C'est au tome XVI de ses Œuvres complètes (juin 1826) que Chateaubriand décida
C'est au tome XVI de ses Œuvres complètes (juin 1826) que Chateaubriand décida de publier pour la première fois ensemble Atala, René et Les Aventures du dernier Abencérage, qui avaient connu depuis vingt-cinq ans une fortune diverse. Après la parution anticipée des « Amours de deux sauvages dans le désert » (1801), Atala et René avaient été intégrés dans le cadre du Génie du christianisme (1802), puis réunis dans une édition séparée dès 1805. En revanche, la diffusion du Dernier Abencérage avait été beaucoup plus confidentielle : quelques lectures devant un auditoire choisi dans les années 1812-1814. Nous avons quelque mal, aujourd'hui, à situer cette période de notre histoire littéraire dans le cadre figé du découpage par siècles que nous impose encore la tradition universitaire. Ou alors, il faudrait dire que le « siècle » de Chateaubriand commence avec la mort de Montesquieu, et qu'il se termine avec celle de Balzac. En son milieu, la Révolution, qu'on aura réussi à traverser, comme un fleuve débordé, mais qui demeure au centre de toutes les pensées, de tous les cauchemars. Pour comprendre la première partie de son œuvre, il faut donc moins songer au Romantisme dont la problématique le concerne à peine, qu'à la crise des Lumières. Chateaubriand a grandi au moment précis où le rationalisme optimiste des « philosophes » va se trouver compromis dans la faillite sanglante de la Terreur. Adam a goûté au fruit défendu de la science ; au lieu de devenir « semblable à Dieu », il aperçoit qu'il est nu. Œdipe croyait régner dans la clarté paisible des énigmes résolues ; il ne découvre plus, au cœur de sa destinée, qu'inceste et parricide. Il ne reste plus à Prométhée qu'à se ronger le foie, c'est-à- dire à nourrir un intense sentiment de culpabilité. Grandeur et bassesse, contradictions du cœur humain : la génération de Chateaubriand va pouvoir relire Pascal, et redécouvrir, dans le Paradis perdu, un mythe à sa mesure. S'il est un horizon de lecture pour ces trois textes, c'est bien celui-là. Chateaubriand devra néanmoins patienter quelque peu avant de pouvoir réaliser sa vocation de voyageur. Refusé par la marine royale à laquelle, enfant, il avait été destiné, il se retrouve, à vingt ans, modeste sous-lieutenant dans de médiocres garnisons, après avoir reculé autant que possible le moment de prendre un état (ce sera le problème de René), et quitté pour toujours le château paternel. Le régiment de Navarre ne lui offre, à la veille de la Révolution, aucune perspective de carrière, mais lui laisse, en revanche, beaucoup de loisir. De 1786 à 1791, le chevalier de Combourg (le titre de comte de Chateaubriand est réservé à son frère aîné) va donc partager son temps libre entre la Bretagne et Paris. Son esprit est déjà orienté vers la littérature, mais il lui reste encore bien des choses à apprendre. Mais Chateaubriand se cantonne alors dans un rôle de figuration respectueuse, ayant conscience de sa « nullité ». Il travaille en secret, avec acharnement, pour combler les lacunes de son éducation. Il est alors un autodidacte inexpérimenté, timide, muet : observateur ébloui de cette volière où le moindre oisillon passe pour un aigle. Il lui arrive aussi de prendre, non sans soulagement, la route de Fougères où, depuis leur mariage, vivent ses autres sœurs. Là, dans une atmosphère familiale détendue, il se montre sous un autre jour : plus naturel, plus communicatif, mais déjà « travaillé » par son futur personnage : « En dépit de mes goûts naturels, je ne sais quoi se débattant en moi contre l'obscurité me demandait de sortir de l'ombre […]. Je sentais donc dans mon existence un malaise par qui j'étais averti que cette existence n'était pas ma destinée. » Que faire, lorsque la route tracée ne mène plus nulle part ? Chercher un nouvel itinéraire ; se fixer un autre objectif. Or, pour un jeune officier sans vocation, la carrière militaire se transforme alors en impasse. Néanmoins, Chateaubriand attendra pour se « retirer » les décrets de septembre 1790 qui lui enlèvent toute chance de promotion et, de surcroît, exigent un serment de fidélité à la Constitution qu'il se refuse de prêter, comme beaucoup de ses camarades. C'est qu'envers la Révolution commençante, malgré une sympathie proclamée pour les « idées générales de liberté et de dignité humaine », il se montre réservé : « belle âme » idéaliste, il désire demeurer au-dessus des partis, parce qu'il répugne à descendre dans une arène qu'il juge trop encombrée par les