17 NORME RÉELLE – NORME IDÉALE DANS LE LEXIQUE LITTÉRAIRE ROUMAIN AU MILIEU DU
17 NORME RÉELLE – NORME IDÉALE DANS LE LEXIQUE LITTÉRAIRE ROUMAIN AU MILIEU DU XIXÈME SIÈCLE. LE PREMIER DICTIONNAIRE ACADÉMIQUE Gheorghe CHIVU Université de Bucarest Académie Roumaine gheorghe.chivu@gmail.com Abstract: In the second half of the nineteenth century, the Romanian literary language lexicon, illustrated by literary and scientific texts, periodicals, manuals, underwent a process of renewal through an extensive acceptance of neologisms, in the awaited correlation with the overall modernization of culture. Dicţionarul limbei române, an academic project, printed between 1871 and 1877, tries to impose an ideal norm, that aimed, consistent with a certain linguistic conception, at preserving and enriching the native Latin vocabulary, by selecting certain loans and lexical creations, concurrently with the exclusion of variants (phonetic, morphological or lexical variants) that conflicted with the „spirit” of the Romanian language. Keywords: Romanian literary language, formal vocabulary, real norm/ideal norm, Latinism, neologism. 1. L’époque moderne de la langue roumaine littéraire commence, tel qu’il est unanimement accepté, à la fin du XVIIIème siècle, lorsque les représentants du mouvement culturel-scientifique nommé couramment l’École de Transylvanie (Şcoala Ardeleană) ont esquissé, à travers des Provided by Diacronia.ro for IP 82.231.135.78 (2020-10-19 13:54:58 UTC) BDD-A28083 © 2018 Editura Muzeul Literaturii Române Diversité et Identité Culturelle en Europe 18 travaux considérés fondamentaux dans le domaine, les lignes du développement moderne de notre culture écrite1. Par l’intermédiaire de la première grammaire roumaine imprimée, Elementa linguae Daco-Romanae sive Valachicae (1780), on passait de la normation implicite à la normation explicite de la variante laïque de notre langue de culture. L’écriture avec des lettres latines, les structures grammaticales, les constructions syntaxiques, le vocabulaire de base et même les «formes pour parler» de la partie finale, applicative du livre, prouvaient la descendance latine du roumain et, en même temps, créaient des modèles normatifs de la langue écrite et de l’expression littéraire. Quelques normes idéales du roumain étaient même esquissées, distinctes des «formes pour parler» déjà mentionnées, à leur tour soignées et, bien évidemment, cultivées.2 L’ouvrage Observaţii de limba rumânescă [Observations sur la langue roumaine], paru pendant la dernière année du XVIIIème siècle (en 1799), traçait le cadre à l’intérieur duquel Paul Iorgovici considérait que peut se constituer le lexique roumain moderne, conçu sur un schéma latino-roman, mais ancré par « les mots-racines », hérités du latin, dans la tradition de la culture roumaine.3 Ortographia Romana sive Latino-Valachica (1819), paru sous la signature de Petru Maior, en tant que travail programmatique de la même école, argumentait de manière savante un système orthographique qui suivait, entre autres, la mise au point de l’unité formelle des écrits roumains, partiellement divisés, par des particularités phonétiques et morphologiques pas très nombreuses, à l’époque de l’écriture cyrillique. Et l’ouvrage Lexiconul românesc- 1 Pour ce qui est de la synthèse des opinions, voir Ion Gheţie, Periodizarea istoriei limbii române literare, dans Introducere în istoria limbii române literare, Bucarest, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, 1982, p. 63-68. 2 Voir quelques exemples dans ce sens dans notre article Norme idéale – norme réelle dans les écrits litteraires anciens à la fin du XVIIIe siècle. L’infinitif long, dans „Dacoromania”, s. n., XX, 2015, no. 2, p. 113-122. 3 Nous argumentons cette idée dans l’article intitulé La modernisation latino-romane du lexique roumain. Le modèle interne, dans „Diversité et identité culturelle en Europe/Diversitate şi identitate culturală în Europa”, XIII, 2016, no. 2, p. 7-18. Provided by Diacronia.ro for IP 82.231.135.78 (2020-10-19 13:54:58 UTC) BDD-A28083 © 2018 Editura Muzeul Literaturii Române Diversité et Identité Culturelle en Europe 19 latinesc-unguresc-nemţesc [Le dictionnaire roumain-latin-hongrois- allemand], imprimé en 1825, le premier travail programmatique de l’École de Transylvanie et le premier dictionnaire roumain moderne, explicatif, normatif et étymologique4, décrivait le niveau atteint par le roumain littéraire au début du XIXème siècle, tout en suggérant les directions de développement de notre lexique cultivé. Tous ces travaux fondamentaux, à but programmatique, formatif, traçaient les directions considérées valables pour la mise au point des normes du roumain littéraire moderne; des directions, des orientations ou des propositions conçues dans l’esprit de « la nature » de notre langue5, qui avaient toutefois besoin non seulement de temps pour être assimilées et s’imposer (dans le domaine de l’orthographe, par exemple, il a fallu un siècle pour remplacer l’écriture cyrillique avec l’écriture à lettres latines), mais aussi de se perfectionner et de se ciseler, et surtout, de se mettre en relation avec l’évolution antérieure de la culture roumaine écrite. Une culture de type roman, à tendance prouvée vers la latinité6, mais profondément marquée par des influences, non seulement lexicales, d’une facture différente du fond roman, d’origine. Néanmoins, le développement de notre langue de culture a suivi, plus d’un demi-siècle après 1780, non pas les principes théoriques ou les 4 Gh. Chivu, Lexiconul de la Buda, primul dicţionar modern al limbii române, dans „Analele Universităţii «Al.I. Cuza» din Iaşi”, section IIIe, Linguistique, LVIII, 2012, p. 45-56. 