06/09/2021 11:02 Etienne Balibar : Universitas | La philosophie au sens large h
06/09/2021 11:02 Etienne Balibar : Universitas | La philosophie au sens large https://philolarge.hypotheses.org/229?fbclid=IwAR3EwmHKd3pC6_2Udwza7_ozAmBuVU5w_rZzLX48P-eAwJrXb8jpgZbdAEM 1/13 OpenEdition Search Tout OpenEdition La philosophie au sens large Groupe d'études animé par Pierre Macherey Etienne Balibar : Universitas 15 janvier 2010 séminaire Quine ;, traduction ;, universalité ;, universel ;, Université ;, Walter Benjamin ; etiennebalibar Universitas Première remarque : le jeu de mots franco-latin qui fait que du terme universitas dérivent à la fois l’idée de l’université et celle de l’universalité, est évidemment tout sauf accidentel. Les philosophes, ou certains d’entre eux, n’ont pas manqué de l’utiliser pour penser de façon critique ou auto-promo- tionnelle le statut de leur discipline. Depuis que la philosophie est pour l’essentiel une discipline sco- laire et universitaire, non seulement elle n’a pas cessé de se penser comme le champ dans lequel on cherche à expliciter les conditions et les effets d’un discours de l’universel, mais l’universalité est de- venue la valeur objective dont elle tire sa légitimité. A cette caractérisation ne s’opposent pas les dis- cours sceptiques ou déconstructifs qui imposent des limitations à la possibilité de connaître, d’énon- cer, de réaliser et de transmettre l’universel, ou qui adoptent un point de vue négatif au regard de ces objectifs. Prendre en philosophie une position « anti-universaliste » et voir la philosophie comme dé- passement, critique, ou déconstruction de l’universalisme, c’est encore « énoncer l’universel » sous une certaine modalité, qui peut être une façon de le sauver. Et, par contrecoup, c’est s’insérer dans un « mouvement » perpétuel, cyclique plutôt que dialectique, de relance de l’universel comme positivité. Deuxième remarque : entendue comme « université » et comme « universalité », la catégorie de l’uni- versitas enveloppe toujours l’idée d’une totalité. Songeons aux expressions familières depuis le latin scolastique et classique : universitas rerum, universitas generis humani, universitas studiorum. De fait, les « universités » ont été créées dans une partie de l’espace occidental avec l’ambition de ne laisser en dehors de leurs programmes d’études aucun domaine de savoir (bien que ce ci pose aussitôt la question de ce qui est « savoir », au sens fort du terme, objet de theôria et de mathèsis), et par ce biais d’inclure tout ce qui intéresse spéculativement l’humanité. A l’époque moderne la philosophie, non seulement s’est intimement associée à ce projet, mais elle a entrepris, comme telle, d’en définir l’idée et les conditions de mise en œuvre institutionnelles. Pour autant cette réciprocité de déterminations n’a jamais été sans problèmes, aujourd’hui moins que jamais. Et c’est sans doute l’un des objectifs que les philosophes doivent s’assigner collectivement que de problématiser sur nouveaux frais la situation de leur discipline au point de rencontre de l’uni- versitas comme institution et de l’universitas comme catégorie logique et ontologique. Nous avons de bonnes raisons de penser – plus encore qu’au moment de la célèbre conférence de Husserl sur « La 1 06/09/2021 11:02 Etienne Balibar : Universitas | La philosophie au sens large https://philolarge.hypotheses.org/229?fbclid=IwAR3EwmHKd3pC6_2Udwza7_ozAmBuVU5w_rZzLX48P-eAwJrXb8jpgZbdAEM 2/13 crise de l’humanité européenne et la philosophie » – que cette articulation n’est ni naturelle, ni inéluc- table, ni irréversible. Il se pourrait bien que dans le futur (si ce n’est déjà le cas) des « universités » ou des « grandes écoles » n’aient aucun besoin d’une discipline qui, selon l’expression d’Auguste Comte, soit « spécialisée dans les généralités », pour penser la classification des sciences et des techniques (y compris les techniques de communication, de formation, de contrôle de l’opinion). Ceci ne suffit pas à faire de la « crise » de l’université un problème philosophique, mais ce pourrait être une raison suffi- sante pour que des philosophes de métier en discutent les origines et les manifestations. On rappellera ici, une fois de plus, que la philosophie n’a pas toujours été une discipline universitaire, qu’elle ne l’a peut-être jamais été intégralement, et que dans ces conditions il n’est pas certain qu’elle le reste. Que deviendrait alors son « orientation vers l’universel », ou vers « l’idée de l’universel » ? Avant le 19 siècle, peu de philosophes ont été des universitaires, qu’on leur ait ou non proposé des postes dans ce cadre. Les grandes exceptions sont dans les universités médiévales, qui elles-mêmes, d’ailleurs, recueillaient pour une part l’héritage d’écoles et de communautés intellectuelles où la phi- losophie était cultivée en même temps que la mathématique, la musique, la médecine ou le droit. Il est important de s’en souvenir pour avoir à l’esprit que certaines des définitions ou des modèles de l’universalité dont nous continuons de nous