LA PRII~RE AHUNA VARYA DANS SON EXI~GESE ZOROASTRIENNE par E. BENVENISTE Paris

LA PRII~RE AHUNA VARYA DANS SON EXI~GESE ZOROASTRIENNE par E. BENVENISTE Paris La pri6re dire Ahuna Varya (av. ahuna vairya), ~ la plus sacr6e et probable- ment la plus ancienne des formules de d6votion zoroastriennes, repr6sente la lettre le Credo du fid~le. Aucune autre n'est investie d'une pareille autorit6. Ahura Mazdah lui-m~me la r6cita et l'enseigna/l Zarathustra avant que le monde exist~t, et Zarathustra/~ son tour la prononga pour briser l'assaut de l'Esprit Malin. De longs passages de l'Avesta exaltent son pouvoir) Aujourd'hui encore c'est la formule qui, inculqu6e en premier A l'enfant dans la communaut6 parsie, restera son recours tout au long de sa vie, et qui peut m~me remplacer toute autre pri~re. 3 Or cette formule-cl6 de la foi zoroastrienne consiste en trois vers dont on ne saisit encore clairement ni la construction, ni l'enchainement, ni finalement le sens pr6cis. C'est un paradoxe 6trange que le texte de ce "Pater", comme on l'a parfois d6nomm6, demeure obscur dans son intention. Comment expliquer alors la puissance qu'on lui prate et la v6n6ration dont il a toujours 6t6 entour6? Rappelons-en d'abord l'6nonc6: yaOd ah~t vairy6 aOd ratug afd_t?i_t ha?d vagh~ug dazdd manaoh6 ~yaoOananqm aoh~ug mazddi x~aOram?d ahurdi d yim draguby6 dada_t vastdram I1 sera utile de citer quelques-unes des traductions les plus recentes publi6es ~t partir de Bartholomae: Bartholomae, Zum altiranischem W6rterbuch, 1906, p. 126: 1 Cet article d6veloppe une communication pr6sent6e au XXIIIe Congr~s Interna- tional des Orientalistes (Cambridge, aoftt 1954). 2 Y. IX, 14; Vd. XIX 2,9 et pass. Toutes les r6f6rences sont donn6es chez Bartholomae, Wb., 283, s.v. Cf. J. J. Modi, The Religious Ceremonies and Customs of the Parsees (1922), p. 341 sq. 78 E. BENVENISTE "Wie der beste Oberherr, so der (beste) Richter ist er (n~imlich Zarathustra), gem/iss dem heiligen Recht, der des guten Sinnes Lebenswerke dem Mazd~th zubringt, und (so) die Obergewalt dem Ahura, er (Zarathustra), den sic den Armen als Hirten bestellt haben. ''4 Nyberg, Die Religionen des A1ten 1ran (1938), p. 268: "Wie er der erw~insehte ahf~ ist, so ist er auch ratu gem~iss dem A~a; der GriJnder der Lebenstaten Vohu Manahs ffir Mazdah und der Macht ffir Ahura, den die (GOtter) zum Hirten fiir die drigu's eingesetzt haben." L. Ga~il, Acta Orientalia Acad. Sc. Hungar., I (1950), p. 92 (en partie selon Andreas): "Ainsi que le chef d6sirable, de m~me le juge aussi, dans un esprit de justice est le v6rificateur de la bonne volont6 se manifestant dans les acres de l'humanit6 pour le compte de Mazdah, Et le pouvoir est ~t Ahura. C'est lui qu'on a d6sign6 pour logeur aux hommes sans feu ni lieu." Tavadia, Indo-Iranian Studies, II (1952), p. 115: "Just as the Lord (namely Mazdah 'Wisdom') is choice-worthy, so is the spreader of Holy-Light (namely, Zarathustra) because of his holy light. He will give even the dominion of the deeds of the life of (or: because of) the good mind to Wisdom the Lord, - he whom they made shepherd for the poor." K. Barr, Studia Orientalia Ioanni Pedersen... dicata (1953), p. 37: "As he is the lord to be chosen, thus he is our spokesman in accordance with A~a, he who for Mazd~h (the Wise One) realizes the lifeworks of Vohu Manah and for Ahura (the Lord) the dominion, (he) whom they (i.e. the divine powers) have appointed herdsman for the right-living pious. ''5 4 La m~me traduction en version anglaise chez Reichelt, Avesta Reader, p. 173 (avec bibliographic ant6rieure): "As the best supreme lord, so the best judge is he (Zara0u~tra) according to the holy law; he who brings the life's actions of the good mind to M. and (thus) the supreme authority to Ah. ; he, whom they have appointed as herdsman for the poor.'" Je n'utilise pas les versions nombreuses et contradictoires des 6rudits parsis. Elles ont ceci de comrnun qu'elles font de Mazd~h (et non de Zarathustra) le sujet de la LA PRIIbRE AHUNA VARYA 79 Toutes ces traductions, assez voisines l'une de l'autre, ddpendent de la premibre cit6e, celle de Bartholomae, qni s'astreint ~t l'exactitude gramma- ticale, mais n'obtient pas un sens limpide, en particulier, comme on le montrera, pour le deuxi6me vers. Nous essayons ici de pr6ciser la signification de ce texte, sans s6parer l'expression du contenu. Pour y arriver, la mfthode semble claire. Nous partons de ce principe que l'Ahuna Varya, indubitablement g~thique par la langue off il est fix6 comme dans la doctrine qui l'informe, ne peut s'61ucider qu'~t la lumi~re des G~tth~s. 6 Nous demanderons donc aux seules G~th~ts les 616ments d'un commentaire suivi et les appuis d'une interpr6tation qui dolt ~tre totale. Nous 6tudierons ~t ce point de vue chacun des trois vers successivement. I yaOd aht7 vahT6 aOd ratug a~dt(it ha(6 Si l'expression ahFt vah3,a, d'ofi la pri6re tire sa d6nomination, lui est propre, le second membre ratu~ a~dt?it ha?d, avec le balancement ah~... ratu, vient 6videmment de Y. 29,6 n6it a&d ahFt vist6 na~dd ratu~ as"dt??