Pour une problématisation sémiologique de la pratique de l’adaptation - 5 - POU

Pour une problématisation sémiologique de la pratique de l’adaptation - 5 - POUR UNE PROBLEMATISATION SEMIOLOGIQUE DE LA PRATIQUE DE L’ADAPTATION André PETITJEAN Armelle HESSE-WEBER Université Paul Verlaine, Metz (France) Centre d’Études Linguistiques des Textes et des Discours La pratique de l’adaptation est un phénomène ancien qui correspond à une réalité culturelle d’une grande diversité, sous la forme de pratiques de réécritures multiples et d’artefacts sémiotiques non moins nombreux. Les recherches consacrées aux phénomènes adaptatifs se sont longtemps intéressées à la dimension littéraire de l’adaptation et ce n’est que depuis quelques années que sont apparues des propositions théoriques susceptibles de décrire, d’un point de vue essentiellement sémiologique, les processus et les opérations qui caractérisent les adaptations. Nous voudrions ici rendre compte, sous la forme d’une revue de questions, de l’état de ces théories, en privilégiant les adaptations de romans au théâtre. Nous examinerons successivement, outre un précurseur formaliste tel que Cailhava de l’Estendoux, les modèles proposés par Gérard Genette, Gérard-Denis Farcy ou encore Muriel Plana. Ils sont à prendre comme autant d’outils d’analyse censés objectiver une pratique créatrice qui ne cesse de se développer. Mots-clés : Théories ; Sémiologie ; Pratiques adaptatives ; Adaptations théâtrales For a Semiotic Problematization of the Practice of Adaptation The practice of adaptation is an old one and a cultural phenomenon of a wide variety in the form of rewriting practices and semiotic artifacts.The focus of the research lies in the literary dimension of adaptation. It is only in recent years that theorical propositions have emerged which are able to describe, from an essentialist point of view, processes and operations that characterize the adaptations.We would like to give account, as a review of these issues, to the status of these theories, focusing on the adaptations of novels to the theater.We will consider, successively, the formalist precursor Cailhava de l’Estendoux, the models proposed by Gérard Genette, Gérard-Denis Farcy or Muriel Plana.They are to be taken as tools of analysis intended to objectify a creative practice as it continues to develop. Keywords : Theories ; Semiotics ; Adaptation pratices ; Adaptations for theater. Franco PIVA (2005 : 5-9), dans l’introduction de l’ouvrage collectif intitulé Il romanzo a teatro, déplorait le nombre peu élevé de recherches consacrées à la pratique de l’adaptation. Il notait alors que les travaux existants étaient, pour l’essentiel, des études particulières (sur un auteur ou sur l’adaptation d’un roman au cinéma), et que très peu s’attelaient à traiter du phénomène en lui-même. À quoi s’ajoute le fait qu’il s’agissait principalement d’analyses littéraires indifférentes à la dimension linguistique des opérations d’adaptation. Depuis 2005, les propositions théoriques concernant la pratique adaptative se sont multipliées, ce dont nous voudrions rendre compte sous la forme d’une revue de questions, en privilégiant les adaptations théâtrales. C’est ainsi que l’on examinera, tour à tour, les apports d’un précurseur en la matière (Cailhava de l’Estendoux), puis le modèle théorique de Gérard Genette et enfin ceux de Gerard-Denis Farcy et de Muriel Plana. Pour une problématisation sémiologique de la pratique de l’adaptation - 6 - 1. Une réflexion théorique de longue date : L’Art de la comédie de J.-F. Cailhava de l’Estendoux On doit à André PETITJEAN (2000 : 183-200) d’avoir exhumé l’ouvrage de J.-F. de l’Estendoux (L’Art de la Comédie) publié en 1772. Consacrée à la pratique imitative de Molière, l’étude a valeur de réflexion théorique sur la pratique de la réécriture dont relève l’adaptation. Même si l’ouvrage ne bénéficie pas de la réflexion contemporaine sur l’intertextualité, il est utile pour trois raisons majeures : - Il effectue une classification des types d’emprunts textuels en fonction de leur importance du point de vue quantitatif et selon qu’ils peuvent porter sur une intrigue complète ou concerner simplement une partie, sous la forme d’une similitude de sujet d’un côté et d’une reformulation de l’autre. Au niveau qualitatif, J.