inspirer, non seulement n’ont pas été forgés à l’université, mais l’ont été contre elle. Ce fut le cas de l’idée rationaliste de mathèsis universalis au XVIIe siècle, au- tour de Descartes et sur sa lancée, comme ce fut le cas de son antithèse empiriste, « l’histoire natu- relle », au sens large que cette catégorie acquiert entre Locke, Diderot et Kant. Plus récemment, nous avons vu des discours renouvelant profondément le sens et la valeur de l’universalisme s’élaborer en dehors de l’institution universitaire, ou sur ses marges, à travers l’activité intellectuelle de ses exclus et de ses enfants prodigues : pensons à Kierkegaard, à Emerson, à Marx, à Nietzsche, à Tolstoï, à Benjamin, à Sartre, ou même à Wittgenstein. Bien entendu trop d’exemples vont en direction diamé- tralement opposée pour nous permettre de conclure qu’en règle générale la philosophie s’invente au dehors de l’université, puis se développe, se commente, s’historicise, se systématise et se transmet au-dedans, comme on est généralement prêt à l’admettre pour l’art, la littérature, mais aussi dans une large mesure pour le droit ou la technologie. Mais sur le temps long les tensions apparaissent suffi- samment fortes entre ces deux pôles pour nous mettre en garde contre l’illusion que le « lieu de l’uni- versel » ou de la réflexion sur l’universel soit tout naturellement l’institution qui porte son nom. Or ce problème n’a pas seulement une incidence administrative et sociologique. Il concerne au premier chef les styles, ou si l’on veut les « jeux de langage » qui sont associés à certains lieux institutionnels, et donc à des pratiques spécifiques de la réflexion, de l’écriture, de l’argumentation, de la communica- tion au sein des institutions. Je ne veux pas dire par là que les institutions universitaires imposent au discours philosophique un mode d’exposition unique, ne serait-ce qu’en raison de très profonds cli- vages entre les traditions nationales au sein de l’institution universitaire formellement semblable d’un pays à l’autre : encore que, précisément, il y ait un rapport étroit entre le cadre universitaire, les prétentions au « fondement » ou à la « réflexivité », et le projet d’universaliser certains styles et de leur donner une portée normative. Je ne veux pas non plus simplement prophétiser que les styles ou les formes discursives qui, en philosophie, ont été progressivement exclus ou marginalisés par l’institu- tion, tels le poème, le roman, le dialogue, la méditation, la démonstration ordine geometrico, le pam- phlet ou le « manifeste », vont maintenant faire retour dans une époque « post-universitaire » de la philosophie, dont nous n’avons d’ailleurs aucune garantie qu’elle existera. Mais c’est certainement une raison suffisante pour inscrire dans toute discussion sur le présent et l’avenir de la philosophie une réflexion sur les normes et les formes discursives qu’elle s’est appropriées en raison de son im- plantation au cœur de l’institution universitaire, avec le projet de dire spécifiquement ce qu’est l’uni- versel dans le champ de l’universalité. Une telle réflexion est aujourd’hui par le fait que son urgence et ses enjeux nous atteignent réfractés à travers le prisme de considérations « géophilosophiques » (pour reprendre l’expression utilisée de fa- çon indépendante, en langue française, aussi bien par Deleuze et Guattari que par Derrida et Nancy) qui ont un arrière-plan géopolitique et géoculturel. C’est là le contrecoup d’un phénomène de « relati- visation » progressive, affectant la « culture », ou la « civilisation », qui, si elle n’a pas à proprement parler inventé la forme universitaire du savoir, l’a perfectionnée et imposée au monde entier au nom e 06/09/2021 11:02 Etienne Balibar : Universitas | La philosophie au sens large https://philolarge.hypotheses.org/229?fbclid=IwAR3EwmHKd3pC6_2Udwza7_ozAmBuVU5w_rZzLX48P-eAwJrXb8jpgZbdAEM 3/13 de ses valeurs et avec l’aide de ses technologies « universellement valables » : je parle évidemment de l’Occident, même si nous serions bien en peine d’en fixer les limites de façon incontestable. Il nous est désormais proposé de penser que la philosophie est un projet typiquement occidental, c’est-à-dire qu’il y a contradiction entre ce que ses méthodes et ses styles de pensée, voire plus profondément ses catégories, ont d’essentiellement local, donc de « particulier », et ce que ses ambitions ont de global, notamment quant à la possibilité de définir le cadre général d’une comparaison entre les cultures. Il se peut que cette façon de poser la contradiction soit trop simple, mais l’acuité du conflit qu’elle ex- prime ne saurait être ignorée plus longtemps, comme le suggère notamment en France l’œuvre de François Jullien . La difficulté vient du fait qu’on ne peut pas sans circularité se uploads/Litterature/ balibar-universitas-la-philosophie-au-sens-large.pdf
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- Publié le Mai 29, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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