11 Jerzy Lis Université Adam Mickiewicz Poznań, Pologne Résumé : Vincent Colonn

11 Jerzy Lis Université Adam Mickiewicz Poznań, Pologne Résumé : Vincent Colonna appartient aux plus grands théoriciens de l’autofiction. Sa thèse de doctorat soutenue en 1989, largement modifié et publiée en 2004 sous le titre « Autofiction & autres mythomanies littéraires » propose une conception passionnante des modes de fictionnalisation de soi qui se trouve à l’opposée de la théorie de Serge Doubrovsky. La seule autofiction que Colonna ait écrite : Ma vie transformiste, analysée à la lumière d’un texte sur la genèse du roman permet de saisir mieux l’originalité de cette théorie, contestée par bien des chercheurs. Mots-clés : Autobiographie, autofiction, fictionnalisation de soi, art du transformiste Abstract : Vincent Colonna belongs to the greatest theoreticians of autofiction. His doctoral thesis defended in 1989, largely modified and published in 2004 under the title Autofiction & autres mythomanies littéraires [Autofiction & other literary mythomanias], proposes an exciting conception of the modes of fictionalization of oneself that is opposed to Serge Doubrovsky’s theory. The only autofiction that Colonna has written: Ma vie transformiste [My transformist life], analysed in the light of a text on the genesis of the novel allows us to better understand the originality of this theory, contested by numerous researchers. Key- words : Autobiography, autofiction, fictionalization of oneself, transformist art Dans la perspective qui est celle du lecteur du début du XXIe siècle, l’autofiction est devenue un concept comme les autres qui jouit du même privilège auprès des dictionnaristes. L’édition 2007 du dictionnaire Robert décrit l’autofiction comme « le récit mêlant la fiction et la réalité autobiographique » en signalant en plus l’année 1977 comme la date à laquelle l’emploi du mot a été attesté. A quelqu’un qui suivait même de loin les grandes discussions concernant les mutations des formes autobiographiques, l’histoire de l’autofiction est inséparablement liée avec Serge Doubrovsky dont le texte Fils publié justement cette année-là, se voulait ouvertement autofiction. Pour si laconique que soit la définition, elle ne rend pas compte des difficultés que devaient surmonter les chercheurs intéressés par les pratiques autobiographiques. Le fait est que Doubrovsky a ouvert le débat sur le renouvellement de l’autobiographie par le Complément à la théorie de l’autofiction : Ma vie transformiste de Vincent Colonna Synergies Pologne n°4 - 2007 pp. 11-18 12 biais de la fiction. Les théorisations successives, embauchées entre autres par Ph.Lejeune, J. Lecarme, G. Genette, V. Colonna, Ph. Gasparini et bien entendu par S. Doubrovsky lui-même, ont révélé différentes directions qu’allait prendre l’autofiction dans ces trois dernières décennies. Elle n’est plus associée de manière absolue avec les recherches de l’auteur du Fils, encore moins avec les travaux de Vincent Colonna, le plus grand des contestateurs de la théorie de Doubrovsky. L’importante étude de Philippe Gasparini intitulée Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, parue en 2004, a bien canalisé toutes les tentatives de théorisation de l’autofiction en réconciliant tous les adversaires... sauf Doubrovsky qui est resté sur ses positions. Or, si l’auteur du Fils ne cesse de revendiquer la validité référentielle du récit, d’autres chercheurs ont tendance à discuter les affinités de l’autofiction avec le roman autobiographique. Quand Gasparini s’en prend à définir l’autofiction, il pense au « développement projectif dans des situations imaginaires » tout en respectant l’homonymie de l’auteur, du narrateur et du héros (Gasparini, 2004 : 26). Par contre, pour Vincent Colonna, partisan d’une définition large de l’autofiction, l’essentiel du roman autobiographique consiste à mettre en œuvre la fabulation de soi, ce qui fait de la forme en question une réalisation bel et bien autofictionnelle (Colonna, 2004 :196). La confrontation de deux approches permet d’entrevoir en quoi l’expérimentation formelle au sein de l’autobiographie est tributaire de la fiction, responsable de la confusion totale dans le champ autobiographique. La fictionnalisation de soi ainsi que les modes d’intrusion de la fiction dans le récit à caractère autobiographique m’intéressent surtout à cause d’une conception originale de l’autofiction que Vincent Colonna a présentée d’abord dans sa thèse de doctorat, soutenue en 1989, et puis dans son essai de 2004. Bien que sa théorie ne soit pas pertinente dans la mesure où elle s’éloigne du sens de l’autofiction donné par Doubrovsky, elle vaut par le caractère universel de l’approche historico-poétique qu’elle propose. Il ne m’appartient pas de défendre la théorie de Colonna, loin de là. J’en ai donné d’ailleurs un aperçu critique dans mon étude sur l’écriture autofictionnelle en France (Lis : 2006). Je reste pourtant fort impressionné par