AVENTURES ET MÉSAVENTURE DE L’ÉCRITURE. À PROPOS DE L’INTERPRÉTATION DE LA NAIS

AVENTURES ET MÉSAVENTURE DE L’ÉCRITURE. À PROPOS DE L’INTERPRÉTATION DE LA NAISSANCE DE L’ÉCRITURE EN MÉSOPOTAMIE ADVENTURES AND MISADVENTURES OF THE WRITING. ON THE INTERPRETATION OF THE BIRTH OF WRITING IN MESOPOTAMIA (Aventuras e Desventuras da Escrita. A propósito da intepretação do nascimento da escrita na Mesopotâmia) Luc Bachelot Vol. XIV | n°28 | 2017 | ISSN 2316 8412 Aventures et mésaventure de l’écriture. À propos de l’interprétation de la naissance de l’écriture en Mésopotamie. Luc Bachelot1 Résumé: L’apparition de l’écriture, pour la première fois dans le monde, en Mésopotamie à la fin du quatrième millénaire av. J.-C., fut et reste perçue comme une véritable révolution, comme la manifestation d’un saut qualitatif de la civilisation d’autant plus spectaculaire qu’il était imprévisible. Telle est notre perception occidentale, répétée au fil des siècles depuis l’antiquité grecque, mais qui n’est pas universelle. L’Extrême-Orient a une tout autre conception de l’écriture. L’examen attentif des faits, tout comme l’abondante littérature qu’ils ont suscitée, incite à se demander si la véritable aventure de l’écriture ne fut pas en vérité la mésaventure que constitue cette historiographie maintenant millénaire qui n’a cessé de générer une suite quasi ininterrompue d’études, de discours, de mythes et d’histoires visant à décrire son origine. Nous tenterons d’emprunter les issues qui en elle permettent, une sortie de cette mésaventure. Issues que constituent les travaux de Leroi-Gourhan, Derrida et A.-M. Christin, ainsi que les avancées récentes de la neuro-physiologie, celles de G. Rizzolatti notamment. L’écriture comme la parole est une manifestation de l’activité symbolique sans que la première soit nécessairement soumise à la seconde. La relation de l’une à l’autre n’est pas verticale, mais horizontale. L’écriture apparaît donc, quand un champ notionnel est suffisamment élaboré pour être exprimé par un moyen autre que celui de la langue. Most Clés: Écriture ; Mésopotamie ; Langue ; Cunéiforme ; Sumérien ; Akkadien. Resumo: A aparição da escrita, pela primeira vez no mundo, na Mesopotâmia no final do quarto milênio antes de Cristo, foi e continua sendo percebida como uma verdadeira revolução, como a manifestação de um salto qualitativo da civilização tão espetacular quanto imprevisível. Esta é a nossa percepção ocidental, repetida ao longo dos séculos desde a Antiguidade grega, mas que não é universal. O Extremo Oriente tem uma concepção de escrita bem diferente. O exame atento dos fatos, assim como a abundância literária que suscitaram, incita a nos perguntarmos se a verdadeira aventura da escrita não foi na verdade uma desventura, que constitui essa historiografia agora milenar que não cessou de gerar uma sequência quase ininterrupta de estudos, discursos, mitos e histórias visando a descrever a sua origem. Vamos tentar tomar emprestadas questões que permitem uma saída desta desventura. Trata-se de questões que fazem parte dos trabalhos de Leroi-Gourhan, Derrida e A.-M. Christin, assim como dos avanços recentes da neuro- fisiologia, notadamente aqueles realizados por G. Rizzolatti. A escrita, assim como a palavra, é uma manifestação da atividade simbólica sem que a primeira esteja necesariamente submetida à segunda. A relação entre uma e outra não é vertical, mas horizontal. A escrita aparece então quando um campo de noções está suficientemente elaborado para poder ser exprimido por um outro meio que não aquele da língua. Palavras-Chave: Escrita; Mesopotâmia; Língua; Cuneiforme; Sumério; Acadiano. Abstract: For the first time in the world, the appearance of writing in Mesopotamia at the end of the fourth millennium BC was and continues to be perceived as a true revolution, as the manifestation of a qualitative leap of civilization, so spectacular and unpredictable. This is our Western perception, repeated over the centuries since the ancient Greeks, although it is not universal. There is a completely different perception of the writing for the Far East. The careful examination of the facts, along with the emerging abundant scholarship, raises the question whether the true adventure of writing was in fact a mishap, which constitutes the now millenarian historiography that has not ceased to generate an almost uninterrupted sequence of 1 CNRS. UMR 7041-Archéologies et Sciences de l’Antiquité. Équipe : Histoire et archéologie de l’Orient cunéiforme (HAROC), France. LUC BACHELOT 129 Cadernos do LEPAARQ Vol. XIV | n°28 | 2017 studies, discourses, myths and histories in order to describe its origin. We will try to borrow questions that allow us to get out of this misadventure. Questions that form part of the work of Leroi-Gourhan, Derrida and A.