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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Bernard Paquet Horizons philosophiques, vol. 1, n° 1, 1990, p. 35-55. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/800860ar DOI: 10.7202/800860ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 28 novembre 2012 11:19 « Sémiologie visuelle, peinture et intertextualité » Sémiologie visuelle, peinture et intertextualité Métalangage qui dote le signifiant visuel d'un signifié verbal, le modèle du signe linguistique impose un décou- page de la surface du tableau peint. Cette lourde incidence sémantique des mots sur l'image, au demeurant réductrice, ne peut nous faire oublier que la peinture, singularisée par un système de relations spatiales, est une structure avant tout visuelle et dynamique. Cependant, au-delà de cette structure en tant que seul objet d'analyse, nous considé- rons la lecture du tableau, dont la perception déborde très largement la notion de signe iconique ou non-iconique, comme une construction culturelle tissant sous un certain point de vue un réseau de liens entre plusieurs tableaux. Cette lecture, à la fois contingente et non nécessaire dans la mesure où elle ne cherche pas ces réseaux de signifi- cations établis a priori appelés «citations», édifie un en- semble de liens en vue d'une fonction sémiotique generative. Par conséquent, celle-ci dépend d'une certaine intertextualité qui s'appuierait sur des relations d'inférence comme le veut la philosophie peircienne et non pas sur des rapports d'équivalence comme la tradition saussu- rienne du signe les conçoit. 35 Signifié linguistique et signifiant visuel Pour Ferdinand de Saussure, la linguistique n'est qu'une partie de ce qu'il nomme sémiologie, cette «science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale1». De la conception saussurienne du signe découle une conséquence : le découpage du «réel» par la langue ne correspond pas à un découpage préexistant du monde. Il relève du pur consensus social. Le signe est composé, dans un rapport arbitraire d'équivalence, d'un signifiant et d'un signifié, solidaires l'un de l'autre au même titre que le sont le recto et le verso d'une feuille de papier. Ce principe de l'arbitraire du signe, répondant à l'idéal du procédé sémiologique, lui permet d'envisager la linguistique comme un système pouvant devenir un jour le «patron général de toute sémiologie*». C'est dans Éléments de sémiologie de Roland Barthes que ce renversement se matérialise : «Il faut en somme admettre dès maintenant la possibilité de renverser un jour la proposition de Saussure : la linguistique n'est pas une partie, même privilégiée, de la science générale des signes, c'est la sémiologie qui est une partie de la linguis- tique3». Pour Barthes, «il n'y a de sens que nommé et le monde des signifiés n'est autre que celui du langage4». La peinture n'ayant pas, à quelques comparaisons près, les caractéristiques du langage verbal : double articulation 1. F. de Saussure, Cours de linguistique générale, éd. critique, préparée par T. de Mauro, Paris, Payot, 1972, p. 32. 2. Ibid., p. 101. 3. R. Barthes, «Éléments de sémiologie», in Communications, n° 4, 1964, p. 81. 4. Ibid., p. 84. 36 (première articulation, monèmes ou unités significatives et deuxième articulation, phonèmes ou unités différentielles), unités discrètes stables, distinctes et discontinues, linéarité syntagmatique de succession et axe paradigmatique de simultanéité-substitution, Barthes propose de découper des syntagmes iconiques par le biais d'une parole articulée «qui les dote du discontinu qu'ils n'ont pas5». De la saisie des différences par le relais de la langue à la définition des relations toujours et encore grâce à cette même langue, il n'y a qu'un pas. L'emprise du mot sur la peinture se solidifie en un métalangage «à son tour saisi dans un procès de connotation6» qui tient lieu de l'œuvre, qui s'y substitue, qui en devient le signe. Autrement dit, le signifié d'un tableau est pris en charge par un système de signi- fication, la langue, dont le signifiant est à son tour entraîné dans un nouveau système de signification. Cette approche de la peinture se passe comme si un signifié linguistique émergeait au travers d'un signifiant visuel devenu absolu- ment transparent. Le type de lecture iconisante proposée par Greimas est révélateur : «... une opération qui, consi- gnant un signifiant et un signifié, a pour effet de produire des signes. La grille de lecture, de nature sémantique...» dote de signifié le signifiant visuel «... en transformant ainsi les figures visuelles en signes-objets...»7. Au siècle dernier, Fiedler, préoccupé par la notion d'une pure et innocente visibilité, écrivait que le langage (entendons "la langue") «n'est pas l'écran derrière lequel se cache la vérité visuelle, mais bien ce qui fonde la foi perceptive» et que «le mirage du "réel" reposait en dernière analyse sur l'état de paresse et d'atrophie dans lequel 5. Ibid.t p. 137. 