L’EXERCICE DE L’ÉCRITURE Par Anne CHAMPION et Jean-Bernard ALLARDI Les ateliers

L’EXERCICE DE L’ÉCRITURE Par Anne CHAMPION et Jean-Bernard ALLARDI Les ateliers d’écriture Il y a fort à parier que de nombreux animateurs d’ateliers d’écriture, dont les démarches sont proches des nôtres, se demanderont ce que vient faire un article sur les ateliers d ’écriture dans un numéro sur l’exer- c i c e ? N’y a-t-il pas une contradiction de principe entre ces deux déno- minations, qui renvoient à deux représentations de l’activité scolaire très différentes ? L’atelier d’écriture peut-il d’ailleurs être ramené à une acti- vité “scolaire” ? Certains de ses adeptes ne seront pas loin de voir dans ce rapprochement une provocation, tant les pratiques d’atelier, telles que nous les concevons, proposent justement des activités d’écriture qui sont absentes actuellement de la pratique scolaire courante, absentes également du nécessaire mouvement de réflexion didactique et pédagogique qui depuis quelques années tente de doter notre disci- pline (le français, les lettres ?) de référentiels d’objectifs, de rationaliser l’apprentissage des notions, des méthodes, et leur évaluation. Dans l’examen de ces divers processus, l’exercice, lui, tient une place de choix, la place parfois la plus gourmande en temps dans l’économie de la classe. Justement, et bien que conscient des enjeux de ces problématiques cruciales, l’enseignant animateur d’un atelier d’écriture tel que nous le concevons1, choisit délibérément de s’en écarter et propose aux élèves une autre voie pour s’exercer. Car, dans un atelier, l ’écriture doit être vécue par les participants comme un apprentissage artisanal, un entraî- nement (à tous les sens du terme), une expérience. Ce ne sont plus des élèves qui constituent le groupe, mais des apprentis, prêts à se frotter à une praxis socialisée ayant pour objectif la maîtrise de l a langue, à tra- vers la construction de leur propre langue, à éprouver donc les joies de l’expression, sur le mode littéraire, mais en toute sécurité puisque les enjeux sont clairement définis et que l’évaluation au sens scolaire en est absente. L’atelier d’écriture au collège et au lycée se situe donc à la fois dans le champ de la discipline et en dehors. Il ne concurrence pas les exercices 1. Nous nous inspirons très largement des principes définis par A. André, directeur de l’Aleph. traditionnels puisqu’il est ailleurs, proposant une autre voie d’appren- tissage plus pratique, plus synthétique, plus directe. Il ne méconnaît cependant pas les notions issues des transpositions de savoirs linguis- tiques et littéraires qui ont enrichi notre discipline. Il peut, par exemple, mettre en place des compétences concernant les genres littéraires, et même des genres très “pointus” comme ceux que ressuscite le précieux livre d’A. Duchesne et T. Legay , Les petits papiers (Magnard, 1991) : l’aphorisme, la célébration, le haïku, l’anamnèse, le limerick ou le ru- baiyat... Pour produire à son tour l’une de ces formes brèves, l’élève devra en passer par une théorisation parfois toute intuitive qui ne retiendra que les éléments nécessaires au projet immédiat d’écriture. Le genre sera néanmoins cerné et, dans une rencontre ultérieure, sa lecture en sera facilitée. Ceci est valable évidemment pour des genres majeurs comme la nouvelle ; la suite de cet article le montrera. Enfin, l’atelier d’écriture est le lieu de travail de l’écriture qui prend le mieux en compte l’enjeu discursif de toute production langagière. Rappelons que les nouvelles Instructions du collège opèrent à ce titre une révolution dont on n’a sans doute pas encore mesuré partout l’ambi- tion. La maîtrise des discours est désormais au cœur de l’apprentissage du français. Les formes de discours y sont définies comme des visées sémantiques et pragmatiques, et les pratiques langagières ne peuvent plus être étudiées que dans le cadre de situations de communication formalisées : décrire, raconter, argumenter, expliquer. Rappelons ici que c’est la notion d’« écriture partagée » qui, selon A. André 2, constitue l’atelier d’écriture comme tel. Tout texte produit en atelier a vocation d’être lu ou, au minimum, entendu par les membres du groupe. Cette socialisation des écrits a des conséquences décisives, puisqu’elle oblige à la prise en compte du premier destinataire du texte, présent physi- quement sur la scène de l’écriture, et qui en matérialise l’enjeu. L’atelier d’écriture offre donc une situation de communication très lisible pour l’écrivant. Tous les jeux sur l’énonciation sont alors permis, puisque l’élève est mis dans la posture d’un auteur et qu’il peut comme tel expé- rimenter des voix diverses, se cacher derrière des narrateurs variés, mentir et juger des effets de ces jeux énonciatifs en écoutant les textes des autres. En outre, la lecture orale des textes devant le groupe est un stimulant qui favorise la réécriture. C’est pourquoi nous pensons que, dans l’atelier d’écriture, les élèves ne font pas des exercices, mais d e l’exercice. Ils ne répondent pas à des c o n s i g n e s et ne seront pas notés, mais ils s’exerc e n t à l’écriture. Et si cela im- plique de leur part de la patience, de la persévérance et du désir, cela exige de la part de l’animateur des compétences et donc une formation. 