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B ach par Marc Leboucher Gallimard Après des études de droit et de sociologie politique, Marc Leboucher a été journaliste au mensuel Panorama, avant de devenir éditeur. Intéressé en particulier par les questions religieuses, et notamment le lien du christianisme avec la culture, il est l’auteur avec René Rémond de plusieurs ouvrages consacrés à ce thème, dont Le christianisme en accusation (prix Aujourd’hui 2001) et Le nouvel antichristianisme. Il a publié de nombreux livres d’entretiens, avec entre autres Jean-Marie Rouart, Joseph Moingt et Bernard Sesboüé. À mon père, trop tôt disparu, pour m’avoir fait aimer la musique de Bach. À Gérard de Cortanze, pour sa demande et ses encouragements. À Charles Chauvin, pour son regard d’éditeur et de germaniste. À l’équipe de Gallimard pour sa relecture précise et attentive. À mes proches et mes amis, pour leur soutien discret. À Sylvie enfin, première lectrice de ce manuscrit. A v ant -pro po s Comme Les Mille et Une Nuits occupait plus d’un quart de la tête de Stendhal, au dire même de l’écrivain, la musique de Jean-Sébastien Bach continue d’habiter nos mémoires. Mieux, elle semble s’y déployer davantage grâce aux moyens techniques contemporains. Un simple clic, une collection de CD et le mélomane du XXIe siècle se voit comblé au-delà de toute mesure. Il accède désormais sans peine à la majeure partie de l’œuvre du compositeur allemand. Tout en retrouvant les airs les plus connus, Concertos brandebourgeois, Suites pour orchestre ou Variations Goldberg, l’auditeur découvre avec émerveillement des partitions qui paraissaient jusqu’à ces dernières années réservées aux seuls spécialistes. Voici la Cantate du café et ses joyeuses explosions familiales, les pièces pour luth qu’on écoute à la nuit tombée, les chorals de Leipzig ou les accents syncopés d’une partita au clavecin… Alors, comme on fredonne une chanson populaire, comme un obsédant leitmotiv, la lente mélodie d’un choral ou une fugue sautillante accompagne nos journées pour notre plus grand bonheur. Bach, notre pain quotidien ? À côté du grand public, et qui s’en étonnerait, la relation familière avec lui marque la vie de nombreux interprètes. On se souvient d’un Pablo Casals jouant chaque jour une des six Suites pour violoncelle seul, quitte à interpréter la sixième le dimanche pour mieux épouser le rythme de la semaine, ou d’un Glenn Gould reprenant sans fin l’œuvre du Cantor au fil de ses enregistrements à huis clos. Mais plus encore, la musique de Bach joue comme un stimulant intellectuel, une source d’inspiration pour les artistes, les écrivains, les philosophes. Ainsi du pasteur Albert Schweitzer, le théologien protestant reconverti dans l’humanitaire, qui fait venir son piano à queue jusqu’au Gabon pour redonner vie à l’œuvre du compositeur. Et Gide, et Sartre, jouant chaque jour ou presque les fugues, pas seulement par souci d’exercice pianistique. N’en font-ils pas à leur manière le lieu d’une rencontre forte, d’une mise en appétit pour écrire ou penser ? Encore plus accessible aujourd’hui, encore plus vaste dans son déploiement, la gigantesque œuvre de Bach a cependant fait écran à la personnalité de Jean-Sébastien. Derrière sa production musicale, derrière les études fouillées et les premières approches biographiques, sa vérité d’homme qui a aimé et souffert, gagné sa vie et combattu la mort semblait parfois s’évanouir, au profit d’une légende dorée. À la différence d’un Mozart dont on connaît la truculente correspondance, d’un Beethoven qui a affirmé avec virulence sa liberté d’artiste, le profil de l’homme Bach s’est trouvé longtemps victime de nombre de caricatures. Ces clichés, il est facile de les énumérer : le protestant coincé et solennel, enfermé dans une foi luthérienne rigoriste, passant sa vie à composer de la musique religieuse. Le monument hiératique auquel il ne faut pas toucher, coulé dans un marbre intemporel et froid. Le patriarche biblique à la multiple descendance, nouveau Moïse apportant au monde l’inspiration du génie et les tables de la loi musicale. Et probablement aussi l’incarnation d’un conservatisme formel, quelques-unes de ses œuvres étant jugées réactionnaires ! Au fond, un Bach empâté et sérieux comme un pape, enfermé dans une vieillesse survenue trop tôt… Il a fallu tous les travaux d’une nouvelle historiographie pour détruire ces images fausses, toute la redécouverte aussi du monde du baroque et de sa musique pour que se dévoile un autre visage. Dégraissé des images toutes faites et, du coup, plus incarné, plus ancré dans le monde de son temps. Un homme enfin, qui n’est pas un créateur démiurge ou un