulation des messages verbaux versus troubles de la phonation ou de l’articulation. Enfin, Damasio différencie l’aphasie des troubles du langage pouvant être observés dans les états de confusion mentale faisant suite à une altération de la conscience. EXAMEN CLINIQUE DES TROUBLES LINGUISTIQUES DES APHASIES : MÉTHODES Les examens les plus couramment utilisés en France sont : – le test pour l’examen de l’aphasie [47] ; – l’échelle française pour l’examen de l’aphasie : HDAE [117, 135], adaptation de l’échelle anglaise BDAE de Goodglass et Kaplan ; – le protocole d’examen linguistique de l’aphasie MT86. Ces batteries explorent les capacités linguistiques à travers les mêmes principales fonctions : l’expression et la compréhension orales, l’expression et la compréhension écrites, la répétition, la lecture à haute voix et l’écriture sous dictée. ¶ Étude de l’expression orale Elle distingue plusieurs situations. – Le langage spontané ou conversationnel est induit par des questions posées par l’examinateur. – Le discours narratif est apprécié à partir de la description de scènes imagées (ou éventuellement à partir d’un texte lu ou entendu). Ces situations permettent d’évaluer non seulement la disponibilité lexicale, mais aussi les capacités syntaxiques et la cohérence du récit, de même que l’adéquation des productions sur le plan phonétique, uploads/Litterature/ aphasie-pdf.pdf
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- Publié le Mar 18, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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