84 Le Français aujourd’hui n° 118, « Passons aux exercices » 2. Fondateur de l’Aleph, association qui propose des stages d’écriture personnelle, litté- raire et professionnelle, A. André est également l’auteur de Babel heure u s e (Syros, 1989), ou- vrage qui fonde sa méthode et sa conception des ateliers d’écriture « au service de la créa- tion littéraire... » Cela exige en fait que l’animateur ait lui-même fait l’exercice de l’écriture, du mode d’écriture qu’il propose, et qu’il en ait éprouvé les difficultés et les plaisirs3. Il est impossible, dans un article de ce format, de rendre par une approche théorique la richesse du travail produit dans un cadre diffé- rent. Nous proposons donc l’analyse d’une pratique, plus propre d’ailleurs à justifier le statut d’exercice de l’écriture que le titre prétend lui donner. Il s’agit d’un atelier d’écriture animé par A. Champion au lycée Charlemagne à Paris durant les années 1996 et 1997. Un atelier d’écriture de la nouvelle au lycée Ce descriptif de l’atelier d’écriture se propose de mettre en évidence, d’une part comment il est le lieu d’expression du moi à travers une expérience singulière et collective et d’autre part comment il est un lieu d’appropriation de la culture littéraire. Il s’agit d’une description, forcé- ment succincte, d’un atelier qui a fonctionné durant deux années sco- laires, et dont la richesse ne peut donc être saisie que partiellement. Chaque année, un groupe de quinze élèves y a participé, ce qui est un maximum. Les séances de deux heures avaient lieu hors temps scolaire. Oser écrire autrement : l’écriture comme ex p ression du sujet Disons tout d’abord que l’écriture en atelier est une expérience au cours de laquelle le sujet se constitue dans une démarche créative et sin- gulière qui entraîne une prise de risque : celle-ci doit pouvoir se faire dans un espace de sécurité4 et de liberté dont les animateurs sont garants. Le texte écrit par chaque participant est oralisé, leur parole est reçue et partagée, et c’est peut-être la première fois que certains ren- contrent un public. Le premier dispositif qui caractérise la première phase de l’atelier, c’est-à-dire les six premières séances de deux heures, va permettre à chacun(e) d’expérimenter une situation différente de la rédaction, seul lieu connu d’écriture littéraire pour la plupart des participants, et lieu comme on le sait très contraint. Cette première phase est un temps d’exploration : les propositions d’écriture formulées à ce stade visent à explorer les différents territoires définis par G. Perec dans l’introduction de Penser/Classer 5, définition re- prise et formalisée par A. André6. G. Perec définit ainsi ces territoires : 3. Il existe un certain nombre de stages de formation à l’animation d’ateliers dans le cadre scolaire, notamment dans les MAFPEN. Nous en animons pour notre part à la MAFPEN de Paris, dans lesquels nous faisons écrire nos collègues. 4. Rappelons à ce sujet que cet espace de sécurité, Ph. Meirieu en fait, dans son dernier ou- vrage (Frankenstein pédagog u e, ESF, 1997) une des conditions premières de tout apprentis- sage. 5. Hachette, 1985. 6. Op. cit. L’exercice de l’écriture 85 « [...] les livres que j’ai écrits se rattachent à quatre champs différents, quatre modes d’interrogation qui posent peut être en fin de compte la même question, mais la posent selon des perspectives particulières cor- respondant chaque fois pour moi à un autre type de travail littéraire. » (p. 10) Il définit ensuite ces quatre champs par les termes suivants : le quoti- dien (ou champ sociologique), l’autobiographie, le romanesque et les jeux oulipiens. A. André, au prix d’une formalisation très féconde pour la pratique des ateliers, propose quatre domaines d’investigation litté- raire qu’il nomme « territoires », et rebaptise respectivement « le m o n d e, le m o i, l’imaginaire et la form e (le langage ) ». Cette notion de « territoires » va permettre aux élèves d’expérimenter des pratiques variées, tant au niveau des thèmes qu’à celui des compétences : la description uploads/Litterature/ atelier-de-ecriture.pdf

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