_t ha?6. Cette relation ne saurait 6tre trop fortement soulign6e et d~s le d6but de ce commentaire. La pribre reprend, au compte de Zarathustra, les qualifications m~mes du protecteur que l'Ame du Boeuf appelait dans son d6sespoir et qu'Ahura Mazdah d6clarait n'avoir pas trouv6. D6sormais Zarathustra est, en sa personne, cet ahit et ce ratu, deux titres dont yaOd... aOd renforce la conjonction. Mais que signifient exactement ces titres? Pour l'un et l'autre il y a des traductions consacr6es: ahu- "maitre" et ratu- "juge" (cf. les traductions cit6es). Mais sans aborder ici le problbme dans toute son 6tendue, nous pouvons, vu la r6f6rence manifeste du premier vers h Y. 29, 6, trouver dans cette G~th~ m6me les d6finitions n6cessaires; elles se trouvent ~t la str. 2, sous la forme d'une double question: kaOd t6i gav6i ratu~ hya_t hhn ddtd x~ayant6 hadd vdstrd gaoddy6 0wax~6 I k~m h6i u~td ahuram y~ dragv6.dabi~ aY~amam vdddy6it. I1 suit de 1~ que le ratu est celui qui assurera au Boeuf p~turage et soins pour le faire prosp6rer, alors que ahu- (remplac6 ici pat" ahura-) est celui qui le protege et repousse l'assaut d'Ai~ma. On volt alors la r6partition des fonctions: ~t l'ahu- est formule. A titre de sp6cimen, voici la traduction donn6e par I.J.S. Taraporewala, The Divine Songs of Zarathushtra (1951), p. 4. 19: "Just-as the Sovereign-Lord (is) all-powerful, so (is) the Spiritual-Teacher by-reason of the store-of-(his)-Aga; the gifts of Vohu Mano (are) for deeds (done) for the Lord of Creation; and the X~a0ra of Ahura (descends), indeed, upon (him) who becomes a Shepherd to the meek." 6 Nous laisserons donc de c6t6 le cornmentaire avestique qui nous a 6t6 transmis dans Y. XIX, morceau d'ailleurs curieux pour l'dtude des procddds exdgdtiques du mazddisme tardif, mais dont la discussion surchargerait et embrouillerait sans profit notre analyse. 80 E. BENVENISTE drvolue l'autorit6 du pouvoir, la mission d'ordre et de drfense; au ratu- la responsabilit6 de la vie "civile" et de la prosprrit6 matrrielle. Dans la transposition qu'en offre le vers de l'Ahuna Varya, Zarathustra devient ensemble ahu et ratu selon Arta, il veille ~ la srcurit6 aussi bien qu'au bonheur du fidrle. II. va~h~ug dazda mana~h6 gyaoOananqm aohOug mazddi. C'est la con- struction et le sens de ce vers qui constitue la plus grande difficult6 du texte. Ici tous les interpr&es suivent Bartholomae, avec des variations assez peu marqures en apparence, significatives nranmoins d'un certain embarras. Que peut bien signifier d'abord "der des Guten Sinnes Lebens- werke dem Mazd~th zubringt"? Comment entendre "zubringt" et quoi se rapporte cette allusion? S'il faut prendre dazdar- littrralement, Zarathustra est celui qui "donne" ces "actes" de Vahu Manah? Mais alors Zarathustra, disposant des actes de Vahu Manah, serait au moins l'rgal d'Ahura Mazd~th! Peut-~tre est-ce pour ~viter cette consrquence que les autres traducteurs inflrchissent le sens de dazdar-: "der Griinder der Lebenstaten Vohu Manahs" ou "he who realizes the lifeworks of Vohu Manah", ce qui n'est pas plus clair. En outre que peuvent ~tre ces "Lebenswerke", "Lebenstaten", "lifeworks" de Vahu Manah, et comment Zarathustra peut-il les "donner" ~t Ahura Mazd~h? Un texte aussi puissant, o?a chaque mot porte, devrait cependant non seulement ~tre intelligible, mais 6voquer un des enseignements fondamentaux de la religion. Or la version, grammaticalement admissible, de Bartholomae ne laisse m~me pas voir de quoi il est question. Nous avons ici un vers typiquement g~tthique, o~t deux paires d'asso- nantes sym~triquement disposres (va~h~ug.. . a~h~ug-dazdd.. . mazdai), encadrant deux grnitifs contigus ~t la limite des deux membres (mana~h6 [ gyaoOananqm) composent un rythme intrrieur. Mais la doctrine aussi est g~thique. Nous pensons en avoir trouv6 la clef dans la derni~re strophe (14) de Y. 33: at rdtqm zaraOu~tr6 tanvas~_t x~ahy~ u~tanam daddit~ paurvatdtam mana~has?6 va~h~ug mazddi gyaoOanahyd a~di ydrd uxrahy~ saraogam x~aOram~d "Alors Zarathustra donnera en offrande la vie de son propre corps m~me, la primaut~ de (= sur) sa bonne pensre ~t Mazd~h; ~ Arta, la discipline et le pouvoir de (=sur) ses actions aussi bien que de (= sur) ses paroles." Plus librement: "Zarathustra donnera ~ Mazd~h sa propre vie et l'autorit6 LA PRIERE uploads/Litterature/ la-priere-ahuna-varya-dans-son-exegese-zoroastrienne.pdf

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