5 Cette formule, rencontrée souvent dans les écrits des latinistes transylvains, indiquait la structure, l’esprit originel, hérités par le roumain du latin. 6 Cette tendance est prouvée par les commentaires concernant l’origine des Roumains et de leur langue (voir, pour une synthèse dans ce sens, Vasile Arvinte, Român, românesc, România, Bucarest, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, 1983, et Adolf Armbruster, Romanitatea românilor. Istoria unei idei, Bucarest, Editura Enciclopedică, 1993). La même idée est soutenue aussi par les emprunts à étymon (direct ou premier) latin ou roman, acceptés tôt dans les écrits roumains littéraires (voir Gheorghe Chivu, Emanuela Buză, Alexandra Roman Moraru, Dicţionarul împrumuturilor latino-romanice în limba română veche (1421- 1760), Bucarest, Editura Ştiinţifică, 1992), respectivement par les influences du modèle orthographique latin sur les écrits roumains anciens, dominé de manière évidente par l’écriture cyrillique (voir notre article Grafii cu model latin în scrisul vechi românesc, dans Antic şi modern. In honorem Luciae Wald, [Bucarest], Humanitas, [2006], p. 117-124). Provided by Diacronia.ro for IP 82.231.135.78 (2020-10-19 13:54:58 UTC) BDD-A28083 © 2018 Editura Muzeul Literaturii Române Diversité et Identité Culturelle en Europe 20 normes idéales imaginées par les intellectuels des Lumières au carrefour des XVIIIème et XIXème siècles, mais les orientations pragmatiques (basées plus d’une fois sur des idées plus anciennes, de la même nature, de l’époque des Lumières7) formulées par Ion Heliade Rădulescu, devenu de la sorte un véritable «père» du roumain littéraire moderne.8 Selon ces orientations, acceptées par la plupart des intellectuels renommés de l’époque9, les normes uniques supra-dialectales sont devenues effectives, même avant 1850, dans la morphologie et la phonétique. La syntaxe littéraire, différenciée non pas au niveau des variantes littéraires régionales, mais sur le plan culturel (l’organisation du texte religieux était évidemment autre que la syntaxe des écrits laïques), allait se moderniser rapidement et s’unifier de la sorte, sous l’influence de très nombreuses traductions et adaptations de certains écrits d’origine romane. Quant au lexique, qui était à son tour très étroitement lié à la fois à la source des traductions et au renouvellement d’ensemble de la société roumaine, il allait «s’occidentaliser» rapidement et devenir un «lexique littéraire de culture générale». Le nouvel état de notre lexique littéraire était illustré même par le dernier ouvrage normatif de l’École de Transylvanie, Lexiconul de la Buda [Le Dictionnaire de Buda]. Des néologismes un peu inattendus pendant la troisième décennie du XIXème siècle, tels adeverinţă, bal, canapeu, delicat, examen, fantasie, galant, hanseatic, invenţie, larvă, modă, odora, pompos, regulă, securitate, taxă, umbrelă ou visită10, prouvaient la présence importante dans l’usage des emprunts latino-romans modernes. 7 Voir, parmi les idées les plus évidentes, celle de la première unification de notre langue de culture dans les écrits ecclésiastiques, pris pour modèles pour la fixation des normes et l’unification du roumain moderne, idée empruntée par Ion Heliade Rădulescu à Petru Maior. 8 Voir, entre autres, Ion Gheţie, Ion Heliade Rădulescu şi unificarea limbii române literare, dans „Limba română”, XXI, 1972, no. 1, p. 59-61. 9 Voir Ion Gheţie, Mircea Seche, Discuţii despre româna literară între anii 1830-1860, dans Studii de istoria limbii române literare. Secolul XIX, [Bucarest], Editura pentru Literatură, [1969], p. 261-290. 10 Voir d’autres exemples chez Paulina Cheie, Neologismul de origine latino-romanică în Lexiconul de la Buda, dans „Limba română”, XXXII, 1983, no 3, p. 206-215. Pour ce qui Provided by Diacronia.ro for IP 82.231.135.78 (2020-10-19 13:54:58 UTC) BDD-A28083 © 2018 Editura Muzeul Literaturii Române Diversité et Identité Culturelle en Europe 21 La fixation des normes du lexique roumain littéraire acquiert toutefois, tout de suite après le milieu du XIXème siècle, par l’intermédiaire du mouvement académique, dominé clairement à ses débuts par le latinisme, une tournure intéressante du point de vue de l’attitude des linguistes à l’égard du système de la langue et par rapport à sa manière de fonctionner. C’était un reflet de la conception latiniste selon laquelle tout renouvellement de l’expression littéraire devait tenir compte du «génie» de la langue (nouvelle formulation de la «nature de la langue», souvent évoquée par les représentants de l’École de Transylvanie), «génie» qui devait être impérativement respecté. De cette façon, la norme réelle, reflétée par l’usage et les écrits courants, entrait en conflit avec la norme idéale, promue par les premiers travaux normatifs officiels. La norme réelle, uploads/Litterature/ bdd-a28083.pdf
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- Publié le Apv 19, 2021
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