Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1981

Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1981 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 15 juin 2019 05:40 Études littéraires La rhétorique comme instrument de pouvoir Clément Moisan Didactique et littérature dans les collèges classiques du Québec Volume 14, numéro 3, décembre 1981 URI : https://id.erudit.org/iderudit/500552ar DOI : https://doi.org/10.7202/500552ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des littératures de l'Université Laval ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Moisan, C. (1981). La rhétorique comme instrument de pouvoir. Études littéraires, 14 (3), 387–413. https://doi.org/10.7202/500552ar LA RHÉTORIQUE COMME INSTRUMENT DE POUVOIR clément moisan Notre enseignement classique [...] est plus mauvais que bon [...]. Il est mauvais [...] parce que l'étude « littéraire », celle qui ne regarde que la hardiesse du jeu des idées ou la beauté de leurs formes, y domine trop absolument [...]. Les humanités qui ont fait un Rabelais et un Mon- taigne se rapetissent à la rhétorique. Ce n'est plus un art de penser qu'on y prend, mais un art de parler bien sans penser. Gustave Lanson, «Contre la rhétorique et les mauvaises humanités », L'Université et la société moderne, Paris, Colin, 1902, p. 111,112. Dans Les Fleurs de Tarbes, Jean Paulhan propose une anecdote qui résume le périple historique de la rhétorique1. Elle serait comme ce parc de Tarbes où, un jour, un gardien aperçut une dame se promenant une rose à la main. «Vous savez bien», lui dit-il, «qu'il est défendu de cueillir les fleurs de ce jardin». — «Je l'avais en entrant», répondit-elle. — «Eh bien!», rétorqua le gardien, «il faudra désormais défendre d'entrer avec des fleurs». D'où l'écriteau à l'entrée du parc : Mais cet interd de plus en plu: jardin. On trou hécatombe. Or IL EST DÉFENDU D'ENTRER DANS LE JARDIN AVEC DES FLEURS A LA MAIN it eut les conséquences de toutes 3, les promeneurs cueillaient des va alors une mesure ingénieuse p < i apposa à l'entrée du parc un aut IL EST DÉFENDU D'ENTRER DANS LE JARDIN PUBLIC SANS FLEURS À LA MAIN les défenses ; fleurs dans le Dur éviter une re écriteau : ÉTUDES LITTÉRAIRES — DÉCEMBRE 1981 388 Car les promeneurs déjà fort embarrassés de leurs fleurs étaient loin de songer à en cueillir d'autres sur place. Cependant, il arriva peu à peu que l'on vit des gens se promener sans fleurs à la main. On s'inquiéta de ce qu'ils se mettraient peut-être à cueillir. Et l'on rétablit le tout premier écriteau : IL EST DÉFENDU DE CUEILLIR DES FLEURS DANS LE JARDIN PUBLIC Un jour, un gardien, voyant une dame qui se promenait une rose à la main... Et l'histoire recommença. L'histoire de la rhétorique est celle d'une défense qui en entraîne une autre, laquelle en engendre une troisième, cette dernière ramenant la première. La rhétorique est ainsi un système d'interdits successifs et contradictoires. Dans l'Anti- quité, elle est une technè, un art de la communication quoti- dienne dont le but est de persuader. Elle se sépare nettement de la poétique, art de l'évocation imaginaire, et met l'accent sur Vinventio, la recherche des arguments, des preuves, qui doivent permettre de convaincre l'interlocuteur ou l'auditeur. Donc, à cette première phase convient l'interdit :« pas de fleurs à la main», ici pas de fleurs de rhétorique. La rhétorique classique sera celle de l'ornement. En se généralisant, elle préfère la poétique à la rhétorique et privi- légie l'élocution que les classiques appellent le style. Émigrant ainsi vers la « littérature», elle devient une esthétique littéraire. C'est désormais le panneau interdisant d'entrer dans le jardin « sans fleurs à la main». L'élocution caractérise précisément la période où abondent les fleurs de rhétorique, les grands ornements du style littéraire. Les mutations de la rhétorique de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle amènent une survivance de la chose sans le mot. Gérard Genette a mis en lumière ce passage d'une rhétorique déclarée à une rhétorique implicite, où l'accent est mis sur la dispositio, le plan, la mystique du plan dont traitent particuliè- rement les manuels de dissertation et d'analyse littéraires2. Il est interdit maintenant non seulement de se promener avec LA RHÉTORIQUE COMME INSTRUMENT DE POUVOIR 389 ou sans fleurs, mais aussi d'en cueillir : il s'agit simplement de les observer. C'est l'objet du travail scolaire de la dissertation et de l'analyse qui instituent un discours sur les œuvres où prime l'ordonnance ou la dispositio, les arguments étant trouvés ou donnés et les ornements se ramenant à des prescriptions négatives («Le