JEAN sESS&RE LITTÉRATURE COMPARÉE ET CRITIQUE LITTÉRAIRE CONTEMPORAINE Notes po

JEAN sESS&RE LITTÉRATURE COMPARÉE ET CRITIQUE LITTÉRAIRE CONTEMPORAINE Notes pour définir l'unité du champ des études littéraires Ces quelques pages entendent n'être que de simples remarques qui précisent ce que pourrait être une approche des littératures du xixe et du xxe siècle dans une perspective comparatiste qui reprenne de manière précisément comparatiste et historique quelques uns des principaux acquis de la critique littéraire contemporaine . La liberté et la modes- tie du propos, son caractère parfois un peu convenu n'interdisent pas que l'on plaide finalement pour une relecture de notre tradition comparatiste, de cette critique littérai- re contemporaine, et de suggérer ce qui peut être tenu pour une manière de reconstitu- tion de la littérature comparée, par laquelle il puisse être rendu compte à la fois de cet- te tradition, de cette critique contemporaine, des principaux courants de la littérature occidentale depuis deux siècles . Dès lors que l'on continue de considérer que la littérature comparée doit être une entreprise de comparaison des oeuvres et textes littéraires, certaines des données préva- lentes dans la critique contemporaine rendent cette entreprise hasardeuse, tant dans une perspective historique que dans une perspective formelle. Cette remarque n'a rien d'o- riginal . Il faut cependant souligner que, dans la pratique critique contemporaine, elle renvoie à deux ambiguïtés . D'une part, l'ambiguïté qui se lit dans la thèse qui oppose radicalement tradition critique de la littérature comparée et critique contemporaine . D'autre part, l'ambiguïté qui se lit tant dans cette critique contemporaine que dans l'u- sage qui est fait de cette critique par la littérature comparée . La première ambiguïté, par- ticulièrement illustrée para les polémiques menées par René Wellek contre la décons- truction et, de façon plus générale, par les thèses des tenants d'une stricte histoire littéraire comparée, réside dans le fait que la comparaison des littératures a pour condi- tion l'hypothèse d'une généralité de la littérature, qui est rarement explicitée de maniè- re précise et qui, de fait, suppose bien des prémisses de la critique contemporaine . La seconde ambiguïte réside : d'abord dans le fait que la critique contemparaine, même dans les logiques qui se veulent les plus strictes, joue de contradictions qui éclairent les conditions de possibilité de cette critique ; puis dans le fait que la littérature comparée reprend un certain nombre des notions de cette critique sans les dissocier précisément des notions usuelles qui organisent les pratiques de la littérature comparée . Ces dichotomies et ces équivoques doivent être spécifiées de telle manière que puis- sent être définies des principes d'analyse qui permettent de caractériser des perspecti- ves qui échappent aux débats qui continuent de conditionner les pratiques comparatistes . 9 La première ambiguïte, tenir pour une histoire comparée des littératures sans dire ce que peut être une généralité de la littérature, ignore son présupposé même, qui est celui de la textualité et de la fonction, historique et transhistorique, de cette textuali- té . Il ne suffit pas ici d'invoquer Bakhtine et d'user, de façon non discriminante, de la notion d'intertextualité -où il y a quelque infidélite à la lettre des travaux de Bakhti- ne . Il ne suffit pas de dire l'écriture sous le signe d'une écriture générale- où il y a, de fait, une dissolution des notios d'écriture et de littérature . Il convient de considérer que l'hypothèse d'une genéralité de la littérature, parce qu'elle est indissociable d'une histoire de la littérature, équivant à supposer une autorité du discours de la littératu- re, du discours tenu ou reconnu pour littéraire . Dans cette perspective, la littérature ne peut se définir ni par les seuls moyens du formalisme, ni par ceux de la seule ana- lyse de l'intention littéraire, mais par ce qu'implique la supposition de l'autorité du discours de la littérature, du discours tenu ou reconnu pour littéraire. Supposer une telle autorité revient à marquer que la littérature, les littératures sont indissolublement leurs réalisations et leurs intentions, leur intention de littérature . Par cette autorité et parce qu'ils sont de l'histoire et simultanément tenus pour transhistoriques -cela même que fait entendre l'hypothèse de la généralité de la littérature-, la littérature, les littératures, ce qui est considéré comme ou reconnu pour littéraire, sont un exerci- ce de réponse, dans l'histoire, de l'histoire, qui est, à quelque degré, une indifférence à l'histoire . La seconde ambiguïté, dans la mesure où elle concerne les logiques et les pratiques de la critique contemporaine, illustre exemplairement un défaut de caractérisation de la dualité de l'énoncé et de l'énonciation, tel qu'il est mis en oeuvre, exemplifié par le dis- cours littéraire, tenu