Compétences des lecteurs et schèmes séquentiels Author(s): RAPHAËL BARONI Sourc

Compétences des lecteurs et schèmes séquentiels Author(s): RAPHAËL BARONI Source: Littérature , MARS 2005, No. 137, LA SINGULARITÉ D'ÉCRIRE AUX XVIe – XVIIIe SIÈCLES (MARS 2005), pp. 111-126 Published by: Armand Colin Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41705061 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature This content downloaded from 181.228.179.224 on Fri, 22 Oct 2021 22:25:59 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms ■ RAPHAËL BARONI, UNIVERSITÉ DE LAUSANNE Compétences des lecteurs et schèmes séquentiels1 Quiconque veut comprendre un texte a toujours un projet. Dès qu'il se dessine un premier sens dans le texte, l'interprète anti- cipe un sens pour le tout. À son tour ce premier sens ne se des- sine que parce qu'on lit déjà le texte, guidé par l'attente d'un sens déterminé. C'est dans l'élaboration d'un tel projet antici- pant, constamment révisé il est vrai sur la base de ce qui ressort de la pénétration ultérieure dans le sens du texte, que consiste la compréhension de ce qui s'offre à lire. Gadamer, Vérité et méthode, p. 104-105. L'herméneutique post-heideggerienne, de Gadamer à Ricoeur, s'oppose à la tradition critique de Y Aufklärung en insistant sur un point essentiel: il est impossible d'aborder un texte sans préjugés et, loin de constituer une entrave au processus interprétatif, ces derniers sont au contraire absolument nécessaires pour rendre le texte intelligible. La compréhension d'un texte devient alors un phénomène résultant de la fusion entre deux horizons, celui du texte, et celui des préjugés du lec- teur. L'attitude critique prônée par la philosophie herméneutique consiste dès lors à contrôler l'influence des préjugés à l'aune de 1 ' altérité du texte plutôt que de prétendre les dépasser par une neutralité illusoire du point de vue du lecteur. Cette conception a naturellement trouvé des prolongements féconds du côté de la sémiotique narrative et de ce que l'on désigne en général par les «théories de la réception», qui s'attachent à décrire, au-delà des structures textuelles, les compétences prérequises par les textes pour que le phénomène de leur actualisation par la lecture soit rendu possible. Nous chercherons dans cet article, en nous basant sur divers travaux por- tant sur la réception, la compréhension et la mémorisation des récits, à mettre en lumière les principaux types de schèmes séquentiels qui ont été élaborés dans diverses disciplines afin de définir la forme que pren- nent ces «préjugés» du lecteur quand ils servent à appréhender et à anti- ciper les structures des textes narratifs. La nature spécifique des récits, 1. Cette étude se rattache à nos recherches sur la «tension narrative» qui sont financées par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNRS). Certaines propositions défendues dans cet article se situent également dans le prolongement des recherches menées par le groupe «récit, secret et socialisation» dirigé par André Petitat (voir Petitat, 1999; 2002; Petitat et Ba- roni, 2000). Ill LITTÉRATURE N° 137 - MARS 2005 This content downloaded from 181.228.179.224 on Fri, 22 Oct 2021 22:25:59 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms ■ RÉFLEXION CRITIQUE en tant que discours mettant en scène l'action humaine, tend à situer l'analyse des «préjugés» du lecteur sur un plan recoupant à la fois une sémantique de l'action et une connaissance de la «rhétorique» des narra- tions. Une telle situation intermédiaire nécessite dès lors un travail minu- tieux de conceptualisation si l'on veut éviter la confusion, fréquente dans les travaux des narratologues, entre ce qui relève d'un niveau ou de l'autre d'appréhension des structures narratives2. C'est donc à l'identifi- cation et à la spécification des différents schèmes séquentiels à l'œuvre dans les récits que nous nous attellerons dans cet article, car une telle typologie nous paraît urgente face à la récente prolifération des appro- ches narratologiques. Notre intérêt pour la question spécifique de la séquence ou des «schèmes séquentiels» s'explique par le fait que ces derniers, en tant que configurations temporellement orientées, permettent au lecteur d'anticiper la totalité d'un texte (ou d'une portion de texte) et d'en per- cevoir rétrospectivement son unité, mais également parce qu'elle se situe au cœur des travaux narratologiques et qu'elle nécessite d'être réactualisée dans une perspective pragmatique. Propp (1970) est l'un des premiers auteurs modernes à avoir donné une définition de la séquence narrative du conte merveilleux russe qui ne cessera d'être reprise, refor- mulée et élargie par la suite: On peut appeler un conte merveilleux du point de vue morphologique tout dé- veloppement partant d'un méfait (A) ou d'un manque (a), et passant par les fonctions intermédiaires pour aboutir au mariage (W) ou à ď autres fonctions utilisées comme dénouement. [...] Nous appelons ce développement unesé- quence. Chaque nouveau méfait ou préjudice, chaque nouveau manque, don- ne lieu à une nouvelle séquence. [...] Un conte peut comprendre plusieurs séquences, et lorsqu'on analyse un texte, il faut d'abord déterminer de com- bien de séquences il se compose. (1970, p. 112-113) La postérité proppienne qui, au contact de l'école structuraliste, s'est constituée en discipline autonome (la narratologie), n'est naturel- lement pas la seule voie d'accès permettant de mettre au jour la structu- ration séquentielle des récits, elle a notamment convergé avec des pers- pectives diverses issues de la psychologie cognitive (Mandler, 1984; Fayol, 2000), de l'intelligence artificielle (Schank et Abelson, 1977), de l'analyse interactionniste (Petitat, 1999; 2002), de la sociolinguistique (Labov, 1978) et de la linguistique textuelle (Adam, 1997; 2001). 2. La principale confusion porte, selon nous, sur l'assimilation de la forme prototypique de la séquence narrative à la séquentialité de l'action planifiée. Cette confusion entre ce qui relève du niveau rhétorique (succession dans l'ordre du discours du nœud et du dénouement) et ce qui se situe au niveau actionnel ou «endo-narratif» (succession chronologique du but, de l'action et de son résultat) a conduit à oblitérer une forme alternative de «mise en intrigue» fondée sur le mystère ou l'énigme. Dans ce cas de figure, le «résultat» peut très bien servir à nouer l'in- trigue et la découverte du «but» à la dénouer (par exemple dans le cas du roman policier ou on découvre le cadavre avant de comprendre les mobiles et motifs de l'assassin). 112 LITTÉRATURE N° 137 -MARS 2005 This content downloaded from 181.228.179.224 on Fri, 22 Oct 2021 22:25:59 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms COMPÉTENCES DES LECTEURS ET SCHÈMES SÉQUENTIELS ■ Cependant, la position pionnière de la narratologie pour l'analyse de la séquentialité narrative doit être soulignée, en même temps que doivent être signalées les limites d'une approche centrée uniquement sur les structures textuelles et qui situe en dehors de sa perspective la question des compétences des lecteurs. Il s'agit dès lors de réévaluer par exemple les notions de genre et de schéma narratif canonique dans une perspective pragmatique qui intègre à la fois les notions de compétence générique et d'horizon d'attente con- cernant la forme prototypique des récits 3. Nous pensons que c'est par l'interaction complexe entre les structures attendues et les structures réalisées , que la compréhension discursive, la tension narrative (Baroni, 2002b) et de nombreux effets de lecture (ironie, parodie, coup de théâtre, etc.) peuvent être expliqués. Par ailleurs, face à la tentation de réduire cette pluralité de schèmes séquentiels issus d'analyses d'orientations diverses à un modèle unique, nous insisterons sur le bénéfice heuristique qu'il peut y avoir à maintenir des distinctions irréductibles entre genres du discours et séquences stéréotypées de la vie quotidienne ou entre la forme prototypique des récits et celle de l'action intentionnelle et planifiée. LES DIFFÉRENTS TYPES DE SCHÈMES SÉQUENTIELS Dans toutes les théories de la réception qui partent du principe qu'un texte est un processus inachevé, un tissu de non-dits ou de blancs qu'il s'agit de compléter par l'activité interprétative, la question des compétences prérequises du lecteur occupe une place prépondérante, car ce sont elles qui lui permettent d'expliquer comment ces espaces vides peuvent être comblés. Ces compétences, qu'elles soient désignées par les termes horizon d'attente (Jauss), répertoire (Iser), compétences encyclo- pédiques (Eco), préfiguration (Ricœur), codes (Barthes) ou stéréotypes (Dufays), sont multiples et de nature diverses. Il est ainsi évident que l'actualisation d'un récit exige le recours à des structures préexistantes sur plusieurs niveaux: lexical et syntaxique (il s'agit naturellement de maîtriser la langue qui sert de support au discours), rhétorique, narratif, thématique, actantiel et idéologique (Dufays 1994, p. 12). Notre objectif n'étant pas de présenter une nouvelle théorie de la lecture, nous ne pas- serons en revue que les compétences qui portent sur des schèmes séquentiels , qui permettent au lecteur d'avancer des prévisions concer- nant le développement ultérieur d'un texte narratif. Toutes les théories de la lecture admettent que les compétences mises à contribution par les lecteurs pour assurer leur acte de réception 3. Le genre étant, par uploads/Litterature/ baroni-2005-competences-du-lecteur-et-schemes-litterarires.pdf

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