rivalités personnelles. Ce noyau des Sauvages (ce fut le titre initial de cette œuvre au contour encore flou) a subsisté dans les livres V à VIII des Natchez : il comprenait Atala dans sa forme la plus ancienne. Le choix de ce sujet était conforme à une opinion répandue : la seule épopée moderne des Européens avait été, outre les Croisades, la découverte et la conquête du Nouveau Monde. Néanmoins, pour échapper à la platitude du récit « idéologique », mais captiver aussi les imaginations, cette histoire avait besoin de « vraies couleurs ». Chateaubriand comprenait bien que pour faire œuvre originale, il lui faudrait « immerger » ses personnages dans le cadre grandiose de paysages américains qui, pour le moment, attendaient encore un peintre à leur mesure. C'est ainsi que se forma peu à peu dans son esprit le projet de « passer en Amérique » Mais les événements vont venir contrecarrer ces projets littéraires. Le processus révolutionnaire se radicalise à Paris ; Chateaubriand est obligé de partir le 15 juillet pour rejoindre, avec son frère, les émigrés que le prince de Condé est en train de rassembler en Rhénanie, afin de marcher sur la capitale en même temps que les troupes du roi de Prusse. S'il abandonne sa femme (il ne la retrouvera que douze ans plus tard), il emporte avec lui « le manuscrit de (son) voyage » : il a raconté, au livre IX de ses Mémoires, comment ces « précieuses paperasses » le protégèrent des balles au siège de Thionville, tout en lui faisant « cracher le sang », à cause de leur poids. Le voilà donc engagé à contrecœur (et du mauvais côté) dans une guerre sans avenir. Le 20 septembre, Valmy sonne le glas des espérances royalistes et entraîne la dispersion des émigrés. Démobilisé, blessé, malade, Chateaubriand arrive à prendre, à Ostende, un bateau pour Jersey ; de là, une fois sa convalescence terminée, il gagne Londres au mois de mai 1793. C'est un exil de sept ans qui commence, avec pour seul héritage un nom qui suffit à le rendre suspect dans son propre pays. Vers 1725, un Français nommé René arrive en Louisiane. Il demande à être admis dans la tribu des Natchez, établis près du Mississipi, sur les rives duquel se sont aussi installés des colons européens, sous la protection du fort Rosalie. Un sachem aveugle, Chactas, accepte de le prendre pour fils, malgré la sourde hostilité de certains de ses compatriotes. René ne tarde pas à se mêler à la vie des Indiens ; il cherche à oublier un passé qu'il préfère ne pas divulguer. Il inspire bientôt un amour discret à la jeune Céluta, repousse les agaceries charmantes de la petite Mila. Une chasse au castor offre à Chactas une occasion de raconter son histoire à René : son inconsolable passion pour Atala, puis ses voyages dans la France de Louis XIV et de Fénelon, ses interminables errances parmi les solitudes glacées du Labrador, son passage chez les Sioux du Canada, enfin son retour auprès des siens. Une maladresse de René déclenche ensuite une guerre entre les Natchez et les Illinois, qui, malgré sa bravoure, font prisonnier le jeune Blanc. Il est alors sauvé du poteau de torture par son ami Outougamiz, frère de Céluta, que René finit par épouser, par reconnaissance. Mais ce mariage se révèle un échec. Malgré la fille que lui a donnée Céluta, René se détourne de sa femme. Il est du reste en butte à la jalousie du féroce Ondouré qui intrigue pour dresser les Natchez contre les Français, puis dénonce son rival comme traître au gouverneur de La Nouvelle-Orléans ; mais René se disculpe, tandis que Céluta se lance à sa recherche. Revenu parmi les Natchez, il accepte enfin de confier son secret au père Souël, ainsi qu'à Chactas : c'est en vain qu'il a longtemps cherché à assouvir un désir insatiable, ne parvenant qu'à inspirer à sa sœur Amélie un coupable amour qu'il expie désormais, loin de sa patrie, comme sa propre faute, incapable de goûter le moindre bonheur sur la terre. Cette « confession déplorable » prélude à la dispersion des protagonistes, qui elle-même ouvre la voie vers la catastrophe finale. Avec la mort paisible de Chactas au milieu des siens, disparaît le dernier obstacle au soulèvement général des Indiens, qui se termine par un massacre. Outougamiz est tué au combat, René assassiné par Ondouré qui viole Céluta au milieu du carnage. Les vaincus se dispersent ; bientôt Céluta se précipite uploads/Litterature/ bechet-o-rene.pdf
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- Publié le Fev 14, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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