Aspects de la maternit´ e chez Hildegarde de Bingen Laurence Moulinier To cite
Aspects de la maternit´ e chez Hildegarde de Bingen Laurence Moulinier To cite this version: Laurence Moulinier. Aspects de la maternit´ e chez Hildegarde de Bingen. Aspects singuliers de la maternit´ e selon Hildegarde de Bingen (1098-1179), Nov 2005, Lausanne, Suisse. SISMEL, pp.215-234, 2009, Micrologus. Natura, Scienze e Societ` a Medievali. Nature, Sciences and medieval Societies, XVII. <halshs-00974340> HAL Id: halshs-00974340 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00974340 Submitted on 6 Apr 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. 1 Laurence Moulinier Aspects de la maternité selon Hildegarde de Bingen (1098-1179) La correspondance de Hildegarde de Bingen montre qu’elle était créditée d’une compréhension particulière des maux féminins. Elle reçut ainsi une lettre d’abbés cisterciens de Bourgogne pour savoir si Béatrice, épouse de Frédéric Barberousse, aurait des enfants1, mais d’autres femmes lui écrivirent directement, telle une certaine Sibylle « de Lausanne » affligée d’un flux de sang, qui reçut deux réponses de Hildegarde. Dans la première, elle recommandait à cette matrona d’appliquer sur son ventre, probablement sous forme de phylactère, une formule de conjuration qui fut reproduite tant par les hagiographes de la nonne que dans certains manuscrits médicaux2, et Lausanne joua donc dès l’origine un rôle dans la fama de Hildegarde… Quoi qu’il en soit, l’œuvre médicale qui lui est attribuée, en particulier le Cause et cure, se signale par la place faite au corps féminin, à ses maladies, à son cycle, comme à l’accouchement et à ses douleurs3, qu’elle cherche à soulager par différents remèdes4. Le sujet lui tenait à cœur et elle l’évoque aussi dans ses livres visionnaires, principalement le Scivias et le Livre des œuvres divines. C’est donc l’ensemble de ses écrits, où physiologie et exégèse vont souvent de concert, que l’on peut questionner sur les motifs du corps maternel et de la reproduction : au Moyen Age, la sexualité relève somme toute autant de la médecine que de la théologie, et Hildegarde fut versée dans ces deux domaines. Nous tâcherons ici de respecter cet entrelacement, et de montrer en quoi ses vues à propos de la maternité tout à la fois s’inscrivent dans une tradition et s’en démarquent, en nous penchant sur trois principaux thèmes, le rôle de la mère dans la conception, la sexualité féminine, et la fertilité. Cause et cure est un ouvrage composite, mais son arrière-plan médical est indiscutable, et l’on peut trouver des parallèles même pour ses idées les plus surprenantes, comme celle 1 Cf. Hildegardis Bingensis Epistolarium, éd. L. van Acker, M. Klaes, 3 vol., Turnhout 1991-2001, Ep. LXX, 152-54. 2 Ibidem, Ep. CCCXXXVIII, IIIa pars, 95 (« Hec autem verba circa pectus et circa umbilicum tuum pone in nomine illius, qui omnia recte dispensat : "In sanguine Ade orta est mors, in sanguine Christi mors retenta est. In eodem sanguine impero tibi, o sanguine, ut fluxum tuum contineas“ »). Cf. Vita sancte Hildegardis, éd. M. Klaes, Turnhout 1993, III, X, 51. Le manuscrit Pal. lat. 1254, conservé à la Bibliothèque Vaticane et copié vers 1400 en Allemagne du Sud, la transmet ainsi, fol. 112v, parmi d'autres formules contre le flux de sang. 3 Cf. Beate Hildegardis Cause et cure (désormais CC), éd. L. Moulinier, Berlin 2003, 144 (où il est question de terror et tremor de la parturiente) et 148-149, qui évoque notamment la possible mort du bébé. 4 Y compris des procédés magiques ou reposant sur la croyance à une sympathie universelle ; voir par exemple, dans sa Physica alias Liber subtilitatum naturarum creaturarum (PL 197, 1125-1352), les bienfaits du jaspe pour l’accouchée et le nouveau-né (IV,11), ou les remèdes à base de sang et de patte de grue (VI, 4) ou de cœur de lion (VII, 3) censés faciliter le travail. 