-F. de l’Estendoux classe les emprunts selon qu’ils concernent l’expression ou le contenu. Pour ces derniers, il note qu’ils correspondent aux différentes composantes narrativo-thématiques d’une pièce de théâtre (l’intrigue, son exposition ou son dénouement ; une situation ; une scène ; un personnage, son rôle thématique, son caractère, ses motivations ; un dialogue…). Pour ce qui est de l’expression, Cailhava relève des emprunts qui ressortissent à des reprises quasi-littérales, des manières de dialoguer ou des niveaux de style. - Il propose une description des opérations de réécriture des textes : en passant d’un texte à l’autre, le segment emprunté connaît des degrés variables de manipulation qui vont de la quasi répétition à la transformation conséquente qu’André Petitjean regroupe en catégories classées par Gérard Genette selon qu’elles sont plutôt formelles, modales ou thématiques. En passant d’un univers discursif à un autre, l’élément emprunté subit des transformations sémantiques d’amplitude variable selon qu’elles portent sur le genre du texte source, son cadre spatio- temporel, les actions et comportements des personnages, leurs motivations… - Il dessine en creux les cadres de l’esthétique classique de l’imitation qui valorise le procédé présenté comme une transfiguration méliorative du texte source. Le rôle de l’imitateur, de ce point de vue, est légitimé ainsi que l’originalité de son écriture par rapport aux textes imités. André Petitjean conclut sa réflexion par trois remarques concernant l’esthétique classique de l’imitation défendue par Cailhava : - Tout d’abord, il existe deux types d’emprunts, directs avec un minimum de transformations ou indirects, provenant de traduction, reprise ou adaptation d’un sujet emprunté à un autre genre. - L’auteur imite pour une part essentielle consciemment et en référence assumée à des modèles et, pour une autre part, inconsciemment, par imprégnation. Il transforme souvent l’objet imité à des fins de création originale et de réactualisation, par amélioration du texte original. - La pratique de l’imitation se réalise à travers des procédés trans- historiques de réécriture mais qui changent de signification selon le système culturel dans lequel elle s’exerce. Ainsi, Cailhava la défend au moment (on est à la fin du XVIIIe siècle) où l’emprunt va se trouver Pour une problématisation sémiologique de la pratique de l’adaptation - 7 - dévalorisé du fait du changement de statut juridique de l’écrivain et de la propriété littéraire, par la reconnaissance de nouvelles valeurs telles que le génie ou l’originalité. Ces quelques remarques théoriques sont d’autant plus précieuses que par la suite la pratique de l’adaptation va se multiplier et se transformer en même temps que les écrits théoriques sur le sujet vont se développer et parfaire les outils d’analyse. La bibliographie sur le sujet, qui n’aura de cesse, par la suite, de s’enrichir, démontre à la fois que l’adaptation intéresse de plus en plus les théoriciens, mais aussi qu’elle est une pratique créatrice qui est loin d’être en extinction. Au contraire, on note plutôt qu’au cours des XIXe et XXe siècles les adaptations occuperont face aux créations originales, une place qui ne cesse d’aller grandissant. 2. L’adaptation comme forme d’intertextualité et pratique hypertextuelle L’adaptation, sans conteste, ressortit à l’intertextualité puisqu’elle représente un cas manifeste de liaison d’un texte avec d’autres textes. Notion instable, l’intertextualité ne peut en revanche se confondre avec ce qui serait la forme moderne de l’étude des sources. Définie par Julia KRISTEVA (1969) dans Sèméiôtikè à la suite des formalistes russes et en particulier du sémioticien Mikhaïl Bakhtine, l’intertextualité réfère au dialogue implicite et sans cesse poursuivi entre un auteur et ses prédécesseurs ou ses contemporains. En 1976, Laurent JENNY (1976 : 262) propose une nouvelle conception de l’intertextualité pour rendre compte de la présence, dans un texte, d’éléments qui lui sont antérieurs mais réactivés en conservant le « leadership du sens ». La définition de la notion va en fait dépendre et varier, chez les critiques, en fonction de l’acception et de l’extension donnée à la notion de texte. Roland BARTHES (1973), par exemple, dans son article pour l’Encyclopaedia Universalis la définit ainsi : « L’intertextualité ne se réduit évidemment pas à un problème de sources ou d’influences ; l’intertexte est un champ général de formules anonymes, dont l’origine est rarement repérable, de citations inconscientes ou automatiques, données sans guillemets ». Michel RIFFATERRE restreint le champ d’action de l’intertextualité à des problèmes de réception. Dans La production du texte (1979 : 9), il définit l’intertexte comme la « perception, par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d’autres qui l’ont précédée ou suivie ». Gérard GENETTE, dans Palimpsestes (1982 : 8), propose quant à lui cette définition de l’intertextualité : « relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans un autre ». Les exemples qui illustrent son propos sont la citation, le plagiat ou encore l’allusion. Dominique MAINGUENEAU (1997) parle d’« interdiscours » et montre que la parole est traversée, qu’elle le veuille ou non par des paroles déjà prononcées avant, aussi diffuses soient-elles, qu’il s’agisse de courts énoncés littéraires ou non. On préfèrera néanmoins parler d’intertextualité lorsque la relation entre les textes relève d’un choix auctorial et non du hasard et de contraintes inévitables, comme cela est à l’œuvre dans l’interdiscours. On peut parler avec Jean RICARDOU uploads/Litterature/ 01-petitjean-pdf.pdf

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