6. Ibid.t p. 166. 7. A.J. Greimas, «Sémiotique figurative et sémiotique plastique», in Actes Sé- miotiques-Documents, n° 60, 1984, p. 10. 37 l'attitude naturelle maintient, à des fins toutes pratiques, la fonction visuelle (II, 241 )8. Les Formalistes russes, de leur côté, en particulier Chklovski9, affirmèrent non seulement que réducation nous apprenait à poser des noms sur les choses, mais encore que, pour obtenir une économie maxi- mum des forces perceptives, nous percevions les objets en faisant appel à une mémoire d'images toutes faites, schémas abrégés de type algébrique ou symbolique suffi- samment représentatifs pour nous permettre non pas de vraiment voir l'objet mais de simplement le reconnaître. Plus tard, grâce aux propositions de Hjelmslev, le signifiant visuel devait trouver sa primauté dans l'articula- tion combinatoire du langage visuel. Ce dernier, en effet, suggérait de dédoubler chacun des plans du signe saus- surien, soit le signifiant (plan de l'expression) et le signifié (plan du contenu) en forme (la chose organisée) et en substance (le mode d'organisation). Ainsi, est-il possible aujourd'hui de noter à propos du plan de l'expression de la peinture abstraite que le signifié, lui, «reste coextensif jusqu'au bout de l'activité créatrice et perceptive10». C'est- à-dire que toute la surface picturale participe au contenu de la peinture et que le contenu participe, a posteriori, de toute la surface picturale. Les signes et la surface picturale La lecture iconisante proposée par Greimas articule le signifiant planaire en constituant, par un «découpage en unités discrètes lisibles», des «formants» figuratifs grâce à 8. K. Fiedler, cité dans : P. Junod, Transparence et opacité, Lausanne, L'âge d'homme, 1976, p. 163. 9. V. Chklovski, «L'art comme procédé», in Théorie de la littérature, Paris, Seuil, 1965 (textes des Formalistes russes présentés et traduits par Tzvetan Todorov, préface de Roman Jakobson), p. 76-98. 10. P. Junod, op. cit., p. 299. 38 la prise en charge de «paquets de traits visuels de densité variable» tout en admettant «d'autres segmentations pos- sibles du même signifiant»11. Cette théorie des formants convient avant tout à la «figuration» dans le cadre de ce que Greimas appelle «figurativité», soit un certain mode de lecture et de production des «surfaces construites». Pour ce dernier, l'iconisation et l'abstraction ne sont que des degrés et des niveaux variables de la figurativité et l'abstraction est le résultat du dépouillement des figures visant à rendre plus difficile la procédure de reconnais- sance. Autrement dit, l'abstraction ne serait qu'une iconicité proche d'un état zéro de reconnaissance des objets du monde naturel. En peinture, l'iconique, le motif artistique, tel que défini par Panofsky, peut s'intégrer à des structures plus com- plexes appelées images, histoires et allégories alors que dans la langue, selon Benveniste12, le mot en tant que signe peut s'intégrer à l'unité de niveau supérieur qu'est la phrase. Les phrases entre elles n'ont de relation que leur consecution pour former le discours. Mais le motif pictural ne s'insère pas, au contraire du mot écrit, dans une discontinuité syntagmatique. L'espace, longtemps ignoré, entre les motifs figuratifs s'est vu accorder plus d'attention depuis que des auteurs comme Eco dans La Structure ab- sente ont émis l'hypothèse d'un sens non-iconique. En 1978, Greimas entrevoyait la possibilité d'utiliser des caté- gories topologiques pour discerner un nombre raisonnable d'éléments pertinents, nécessaires à la lecture, car, écri- vait-il : «[...] on peut se demander de même si, à côté du découpage de la surface peinte effectué grâce à la grille de lecture figu- rative, il n'y a pas moyen d'opérer une autre segmentation du 11. A.J. Greimas, op. cit., p. 10. 12. E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale II, Paris, Gallimard, 1974, p. 66. 39 signifiant, permettant de reconnaître l'existence d'unités pro- prement plastiques, porteuses, éventuellement, de significa- tions qui nous soient inconnues13». En sémiologie visuelle, l'attention portée au non ico- nique ne vise pas à faire accéder au rang uploads/Litterature/ bernard-paquet-semiologie-visuelle-peinture-et-intertextualite.pdf

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