ou reconnu pour littéraire . Il suffit de marquer quelques paradoxes dans le jeu présent des références à la rhétorique . Ainsi, l'analyse des tropes, à laquelle procède la déconstruction, et les conséquences qu'elle en tire, reste marquée d'une am- bivalence essentielle : conclure à l'asémantisme et à l'insignifiant ignore le disposi- tif proprement énonciatif du discours, le jeu de l'énonciation et de l'énoncé, et revient à utiliser la référence à la rhétorique contre ce que celle-ci présuppose -les notions d'acte et d'agent' . Inversement, telle utilisation de la rhétorique fait droit aux notions d'acte et d'agent, mais, afin de dessiner une histoire littéraire de l'ironie, elle privilégie finalement thématisme et imaginaire, en d'autres termes, certaines configurations de l'énoncé z . - De la même manière, les grammaires narratives, les grammaires descriptives du récit passent le formalisme qu'elles supposent. On sait que Figure III de Gérard Genette compose logique énonciative, logique du récit et données rhétorique implicites 3 . On sait encore que telle analyse de l'intrigue est indissociable d'un thématisme -toute approche thématique suppose le jeu de l'intention et de l'énoncé' . De la même manière, les travaux issus de la pragmatique et qui renvoient une con- ception juridique du sujet du discours, conduisent à des parcours critiques qui peuvent être lus comme paradoxaux . W Iser, dans LActe de lectures, pour définir la lecture litté- raire, identifie le texte à une manière de sujet énonciatif -en d'autres termes, il le 1 Pour ce type de discussion, voir Gaytari Chakravorty Spivak, The Post-Colonial Critic. Interviews, Strategies, Dialogues. Edited by Sarah HARASYM, Londres, Routledge, 1990 . z Voir, par exemple, Ernst BEHLER, Irony andthe Discourse ofModernity, Seattle, University ofWas- hington Press, 1990 . 3 Pour une analyse de ce point, voirAlexander GELLEY,, oPremises for a Theory ofDescription)>, dans Fiction, Texte, Narratologie, Genre, édité par jean BESSIÈRE, Berne, Peter Lang, 1989, pp . 77-88 . 4 Wolfgang ISER, LActe de lecture, tr. fr., Bruxelles, Mardaga, 1985 . 5 Pour une illustration de ce glissement, voir Thomas PAVEL, The Poetics ofPlot : The Case English Renaissance Drama, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1985 . 1 0 conçoit comme le double du sujet énonciatif qu'est le lecteur. Puis, avec Das Fictive and das Imaginüre. Perspektiven literarischerAnthropologie 6 , il rapporte ce jeu énonciatif aux codes de la fiction et de l'imaginaire, ce qui suppose le privilège de l'énoncé, tel qu'il est lu dans les textes, tel que sa configuration générale se déduit des textes . La notation d'u- ne anthropologie littéraire reste ici sans véritable conséquence puisque la manière dont divers énoncés, ceux qui relèvent de la fiction, ceux qui relèvent de l'imaginaire, sont articulés, n'est pas explicitement rapportée à ce que suppose cette articulation -le jeu de l'énonciation et de l'énoncé . Cette manière d'oscillation, caractéristique de la critique contemporaine, traduit que cette critique ne peut se tenir à un de ses présupposés essentiels : la pratique littéri- re illustrerait le rapport que le sujet entretient avec le langage ; la littérature serait ce dis- cours qui choisirait d'exposer un tel rapport . Le privilège accordé à l'énonciation n'ex- clut pas que soit considéré, dans ce jeu littéraire, l'énoncé puisque, dans ce jeu littéraire, l'énonciation est un jeu avec l'énoncé . Reste en question la caractérisation d'un tel jeu. La seconde ambiguïte, dans la mesure où elle concerne certaines pratiques de la lit- térature comparée, appelle le constat d'un certain nombre de dichotomies critiques . Il suffit ainsi de dire celles des notions d'oeuvre et de texte, de procès créateur et d'écritu- re . Pour illustrer les partages critiques que suscitent ces dichotomies, il suffit de rappe- ler les débats sur ce que peuvent être les frontières de la littérature, des littératures, les débats sur discours ordinaire et discours littéraire . Pour indiquer que ces partages sont loin d'être clarifiés tant dans les travaux d'analyse que dans les travaux d'histoire litté- raire, il convient d'indiquer les échanges notionnels, qui sous l'influence des critiques contemporaines, ont largement contribué à occulter les conditions d'une comparaison des objets littéraires . Ainsi, la caractérisation essentiellement herméneutique et sociolo- gique de la notion de réception, devrait interdire que cette notion soit utilisée très lar- gement comme un substitut et comme une reprise de la notion d'influence. Ainsi les notions d'oeuvre, de structure formelle, de texte ne sont composables ou opposables que suivant des moyens précis et correspondent à autant de caractérisations possibles d'un même objet scripturaire ou littéraire . uploads/Litterature/ bessiere-j-litterature-comparee-et-critique-litteraire-contemporaine.pdf

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