Revue d'histoire des sciences Le ciel des fixes et ses représentations en Grèce

Revue d'histoire des sciences Le ciel des fixes et ses représentations en Grèce ancienne Mme Germaine Aujac Résumé RÉSUMÉ. — Le groupement des étoiles fixes en constellations représentant des animaux ou des personnages mythologiques était en Grèce ancienne un moyen de repérer avec grande précision les étoiles dans le ciel. Nous avons conservé le nom des constellations hérité des Grecs ; en revanche pour les étoiles elles-mêmes, c'est souvent la traduction arabe du grec qui a prévalu. Abstract SUMMARY. — The grouping of the fixed stars into constellations representing animals and mythological figures was in Ancient Greece the means of accurately placing the stars in the sky. We still use the Greek names for the main constellations ; but for the stars themselves, we often use the Arabic translation of the Greek words. Citer ce document / Cite this document : Aujac Germaine. Le ciel des fixes et ses représentations en Grèce ancienne. In: Revue d'histoire des sciences, tome 29, n°4, 1976. pp. 289-307; doi : 10.3406/rhs.1976.1427 http://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1976_num_29_4_1427 Document généré le 18/05/2016 REV. HIST. SCI. 1976-XXIX/4 Le ciel des fixes et ses représentations en Grèce ancienne RÉSUMÉ. — Le groupement des étoiles fixes en constellations représentant des animaux ou des personnages mythologiques était en Grèce ancienne un moyen de repérer avec grande précision les étoiles dans le ciel. Nous avons conservé le nom des constellations hérité des Grecs ; en revanche pour les étoiles elles-mêmes, c'est souvent la traduction arabe du grec qui a prévalu. SUMMARY. — The grouping of the fixed stars into constellations representing animals and mythological figures was in Ancient Greece the means of accurately placing the stars in the sky. We still use the Greek names for the main constellations ; but for the stars themselves, we often use the Arabic translation of the Greek words. Quiconque de nos jours aime à regarder le ciel étoile se plaît à y reconnaître, au hasard des saisons, les constellations familières : Orion avec le Baudrier et l'Epée, le Grand Chien avec son étoile brillante Sirius, le Cocher avec Capella-La Chèvre, Pégase, les Ourses, Grande et Petite, le Cygne, la Lyre où brille Véga, etc. Les figures géométriques correspondant à ces constellations, celles qu'il a vues sur des cartes du ciel ou celles qu'il préfère imaginer pour son propre compte, le carré de Pégase, la croix du Cygne, le losange du Dauphin, les deux triangles opposés par la base (ou le cerf -volant) du Bouvier, le W ou le M de Cassiopée, etc., sont, pour lui, fort aisées à repérer dans le ciel, quelle que soit leur position. Mais qui saurait aujourd'hui dessiner dans le ciel, à l'aide des étoiles qui forment ces constellations, les personnages ou les animaux dont les noms nous sont si familiers ? Qui reconnaît en Céphée le roi d'Ethiopie, en Cassiopée sa femme, assise sur son trône, en Andromède leur fille, livrée au Monstre marin (notre Baleine) et délivrée par Persée, victorieux déjà de la Méduse dont il a coupé l'horrible tête ; ou encore en Orion le chasseur géant qui, brandissant sa massue dans la main droite et la dépouille d'un lion dans la main gauche, poursuit inlassablement les Pléiades, suivi de son Chien ? т. xxix. — 1976 19 290 GERMAINE AUJAC Si pourtant les noms ont subsisté, même vidés de la majeure part de leur contenu, c'est fort probablement que ce contenu fut un jour riche et solide. Pour en juger, nous disposons de peu de textes, mais ils sont suffisamment éloquents pour que nous puissions nous faire une idée précise de la manière dont les Grecs (puisque c'est d'eux que nous avons hérité la plupart des noms de constellations) se représentaient le ciel, partant, de la connaissance qu'ils en avaient et du but qu'ils poursuivaient en peuplant ainsi la voûte céleste de personnages et d'animaux étranges. Les textes qui nous restent sont essentiellement : 1) les Phénomènes, du poète Aratos (1), simple mise en vers (et par quelqu'un qui n'avait rien d'un astronome, précise méchamment Cicéron) d'un traité d'astronomie portant le même titre, œuvre du mathématicien et astronome Eudoxe de Cnide ; 2) le Commentaire aux Phénomènes ď Aratos et ď Eudoxe, établi par l'astronome Hipparque (2) qui, à la critique du poème d'Aratos et de sa source, adjoint un tableau des levers et couchers simultanés par constellation, et un relevé des étoiles qui permettent de repérer dans le ciel les vingt-quatre cercles horaires ; 3) la Syntaxe mathématique de Ptolémée (3), dont les livres VI et VII sont consacrés au catalogue des constellations, avec, pour chaque étoile, l'indication des coordonnées écliptiques et de la magnitude relative. (1) Aratos a composé les Phénomènes à la demande du roi de Macédoine Antigone Gonatas à la cour de qui il séjournait, vers 270 avant J.