-M. Christin, as well as recent advances in neurophysiology, notably those by G. Rizzolatti. Writing, as speech, is a manifestation of symbolic activity, without the former necessarily being subjected to the second. The relationship of one to the other is not vertical but horizontal. The writing then appears when a notional field is sufficiently developed to be expressed by means other than that of language. Keywords: Writing; Mesopotamia; Language; Cuneiform; Sumerian; Akkadian. Exergues 1. « Il est surprenant, lorsque l’on y songe, de constater que le mythe de l’origine verbale de l’écriture puisse avoir une vie si longue. Cette hypothèse aurait pourtant dû paraître absurde aux linguistes depuis longtemps. » (CHRISTIN, 1995, p. 11) 2. « Nous voudrions suggérer que la prétendue dérivation de l’écriture, si réelle et si massive qu’elle soit n’a été possible qu’à condition que le langage originel, ait toujours été lui-même une écriture… ». (DERRIDA, 1967, p. 82). 3. « Mais cependant, s’il n’y avait précisément d’écriture que de l’espacement, et du plus matériel, du plus visible ? S’il se trouvait que l’expérience phénoménologique du vide avait été plus déterminante dans l’invention de l’idéogramme et dans sa mutation en phonogramme que celle de la figure ou du signe ? » (CHRISTIN, 1995, p.17). 4. « …nous savons que l’espace prend forme à partir des objets et de la multiplicité des actes coordonnés qui nous permettent de les atteindre. Et puisque les objets par eux-mêmes ne sont que des hypothèses d’action… » (RIZOLTATTI ; SINIGAGLIA, 2008, p. 88). INTRODUCTION Le terme d’ « aventures », au pluriel, tel qu’il apparaît dans l’intitulé de ce colloque2, évoque tout à la fois une multiplicité d’épisodes ou de réalisations et leur caractère inattendu, surprenant. En ce qui concerne l’écriture, la diversité des contextes de son apparition, comme celle de ses manifestations, légitime largement une telle appellation. Mais au-delà du nombre et de la variété des systèmes d’écriture connus à ce jour et au regard de l’attention fascinée que les sociétés occidentales accordent aux spectaculaires avancées culturelles dont on les crédite (transmission des savoirs, accélération du progrès, des connaissances, administration des groupes humains, gestion économique, etc.), l’apparition de l’écriture, pour la première fois dans le monde, en Mésopotamie à la fin du quatrième millénaire av. J.-C., fut et reste perçue comme une véritable révolution. On n’a pas manqué, en effet, d’y voir la manifestation d’un saut qualitatif de la civilisation d’autant plus spectaculaire qu’il était imprévisible. Telle est notre perception 2 Ce colloque, organisé par Raffaella Pierobon-Benoit, Professeure à l’Université de Naples sous le titre : « Avventure della scrittura », s’est tenu les 29 et 30 novembre 2012. AVENTURES ET MÉSAVENTURE DE L’ÉCRITURE. À PROPOS DE L’INTERPRÉTATION DE LA NAISSANCE DE L’ÉCRITURE EN MÉSOPOTAMIE. 130 Cadernos do LEPAARQ Vol. XIV | n°28 | 2017 occidentale, répétée et renforcée au fil des siècles depuis l’antiquité grecque, mais qui n’est pas pour autant universelle. L’Extrême-Orient, par exemple, a une tout autre conception de l’écriture (Christin, 2001). L’examen attentif des faits, tout comme l’abondante littérature qu’ils ont suscitée, incite à se demander si la véritable aventure de l’écriture ne fut pas en vérité la mésaventure que constitue cette historiographie maintenant millénaire qui la prit en charge et n’a cessé jusqu’à maintenant de générer une suite quasi ininterrompue d’études, d’analyses, de discours ou de récits, de mythes et d’histoires visant à décrire son origine. Visée doublement problématique : en soi, nous y reviendrons, et dans son orientation vers un objet qui ne serait pas à découvrir, mais vers un présupposé qu’elle cherche à légitimer. Présupposé selon lequel l’écriture serait essentiellement un produit dérivé de la langue. Après avoir rappelé les lignes de force qui structurent cette abondante littérature, nous tenterons d’emprunter les issues qui en elle permettent, malgré tout, une sortie de cette mésaventure. Issues que constituent les travaux de Leroi- Gourhan, Derrida et A.-M. Christin, ainsi que les avancées récentes de la neuro-physiologie, celles de G. Rizzolatti notamment. Mais d’emblée, un rappel des définitions les plus courantes de l’écriture et de nombre d’études spécialisées auxquelles elle s’adossent, s’impose. I - L’ECRITURE : LES DEFINITIONS COURANTES… « L’écriture est un système de représentation graphique d’une langue. » Définition donnée par le Trésor de la langue française3 (TLF) emblématique d’une conception de l’écriture massivement répandue et qui reprend celle qui avait déjà cours au début du XIXe siècle: « Pour le moment, je m'en tiens à l'idée fondamentale. Celle de l'écriture proprement dite, est de copier les sons; et celle de l'écriture hiéroglyphique, est de représenter les idées » (DESTUTT DE TRACY, 1803, p. 282), cité par le TLF. Cette formulation évoque une écriture que l’on pourrait dire vraie, « l’écriture proprement dite uploads/Litterature/ aventures-et-mesaventure-de-l-x27-ecriture-a-propos-de-l-x27-interpretation-de-la-naissance-de-l-x27-ecriture-en-mesopotamie.pdf

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