l’épaisseur de l’investigation colonnienne et le souci de l’auteur de systématiser la problématique. L’idée de revenir aux recherches de Colonna et surtout à sa pratique d’autofictionnaire m’est venue à la suite de la lecture de son texte publié cette année-ci dans le volume Genèse et autofiction qui réunit les communications présentées lors du séminaire consacré à l’autofiction en 2005 à Paris auquel j’ai assisté en qualité d’auditeur libre (Jeannelle & Viollet : 2007). Les propos avancés au séminaire par Colonna m’ont laissé perplexe pour une simple raison que l’auteur n’a pas réussi à me convaincre sur le caractère autofictionnel de... sa propre autofiction. Le discours vague et un peu tortueux du conférencier m’a fait découvrir un chercheur incertain de ses acquis dans la recherche littéraire et finalement un peu bloqué par la présence imposante de Doubrovsky, très sûr, lui-même, de sa notoriété de savant et d’écrivain. Ma déception était encore plus grande, car je m’attendais non seulement à un exposé minutieux sur son atelier d’écriture, mais aussi à une interprétation détaillée de son autofiction, Synergies Pologne n°4 - 2007 pp. 11-18 Jerzy Lis 13 hélas très peu connue des lecteurs et des critiques. Au lieu de se lancer conformément à la thématique du séminaire, dans l’explication de la genèse du livre, Colonna est allé un peu à la dérive en laissant certains auditeurs dont moi, sur leur faim. La version imprimée de sa communication : « Note sur une autofiction fantastique (comment j’ai cru écrire écrire Ma vie transformiste) » garde un aspect beaucoup plus réfléchi que sa présentation au séminaire et elle résonne différemment par rapport à son discours tenu à l’École normale supérieure en juin 2005. Il est intéressant qu’avant de passer à la genèse de son autofiction l’auteur a tenu à rappeler aux lecteurs les idées fortes de son essai. Or, dans sa proposition de « l’extension très étendue » du terme ‘autofiction’, il a ramené toutes les formes littéraires de fictionnalisation de soi à quatre types dont le roman autobiographique, la fiction spéculaire, le roman avec intrusion d’auteur et la fabulation « chamanique » de soi (Colonna, 2007 : 177-178). La fictionnalisation de soi désigne donc la procédure de la mise en fiction du sujet, indépendante au fond des formes littéraires précises et elle renvoie à un vaste champ indéterminé de textes ou autrement dit à un ensemble plus ou moins amorphe qu’il faudrait saisir de manière opérationnelle. Colonna semble avoir pris à tâche d’organiser le système de textes de fictionnalisation en profitant justement du néologisme utilisé par Doubrovsky. Selon le jeune praticien, l’application du terme ‘autofiction’ devrait correspondre à une représentation en lumière visible d’une nébuleuse identifiable sous le nom de « Rectangle rouge » dont on sait qu’elle a une forme d’un X. Chaque pôle pourrait servir d’organisation pour une nébuleuse autofiction afin de distinguer quatre types de cette forme quelque peu inconsistante. A partir de ce schéma ô combien imagé et qui décrit l’indécis formel de cette pratique de fictionnalisation, Colonna procède à une spécification des types les plus caractéristiques de l’autofiction, suffisamment généralisant pour décrire un vaste ensemble de textes. Le texte de Colonna, différent de la version orale du séminaire et réorienté dans une direction plus théorique comprend donc un bref rappel de sa théorie ainsi que les informations en rapport avec la genèse de Ma vie transformiste, présentées en quatre mouvements qui en disent long sur une idée de sa propre autofiction publiée douze ans après la soutenance de sa thèse de doctorat L’Autofiction, essai sur la fictionnalisation de soi en littérature (longtemps inédite et disponible, il y a encore quelques mois, sur le site internet). Lors de la rédaction du roman, espacée entre 1996 et 2001, Colonna disposait des connaissances théoriques suffisamment approfondies pour pouvoir rédiger un texte lui servant d’illustration à sa conception de l’écriture qui met en relief la naissance d’« une autofiction fantastique et la fabrication d’un hétéronyme » (Colonna, 2007 :179). Pour comprendre le sens de sa propre autofiction, il faut d’abord rappeler la définition de l’autofiction fantastique qui fait partie de quatre postures de fictionnalisation que l’auteur a décrites dans son essai de 2004 (il distingue en effet une autofiction fantastique, biographique, séculaire et intrusive). Il ne fait pas de doutes que Colonna privilégie la première posture qui, selon lui, a été pratiquée par Lucien de Samosate, le véritable maître à penser Complément à la théorie de l’autofiction : Ma vie transformiste de Vincent Colonna 14 du chercheur. Le fait de choisir l’autofiction fantastique explique en partie la différence entre sa conception et celle Doubrovsky pour qui l’autofiction a strictement le uploads/Litterature/ art-autofiction-v-colonna.pdf

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