dévot descendu du ciel. Sans vouloir le représenter un casque audio sur les oreilles, ainsi que le montrait dans les années 1960 la couverture d’un disque d’adaptations au synthétiseur, on gagne toujours à le rendre plus proche. À un moment où nos sociétés s’éloignent de la culture chrétienne, où le temps s’accélère furieusement, comment ne pas s’arrêter à la musique de Bach, fournir aussi quelques clés sur la dimension religieuse du personnage, sans verser dans l’a priori confessionnel ? Si Bach n’incarne pas le modèle de l’artiste romantique, voire maudit, qui devait s’épanouir au cours du XIXe siècle, il n’empêche qu’il s’affirme par son style et sa capacité à l’enrichir, son âpreté à la négociation avec ses employeurs, son sens du réel au service d’un art total. C’est à travers son combat quotidien pour vivre, pour assurer sa propre subsistance et celle des siens, dans les malheurs comme dans les joies, que va se construire une œuvre unique. Loin d’un romantisme ou d’un mysticisme idéalisé, Bach demeure un créateur en mouvement. Il est l’homme de la ville. Il faut le suivre de cité en cité, qui déplace son existence et sa manière de créer au gré des rencontres, des obligations de la vie, des influences diverses. Est-ce un hasard s’il rejoint ici l’un des thèmes les plus puissants du christianisme, qui, à la suite d’un saint Augustin, voit la vie comme une marche vers la « Jérusalem céleste » ? Pèlerin qui marche de la cité des hommes à la Cité de Dieu, pour adopter un vocabulaire théologique auquel Bach n’est pas étranger. Loin de là. Par où commencer ? Le biographe tremble devant ce maître de la composition, qui sait si bien manier la fugue et le contrepoint, varier les mélodies et les thèmes. Faut-il suivre strictement la chronologie d’une vie, au risque de se répéter ? Préférer l’approche thématique, traiter ici de l’œuvre, là de la foi, ailleurs de l’histoire, quitte à égarer un lecteur moins averti ? Débuter par la fin, la mort de Bach et sa postérité, ou l’appréhender à partir des premières biographies qui l’évoquent ? Se focaliser sur l’étude des œuvres les plus significatives ? Les entrées et les variations sont multiples… Sans prétendre rivaliser avec les meilleurs spécialistes ni faire œuvre de musicologue, entrons sans plus tarder dans le monde de Bach. En une composition que l’on souhaitera « bien tempérée », nous avons choisi de déployer le cadre chronologique en nous autorisant à développer ici ou là quelques thèmes saillants. Notre gratitude va à tous ceux qui ont su déchiffrer le champ de la recherche, au long d’une quête patiente et de nombreux recoupements, pour mieux cerner une personnalité complexe, et cependant toujours présente. A u co mmencement é t ait E isenach (168 5-1695) Longtemps cantonnée au domaine des spécialistes, c’est à travers un best-seller publié en 1925 que la vie de Bach va rencontrer les faveurs du grand public. Dans l’Angleterre des années vingt, la musicologue Esther Meynell fait paraître de manière anonyme sa Petite Chronique d’Anna Magdalena Bach1. Donnant la parole à la seconde épouse de Jean- Sébastien Bach, elle y raconte avec une sensibilité touchante la vie de ce dernier. La démarche littéraire est si réussie qu’au-delà d’un succès de librairie, nombre de lecteurs vont s’y méprendre et croire qu’il s’agit bien d’un récit écrit de la main d’Anna Magdalena elle-même. Appuyé sur des sources biographiques, servi par une écriture en phase avec l’époque, le propos sait donner corps à la personnalité de Bach. Comment ne pas être ému par cette Anna Magdalena plus vraie que nature, si proche, si tendre avec son musicien de mari… L’accueil est tel cependant que l’auteur doit se résoudre à révéler sa véritable identité. On devine que, sur le coup, la déception des lecteurs a dû être à la mesure de l’émotion. Mais si aujourd’hui son style apparaît daté, si bien des travaux ont fait mieux connaître depuis le parcours du compositeur, il n’en demeure pas moins que cette « Petite chronique » a incontestablement éveillé la curiosité sur la biographie de celui-ci, des décennies avant la mode du baroque. Sur les premières années de Bach, nous ne disposons pas d’un récit aussi direct. Johann Sébastian Bach naît à Eisenach, en Thuringe, dans le nord-est de l’Allemagne, le 21 mars 1685 selon le calendrier julien (31 mars de notre calendrier grégorien). Cette petite ville de quelque huit à dix mille habitants, au cœur d’une campagne de champs, de forêts, de mines et de collines, n’en a pas moins une grande richesse culturelle et religieuse. Associée à de grandes uploads/Litterature/ bach-marc-leboucher.pdf

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