-C. Ce poème est donc postérieur d'un siècle environ aux traités d'Eudoxe sur lesquels il s'appuie. Eudoxe de Cnide (c. 408-355), élève de Platon, avait enseigné l'astronomie à Cyzique avant de venir s'installer à Athènes ; il est l'auteur célèbre de l'hypothèse des sphères homocentriques pour expliquer le mouvement propre des planètes. Pour Aratos, le texte de référence est Arati Phaenomena, éd. et trad, par J. Martin, Florence, 1956 (la traduction des divers passages d'Aratos présentée dans cet article s'inspire souvent de celle de J. Martin). Pour Eudoxe, cf. Die Fragmente des Eudoxos von Cnidos, éd. F. Lasserre, Berlin, 1966. (2) On considère généralement que ce commentaire est une œuvre de jeunesse d'Hipparque (né vers 190 avant J.-C. à Nicée en Bithynie) ; il n'y est jamais fait mention de la précession des equinoxes, découverte ultérieurement, sans doute, mais qui, de toute manière, n'aurait pas modifié sensiblement les développements d'Hipparque. Pour Hipparque, le texte de référence est : Hipparchi, In Arati et Eudoxi Phaenomena commentariorum libri très, rec. C. Manitius, Leipzig, 1894. (3) Ed. J. L. Heiberg, Leipzig, 1898-1903. REPRÉSENTATION DU CIEL DES FIXES EN GRECE ANCIENNE 291 I. — Un exemple : la tête du Dragon Le plus lu de ces textes est incontestablement, de nos jours comme dans l'Antiquité (les Phénomènes ont été traduits plusieurs fois en latin, et par des personnages aussi illustres que Cicéron ou Germanicus), le poème d'Aratos. Aussi aurait-on facilement tendance à mettre au compte de la fantaisie poétique des descriptions d'animaux ou de personnages qui, en fait, donnaient des indications parfaitement précises et totalement dépourvues d'ambiguïté pour le lecteur averti. L'un de ces lecteurs avertis fut le grand astronome Hipparque qui, loin de traiter le poème d'Aratos comme une œuvre futile, lui consacra une longue exégèse, fort instructive pour nous. Prenons un exemple. Après avoir décrit le Dragon, qui serpente entre les Ourses, Aratos poursuit (v. 55 à 62) : « Sur la tête du Dragon, brillent plusieurs étoiles : Deux aux tempes, deux aux yeux ; un peu plus loin, une dernière Indique, sur le monstre, l'extrémité de la mâchoire. La tête est inclinée : on dirait bien qu'elle regarde Le bout de la queue d'Helicé [= la Grande Ourse] ; sont alignées Sa gueule, sa tempe à droite (4), et l'extrémité de cette queue ; La tête du Dragon va frôler l'Océan (5) au point où Les levers et les couchers confondent leurs limites. » Les cinq étoiles du Dragon ici désignées sont, dans la nomenclature actuelle, ^ et y (ou Grumium et Etamin) pour les deux étoiles aux tempes, v et (3 (ou Alwald et Kuma) pour les deux aux yeux, et [l (Arrakis) pour l'étoile à l'extrémité de la mâchoire. (4) L'expression grecque хротафою та 8e£ià (littéralement : les parties droites de la tempe) est amphibologique, d'où la discussion d'Hipparque. En effet, Aratos vient de parler des deux tempes, matérialisées par deux étoiles, et donc il est normal de comprendre ici « la tempe droite », comme le font Hipparque, qui y voit une erreur de vocabulaire, et Attalos, qui l'explique par une certaine position de la tête (ni l'un ni l'autre ne mettent en doute le bien-fondé de l'alignement considéré ; seul le vocabulaire est en cause). J'ai préféré pour ma part traduire par une expression plus vague, qui laisse place au doute, comme le fait le grec correspondant. (5) L'Océan ici désigne l'horizon (Aratos veut sans doute imiter Homère qui dit également de la Grande Ourse que « seule elle n'a point de part aux bains dans l'Océan »); le point « où les levers et les couchers confondent leurs limites » est le point de tangence sur l'horizon du plus grand des cercles toujours visibles. Donc, pour Aratos, la tête du Dragon est située juste à la limite du cercle arctique ou cercle des étoiles toujours visibles. Ce cercle est relatif à une latitude donnée : sa distance au pôle est égale à la latitude du lieu. 292 GERMAINE AUJAC La signification rigoureuse qu'il convient de donner à ce passage est confirmée par le commentaire d'Hipparque (1, 4, 2-8). D'une part il précise que « ce n'est pas la tempe droite » [ c'est ainsi qu'il interprète l'expression, d'ailleurs peu claire, que j'ai traduite uploads/Litterature/ aujac-le-ciel-des-fixes-et-ses-representations-en-grece-ancienne.pdf

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