EN QUOI L'ÉDUCATION AFFECTIVE ET SEXUELLE NOUS REGARDE-T- ELLE ? Florence Bécar
EN QUOI L'ÉDUCATION AFFECTIVE ET SEXUELLE NOUS REGARDE-T- ELLE ? Florence Bécar Érès | « Dialogue » 2008/4 n° 182 | pages 57 à 73 ISSN 0242-8962 ISBN 9782749209456 DOI 10.3917/dia.182.0057 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-dialogue-2008-4-page-57.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Elle oppose depuis toujours la tête, le cœur et les couilles. » Grand Corps Malade Midi 20 « Un baiser est toujours vertueux ; le mot qui parle du baiser est toujours impudique. » Sándor Márai Prélude Pourquoi se plaindre de la nécessité d’aller travailler ? Pourquoi geindre et renâcler d’avoir à gagner sa vie ? Que ferais-je sans cela ? Comment pour- rais-je m’en passer ? Où irais-je sans cet appui ? Cette occupation hebdoma- daire me force à échapper à moi-même, à m’évader de ma cellule étriquée, à sortir de, à aller vers, à me rendre disponible, à m’effacer, à accueillir. J’en suis là de mes réflexions matinales quand je me rends compte que je me trouve, bras ballants, au carrefour. Quel chemin prendre ce matin ? La ruelle en pente et la traversée de la résidence aux larges espaces de verdure ? La En quoi l’éducation affective et sexuelle nous regarde-t-elle ? FLORENCE BÉCAR © Érès | Téléchargé le 02/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 85.27.91.130) © Érès | Téléchargé le 02/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 85.27.91.130) Dialogue 182 58 piste non carrossable entre les deux parcs qui débouche sur l’école mater- nelle pleine de gaieté affichée aux fenêtres ? Le parc lui-même où les premiè- res jonquilles pointent leurs tiges entre les jeunes arbres plantés à l’arrivée d’un nouveau-né dans la commune ? Aujourd’hui, j’opte pour le parc. Traîner, flâner, regarder, lire les prénoms du troisième millénaire : Anaïs, Emma, Eva, Théa… et, plus loin : Maël, Gaël, Gabriel, Titouan… Errer, rêver, divaguer, se perdre dans l’allée des poètes : il est un air pour qui je donnerais… Mais où sont les rêves d’antan… Ce que vivent les roses… Dans le parc solitaire et glacé… Quel bon prétexte pour être en retard : « Pardonnez-moi, j’avais rendez-vous avec des poètes. » Longer la rivière, se prendre pour Narcisse, imiter les canards… Trêve de plaisanteries et de divagations ! Les élèves vont m’attendre ! Dépêche-toi un peu ! Accélère le pas ! Ces adolescents qui m’attendent chaque semaine ! Tu n’en as pas marre de répéter la même chose ? Es-tu sûre que ce que tu racontes les intéresse ? Retarder, faire patienter, suspendre le temps, pren- dre la mesure… S’imaginer, se rencontrer, se découvrir… Pas trop vite, ne pas se presser, trouver son rythme, garder le tempo… – Hé, madame ! Vous allez nous parler de quoi ? Je ne l’ai pas vu arriver. Il est venu me chercher. Il est noir comme, allez, soixante-dix… non, soixante-quinze pour cent de ses camarades du lycée professionnel. C’est direct comme entrée en matière ! Ça me va bien ! Idéal pour sortir de la rêverie : – Je vous propose d’attendre d’avoir rejoint vos camarades pour en parler… D’accord ? – Venez, ils vous attendent. – En quelle classe allons-nous ? – En 215. Il me précède dans les escaliers. Les adolescents du troisième millénaire, à quoi ressemblent-ils ? Gigantesques pantalons en accordéon tombant sur des baskets bariolées, dorées, argentées, fluo. Petit haut effleurant un nom- bril percé d’une boucle, d’un anneau, d’un pendant, d’une plume. Coiffure savante découpée en lignes parallèles et nattée en quadrillage géométrique, agrémentée d’une nuée de clips, barrettes, nœuds, étoiles, fleurs, boutons, pastilles. Regards francs et directs face à l’adulte que l’on peut regarder sans terreur ni soumission. Paroles assumées dans la dignité d’être soi. Corps tenu derrière l’habillage. Maquillage guerrier, boucliers modernes : portable, MP3, visiophone. Estime de soi malgré la mauvaise presse. © Érès | Téléchargé le 02/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 85.27.91.130) © Érès | Téléchargé le 02/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 85.27.91.130) En quoi l’éducation affective et sexuelle nous regarde-t-elle ? 