style de la dissertation ne doit pas être... »). La néo-rhétorique actuelle (Groupe n, Perelman, Vignaux, etc.) pourrait être vue comme un retour aux sources, à l'histoire première ou ancienne de la rhétorique, technè, inventio, art de l'argumentation. Dans son « Aide-mémoire» sur l'ancienne rhétorique, Roland Barthes décrit le parcours idéologique de la rhétorique comme « pratiques, présentes simultanément ou successivement selon les époques, dans la Rhétorique3». Elle est une technique, un ensemble de règles et de recettes destinées à convaincre et à persuader; un enseignement, dispensé dans les écoles et institutions secondaires et universitaires (leçons, exercices scolaires, examens) ; une science, codifiée dans les traités et manuels; une morale, dont les prescriptions répondent aux règles devant contrôler les écarts de langage; une pratique sociale, qui, par l'enseignement et l'appareil scolaire, permet aux classes dirigeantes de s'assurer la propriété de la parole; enfin, une pratique ludique, dont on a des exemples dans les jeux, parodies (du Cid, par exemple), allusions obscènes, plaisanteries de collège, qui forment une sorte de code culturel restreint à l'usage des initiés. Les deux dernières pratiques ont donné aux élèves des collèges classiques du Québec un fonds commun de réminiscences, de souvenirs, de clichés qui, dans la société où ils ont évolué, servaient de mots de passe, de connivences, mais aussi de lien social, de classe ou de clan. Dans l'enseignement littéraire de ces collèges classiques, de 1852 à 1967, les traités de rhétorique, les manuels de composition, de dissertation et d'analyse littéraires, consti- tuent un corpus privilégié pour l'examen des fins didactiques et des pratiques pédagogiques. Ces ouvrages se situent à la dernière période de l'histoire de la rhétorique; ils sont le terme final du parcours historique et idéologique esquissé plus haut. Nommément inscrits dans les programmes des ÉTUDES LITTÉRAIRES - DÉCEMBRE 1981 390 institutions elles-mêmes : les collèges classiques et les facultés des arts (Québec et Montréal) qui les regroupent, ces ouvrages reproduisent une visée institutionnelle que nous essayons d'identifier afin d'en mesurer les effets (sociaux en particulier). 1. Les manuels utilisés L'inscription des manuels dans les annuaires des institutions d'enseignement classique ainsi que la notation des années d'utilisation sont des données qui permettent de constituer un corpus indiscutable. Toutefois, il est permis de croire, d'abord, que ces mêmes ouvrages ont pu servir dans d'autres collèges que ceux que nous avons indiqués; ensuite, que d'autres ouvrages ont été utilisés qui n'apparaissent pas dans les annuaires des collèges. Pour ces derniers, leur inclusion dans notre corpus ne changerait guère, croyons-nous, les résultats de notre analyse4. Voici treize manuels signalés dans les documents officiels des collèges. Nous les classons en trois groupes: 1. rhétorique, 2. rhétorique et genres littéraires, 3. rhétorique et composition. P Lefranc, Emile, Abrégé du traité théorique et pratique de - littérature, 1841. o. I Grandperret, CL., Traité classique de littérature, 1813. o Verniolles, l'Abbé J., Cours élémentaire de littérature. Style et °> poétique, 1860. L Mestre, Père, Principes de littérature, 1882. Verest, Père Jules, s.j., Manuel de littérature, 1898. Urbain, l'Abbé Ch., Précis d'un cours de littérature. Genres et prose, 1921. Suberville, Jean, Théorie de l'art et des genres littéraires, 1915. Doutrepont, Ch., La Composition et les genres littéraires, 1955. G rente, Mgr Georges, La Composition et le style. Principes et conseils, 1909. Vincent, l'Abbé CI., Théorie de la composition littéraire, 1908. Dion, l'Abbé Albert, Théorie et pratique de l'art d'écrire, 1910. Lefèvre, C, s.j., La Composition littéraire, 1926. Fournier, G., Comment composer mon devoir français, 1934. a. o O) Û. O D) LA RHÉTORIQUE COMME INSTRUMENT DE POUVOIR 391 2. Portrait-robot des manuels A) Introduction ou entrée en matière portant sur les belles- lettres, la littérature, le rôle et les fonctions de la littérature, les relations entre littérature et morale. B) Les facultés intellectuelles à l'origine de l'œuvre littéraire : intelligence, imagination, sensibilité, goût. C) La rhétorique selon ses trois divisions « classiques» : inven- tion (idées), disposition (plan) et élocution (style). Cette dernière fonction, le style, est la plus développée, avec ses définitions, qualités, ornements, figures. D) Composition et genres de composition; ou «moyens d'apprendre à bien écrire». Certains manuels, uploads/Litterature/ ar.pdf

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