2 d’un crâne féminin différent, « divisé »5. Toutefois la question des sources de Hildegarde, qui ne cite personne, reçoit rarement des réponses entièrement convaincantes ; sa pensée ne peut être ramenée à la seule littérature médicale antérieure, et paraît même souvent irréductible. En ce qui concerne notamment les limites de la fertilité et la longévité féminine, le Cause et cure fait ainsi figure d’oiseau rare et suscite encore mainte interrogation. La part féminine de la conception La question du rôle de la femme dans la conception fit l'objet d'un long débat6 dans lequel il n’est pas aisé de situer Hildegarde, car elle semble osciller entre la théorie de la double semence, qui affirmait la participation d’un sperme féminin dans la génération, et la position aristotélicienne niant l’existence d’une semence féminine. « Hommes et femmes ont dans leur corps une semence humaine d'où est issue toute l'espèce ", écrit-elle par exemple dans le Scivias7, tandis que le Cause et cure explique la formation de l'embryon par le mélange de la semence masculine et de l'écume féminine et réserve à l’homme l'emploi du terme semen8, défini comme « une écume émise par le sang lorsqu'il bouillonne de désir »9, la femme n’ayant pour sa part qu’une spuma ténue10, qu'elle libère dans le plaisir. Dans un autre passage du même traité, toutefois, la femme se voit attribuer une spuma seminis — « plus rarement émise et en moindre quantité que celle de l'homme »11 — et même un semen, lorsqu'il est dit que « les hommes fertiles, s'ils s'abstiennent du commerce des femmes, en sont un peu affaiblis, mais moins que les femmes, car ils émettent plus de semence qu’elles » .12 Le texte rejoint donc ici au contraire la pensée de Galien, qui attribuait à la semence féminine une vertu générative, tout en considérant qu’elle n'approchait pas en qualité celle du mâle.13 Mais en réalité, l’explication donnée par Hildegarde est moins médicale que théologique : si la femme a une émission séminale moins blanche et plus ténue, c'est qu’elle est née de la chair de l'homme, alors que ce dernier 5 Voir CC, 94 (« diuisum caput habet »), 107, et 125-26 . On me permettra de renvoyer à ce sujet à L. Moulinier, Le manuscrit perdu à Strasbourg, Paris-Saint-Denis 1995, cap. VI, et « Conception et corps féminin selon Hildegarde de Bingen », Storia delle donne, 1 (2005), 139-57. 6 Voir à ce sujet Cl. Thomasset, « Médecine et sexualité : force et faiblesse de l'explication scientifique médiévale », in Le Moyen Age et la science. Approche de quelques disciplines et personnalités scientifiques médiévales, éd. B. Ribémont, Paris 1991, 173-87, 178. 7 Cf. Hildegardis Bingensis Scivias, I, 4, cap. 13, éd. A. Führkötter, A. Carlevaris, Turnhout 1978, 2 vols (43 et 43A), t. 43, 75 : « homines, tam uiri quam mulieres, in corporibus suis humanum semen habentes, de quo genus diuersorum populorum procreatur ». 8 CC, 93-94. 9 CC, 59 : « Nam sanguis hominis in ardore et calore libidinis feruens spumam de se eicit, quod nos semen dicimus ». 10 CC, 96. 11 CC, 114-15 : « spuma seminis ab ea rarius quam a uiro ejicitur ». 12 CC, 115. 13 Cf. D. Jacquart, Cl. Thomasset, Sexualité et savoir médical, Paris 1985, 86. 3 réunit les forces de la chair et de la terre, sa lointaine origine14, comme il est dit dans le Liber divinorum operum et en maint endroit de sa correspondance. En d'autres termes, la tenuis et parva spuma ne signifie pas l’infériorité de la femme dans la procréation, mais rappelle qu'elle fut un deuxième acte dans la création de l'être humain — ce que Hildegarde tourne en sa faveur en affirmant par exemple que l’homme a besoin de la femme pour cacher sa nudité : elle le couvre « grâce à l’œuvre de sa science », car elle a été formée de chair et de sang, contrairement à l’homme qui fut d’abord limon ; et c’est pourquoi « dans sa nudité il lève le regard vers la femme, pour qu’elle le couvre », écrit-elle, en faisant allusion aux compétences de fileuse traditionnellement reconnues aux femmes15. Somme toute, Hildegarde ne prend donc aucune position nette quant à l'existence d'une semence féminine16 : comme l’a montré Danielle Jacquart, si elle intègre à sa réflexion des notions communes aux auteurs médicaux de l'époque17, elle les reformule pour se démarquer du savoir humain, et son usage sui generis de la terminologie médicale paraît lié à un souci de spiritualisation. A ses yeux, la Chute a eu un impact jusque sur le mode de reproduction de l'homme et de la femme18, et dans la perspective de l'histoire du salut, les rôles respectifs de la semence féminine ou masculine s'effacent devant le critère de la force de l'amour, comme nous allons le voir. Voilà probablement pourquoi, à propos du « uploads/Litterature/ aspects-de-la-maternite-chez-hildegarde-de-bingen 1 .pdf
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- Publié le Oct 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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