59 Je suis bousculée au milieu de cette tribu bigarrée. Quelqu’un bredouille un « excusez-moi, madame ». Je titube un peu. Une fenêtre renvoie mon image. Autrefois… Combien d’adultes à nous tenir en considération au même âge ? Combien d’échanges vrais, d’égal à égal, sans maquillage, sans forfanterie ni faux semblant ? Aucun… La fuite idéale, le moment rêvé : la grève. On partait main dans la main au bord du canal, dans les champs au-delà des quartiers surgis de terre, dans le bois revisité par l’amour. Trente ans après… Les mêmes adolescents sous l’habit de parade, la même adolescente en sabots, tunique au vent. Chaque semaine, j’ai rendez-vous avec mon adolescence. Celle que les adultes ont manquée… Pas tous. Un, comme moi venu d’un autre univers, entrait chaque semaine à l’heure du déjeuner pour ouvrir une parole, décrocher les mots que les professeurs avaient juchés haut, loin ou en dehors de nous. Des mots si étrangers, sans lien avec notre monde intérieur, qu’ils restaient fermés, prisonniers, inacces- sibles. Ou bien était-ce le fait de nous-mêmes, exilés des mots comme d’une terre lointaine et perdue et pas certains de pouvoir la reconquérir ? Lui… il arrivait avec ses mots. Il disait : – Tu ne comprends pas… tant mieux ! Formule qui nous ravissait, agaçait, rendait perplexes et ajoutait à la confu- sion juvénile. Lui, ne nous gavait pas. Il gardait une place. Se rappeler les paroles, les silences. Surtout les silences… comme un horizon ensoleillé où la pensée peut s’étendre. Se rappeler les attitudes aussi. Le pied de nez au professeur agrégé confit de savoir et d’éloquence qui ne supportait pas cette ouverture autre et peu aca- démique à ses yeux. Professeur qui, un beau matin, fut dénoncé par sa propre fille… Professeur qui violait l’intimité de notre pensée tâtonnante. Notre pensée… Quête insatiable du sens à trouver, recherche éperdue de notre vérité. Celui qui était devenu notre ami se tenait là, dans l’école et en même temps en dehors. Dans un espace sans contrôle ni attentes anticipées, sans jugement ni souci de résultats, mais dans l’intact et pur souci de n’être que soi. C’est mon tour maintenant. Y aller, être, oser, convoquer l’intérieur, laisser son accoutrement au vestiaire, magasin d’accessoires d’un siècle périmé, aller à la rencontre du bruissement de chacun et orchestrer la partition où chaque voix affirmera la sienne en s’appuyant sur celle de l’autre pour s’ap- proprier ses propres mots. © Érès | Téléchargé le 02/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 85.27.91.130) © Érès | Téléchargé le 02/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 85.27.91.130) Dialogue 182 60 Entrer, disposer les chaises en cercle, se présenter. Débuter. À chaque fois. Pourquoi me plaindre ? Pourquoi renâcler ? Comment me passerais-je de cette échappée où, croyant échapper à moi-même, c’est avec moi que j’ai rendez-vous chaque semaine ? Moi, et une autre moi-même, diffractée en des dizaines de visages maquillés et ouverts, occupés et disponibles, étrangers et familiers, lointains et cependant si proches. Inexorablement. La construction d’un échange avec les adolescents En quoi l’éducation à la sexualité nous concerne-t-elle ? Selon la dernière circulaire ministérielle (17 février 2003), l’un des objectifs de « l’éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées » est de donner aux enfants et aux adolescents « les moyens de s’approprier pro- gressivement les données essentielles de leur développement sexuel et affectif et leur permettre notamment de mieux analyser et appréhender les multiples messages médiatiques et sociaux qui les assaillent quotidiennement ». Il s’agit de partir de leurs représentations et acquis et d’apporter « informations objectives » et « connaissances scientifiques » susceptibles de leur faire com- prendre les différentes dimensions de la sexualité et de susciter chez eux une réflexion favorisant le développement d’attitudes de responsabilité. Au-delà de ces apports, c’est davantage la question de la construction de la relation à l’autre qui me guide dans ces rencontres. Comment chaque être humain construit-il sa relation à l’autre dès sa venue au monde ? Comment, le temps de l’adolescence venu, « déconstruire » cette relation uploads/Litterature/ dia-182-0057.pdf
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- Publié le Mai 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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